De mémoire d’observateur de la chose footballistique camerounaise, le doute, la mise en question et le cynisme n’ont jamais autant investi les esprits. Il se susurre dans le camp camerounais, à l’approche de la foire ghanéenne, des mots et des petites phrases lourdes d’incantations, de colère réprimée et d’appréhension d’un revers annoncé depuis longtemps. Le moral n’est pas bon ; c’est une certitude. Terrible : passe encore qu’on ne soit pas les favoris, mais savoir et accepter cela d’un front relativement calme, quelle transformation, quand même !
Les supporters camerounais sont entrain d’opérer leur mue. Ce n’est plus exclusivement avec les yeux de Chimène qu’ils regardent leur équipe, mais un peu comme un médecin et un peu comme un curé appelé à administrer l’extrême onction. Ce qui réjouit le scribe que je suis n’est évidemment pas le spectre de la défaite, mais plutôt l’attitude des supporters qui, ce me semble, se déplace nettement de la réaction exclusivement affective à l’analyse marquée au coin de la raison. L’équipe qui va à Kumasi ne nous rassure pas, de l’encadrement à l’animation sur le terrain. Cela, nous le reconnaissons avec une bonne dose d’humilité que nous n’avions pas. C’est tout à fait positif.
Et ce n’est pas très grave d’en arriver là ; les meilleures formations du monde traversent de temps à autre des passes difficiles et leurs supporters ont connu le doute. Ce qui est particulier et assez inhabituel dans notre cas, et particulièrement intéressant, c’est que pour la première fois, on trouve aisément des supporters qui jugent que nous ne méritons pas de gagner. Cela n’est pas négatif non plus.
Las de recevoir des coups provenant de certains quartiers qui n’ont jamais voulu voir le déclin dans lequel sombraient les Lions depuis la funeste Coupe du monde de 1990, je pourrais dire simplement ici, sous couleur d’oraison funèbre, que nos fauves ont vécu et qu’ils sont morts d’une mort ma foi relativement normale. Ce serait facile, sans doute, de me réfugier, la queue et la plume entre les jambes, dans un quant-à-soi de façade pour nier une réalité limpide. Ce n’est pas vrai que les Lions sont en train de mourir d’une mort naturelle. Les Lions meurent parce que ceux qui en ont la charge refusent de les protéger et de les soigner.
Vous savez bien que depuis quelques semaines le débat n’est plus de savoir comment gagner la CAN, mais plutôt les supporters s’interrogent ouvertement sur l’intérêt, pour les Lions, de gagner la CAN. Alors, demandent-ils, gagner la CAN pour quoi faire et, plus terrible encore, de quel droit ?
C’était inéluctable d’en arriver là : la palinodie permanente des tutelles administratives, l’impréparation, l’incompétence et la négligence ont certes fini par saper le moral des supporters, mais à quelque chose malheur est bon, elles ont accéléré, et il faut s’en féliciter, le mûrissement et la radicalisation de ces derniers. Alors, vraiment, de quel droit gagnerions-nous cette CAN ? Juste parce que le terrain est plat et le ballon est rond ?
La transformation de l’attitude des supporters camerounais, que j’ai longtemps appelée de tous mes vœux, se cristallise autour, d’une part, de l’absence de mérite et de qualité au double plan de l’animation du jeu et de la direction administrative et technique et, d’autre part, du cirque commercial et de la récupération politique qui accompagnent toute sortie réussie des Lions.
On peut se voiler la face autant qu’on veut, mais la réalité est que nous avons de moins en moins de footballeurs rassurants. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de rappeler que nous jouons notre football sur le sable et la latérite ; il n’est pas nécessaire non plus de rappeler l’ignominieuse comédie que jouent le MINSEP et la Fécafoot sur la scène de notre football.
Vous vous rappelez sans doute avec amusement ou dégoût la Fête de la jeunesse qui tombe en février, juste à temps pour que les politiciens se saisissent de la victoire des Lions pour les montrer en exemple aux jeunes en se bombant le torse de paroles sans effet pratique ? Vous ne vous rappelez pas la cohue de députés affairistes et autres commerçants prédateurs profitant d’un avion gratuit pour embarquer une pacotille sans nom qu’ils fourguent au pays sans payer le moindre droit à la douane ?
Alors, gagner la CAN pour cela ou à cause de cela ? Gagner, bien sûr, mais surtout mériter la victoire. L’idée du mérite procède du souhait de tous les supporters que les Lions soient des champions bien élus à tous les niveaux et sous tous les angles. La victoire ne nous suffit plus : nous voulons être exemplaires. Pour l’heure, nous le reconnaissons, nous en sommes très loin.
Et la CAN vaut-elle tout le tohu-bohu qu’elle suscite ? Nous l’avons gagnée à quatre reprises. Cela nous a-t-il apporté quelque chose de plus que les youyous des femmes et les discours creux de politiciens à la mie de pain ? Tout ce que nous retenons, c’est qu’après toutes ces victoires, après vingt-cinq ans de participation à la Coupe du monde, « ils » continuent de tout faire pour que notre niveau soit le niveau de la Guinée équatoriale et du Rwanda. Cela ne passera plus. La culture du mérite, du travail et de l’investissement s’imposera au sein et autour des Lions. Au diable donc la CAN des minus habens du MINSEP : nous voulons la Coupe du monde !