Nous admettons tous ici que le football est tout pour nous. Cela, et c’est là le paradoxe, ne nous empêche pas de reconnaître que le football n’est rien pour le Cameroun d’aujourd’hui. Nous ne le dirons jamais assez : nous ne progressons pas, aucun pan de la vie économique, sociale ou politique de notre pays n’est ni exemplaire ni, à la limite, satisfaisant. Cela, nous le savons tous ; c’est positif. Mais non seulement nous faisons comme si nous ne le savions pas, nous continuons en outre d’adopter les mêmes attitudes, d’essayer les mêmes recettes, de nous complaire dans les mêmes pratiques qui nous appauvrissent, nous avilissent et nous clochardisent. Cela est incompréhensible.
Mes lecteurs les plus vieux se rappellent sans doute les tonitruantes campagnes cacaoyères des années soixante-dix, les fameuses opérations 100 000 tonnes. C’était l’époque où on nous faisait croire qu’en exportant plus nos produits de base, nous allions nous enrichir. C’était l’époque où l’Afrique servait de terreau pour les thèses des apôtres de la division internationale du travail et de la théorie de l’avantage comparatif.
À nous les Africains, labourage et pâturage, pour parodier Sully, allaient être les mamelles dont on s’alimenterait. Cacao, coton, café, petit élevage. C’était notre lot, parce que, apparemment, nous avions un avantage comparatif dans ce secteur. Nous y avons perdu notre identité, notre santé, notre dignité, pendant des décennies. Toute notre force de travail a été mise au service des besoins de l’extérieur, parce que nous avons été portés à croire que l’essor des exportations allait favoriser notre développement.
Je vous le demande un peu : le cacao nous a-t-il enrichis ? Le coton a-t-il enrichi le Mali ?
Le football au Cameroun en 2008 est exactement au point où était le cacao en 1970. Comme sur le front du cacao, notre football est résolument tourné vers la satisfaction des marchés étrangers. L’erreur en 1970 a été de croire qu’une certaine croissance induite par la hausse des exportations allait déboucher sur un développement généralisé. Le PNB monétisé affichait une vigueur tout à fait remarquable, mais paradoxalement, c’est à ce moment que les premiers signes de la famine se sont fait sentir au Cameroun, à preuve les importations massives de riz chinois. Les meilleures terres du pays, les efforts de l’État, les principaux investissements étaient tous réservés à la production de cultures de rente au détriment des produits vivriers pour le marché national.
Le parallèle avec le football est évident. Nous nous sommes lancés, depuis les funestes années 1990, à la production de footballeurs pour les marchés européen, asiatique et arabe. La prolifération des écoles de football et autres centres de formation consécutive au succès relatif des Lions indomptables et du boom des retombées financières du marché des joueurs procède du principe de la satisfaction de l’exigence extérieure, au détriment du marché intérieur.
Dans les années 70, la seule unité de transformation du cacao au Cameroun était Chococam, une petite usine à la Mickey Mouse qui produisait des chocolats relativement consommables. Chococam est aujourd’hui pratiquement mort. Le championnat national de football au cours de ces années-là était vivant et relativement bien organisé. Tous nos meilleurs joueurs étaient sur place ; les foules étaient nombreuses aux deux stades que nous avions alors. Les bases d’un développement soutenu du football au Cameroun se mettaient solidement en place. Aujourd’hui, comme Chococam, le niveau de notre championnat national est à l’étiage. Seuls l’animent des joueurs pratiquement laissés-pour-compte ou d’éternels optimistes qui rêvent toujours de l’Europe.
Le football n’échappe pas aux terribles lois de l’économie. L’essor des exportations, qu’il s’agisse de footballeurs ou de cacao, crée une croissance sans développement, le développement étant entendu comme l’élévation généralisée du bien-être du plus grand nombre. Il est clair qu’en donnant la priorité aux besoins des marchés extérieurs, on néglige nécessairement le marché intérieur. La situation du football organisé au Cameroun est une image qui illustre clairement cela. Le bien-être du footballeur camerounais ne s’est pas amélioré au cours des trente dernières années, en dépit de la relative progression de la vente de nos produits sur les marchés du football mondial.
Aucun pays non pétrolier ne s’est développé au cours des trente dernières années en donnant la priorité à l’exigence extérieure. Il n’y a pas de développement sans marché intérieur capable d’absorber un surcroît de production nationale ; il ne peut donc pas y avoir un football vigoureux et florissant au Cameroun sans une structure nationale bénéficiant des soins les plus assidus des secteurs public et privé.
Comme auparavant sur la scène purement économique et politique, nous continuons, avec le football, de suivre inconséquemment la vulgate libre-échangiste et d’appliquer les thèses colonialistes de Ricardo. Sur le plan purement économique, l’essor des exportations camerounaises est allé de pair avec une aggravation de la pauvreté et une progression de la faim. Sur le plan plus étriqué du football, la montée de nos produits sur les marchés internationaux va précipiter la clochardisation de notre football national.