Dimanche 4 septembre, au stade Félix – Houphouët Boigny d’Abidjan, les Lions Indomptables du Cameroun affrontent les Eléphants de Côte-d’Ivoire, dans un match capital qui est présenté comme la rencontre la plus explosive des éliminatoires en Afrique pour la Coupe du monde 2006. Ce sera en tout cas la finale de la poule C de ces éliminatoires où la Côte-d’Ivoire qui n’a jamais participé à une phase finale de la Coupe du monde, est leader avec deux points de plus que le Cameroun qui veut se qualifier pour sa cinquième Coupe du monde d’affilée. Et comme il n’y a qu’une place qualificative, c’est le match à ne pas perdre. Les vaincus regarderont sans doute la Coupe du monde à la tête.
Côté camerounais, si un joueur sera particulièrement sous les projecteurs lors de ce match, c’est sans doute le Barcelonais Samuel Eto’o. C’est sûr, au cœur du Félicia, l’antre des Eléphants, Eto’o aura à cœur de prouver que les deux titres de ballon d’or africain ravis en 2003 et 2004 à la star locale, Didier Drogba, n’étaient pas usurpés. En plus, Samuel Eto’o est sûrement le plus ivoirien de tous les Lions indomptables actuels. La Côte-d’Ivoire occupe une place de choix dans son cœur. On ne le sait pas assez, c’est là, dans ce stade Houphouët Boigny que sa carrière internationale a pris un grand tournant il y a dizaine d’années.
A la veille du championnat espagnol de football qui ouvre pour Samuel Eto’o une saison pleine d’enjeux, dont la défense du titre de champion conquis la saison dernière devant le Real de Madrid, la conquête de la Ligue européenne des champions, la conservation du titre de meilleur buteur d’Espagne, la Coupe d’Afrique des Nations, et pourquoi pas, la Coupe du monde, le goleador des Lions indomptables a accepté de se livrer au Messager, dans cet entretien réalisé vendredi dernier. Tout y passe, le match du 4 septembre, bien entendu, mais aussi, ses rêves d’enfance, ses débuts dans le football, le Real Madrid, sa vie au Fc Barcelone, son jeu chez les Lions indomptables, le problème Lauren Etame, la rivalité avec Drogba… Lisez plutôt.
Samuel, votre rêve d’enfant était de devenir Avocat. Comment êtes-vous arrivé au football ?
C’est vrai, dans mon enfance, je rêvais de devenir Avocat, mais je crois qu’il était plutôt écrit que je serai footballeur. C’était mon destin. J’ai commencé à jouer au football comme tout jeune camerounais en tapant dans une balle dans les rues. Puis, j’ai participé à des tournois de jeunes, puis je suis allé à l’école de football. Quand j’ai intégré une équipe junior, j’ai compris que le football serait peut-être mon métier. Et comme il semble que j’avais du talent, le reste s’est fait tout seul.
Vos parents ont-ils facilement accepté de vous voir abandonner vos études pour jouer au football ?
Je n’ai abandonné les études que lorsque je suis devenu professionnel. Avant cela, je continuais à aller à l’école et à jouer au football. Il est bien vrai que mes parents auraient bien aimé me voir étudier et ne pas jouer au football, parce que c’était leur souhait, je trouvais toujours le moyen d’échapper à leur vigilance et d’aller jouer au football.
Quels sont les footballeurs qui ont bercé l’enfance du jeune Samuel Eto’o ?
Le seul footballeur que j’ai admiré et que j’admire toujours d’ailleurs, c’est Roger Milla. Pour moi, il est le meilleur joueur de football au monde. Roger Milla est le seul footballeur qui m’a vraiment fait rêver et à qui j’ai voulu ressembler.
Avez-vous toujours été attaquant ?
Non. Je peux être polyvalent. J’ai même déjà joué un peu partout sur un terrain de football. En juniors avec Avenir de Douala, j’ai été milieu de terrain. Et puis, quand j’étais plus jeune, j’ai joué comme défenseur central.
Qu’est- ce qui vous plaît dans le poste d’attaquant ?
J’y prends plaisir et je marque beaucoup de buts.
Si on vous demandait de brosser le portrait de l’attaquant idéal, quelles qualités emprunteriez-vous chez les plus grands attaquants du monde, passés ou actuels ?
J’aime bien l’attaquant qui apporte un plus à l’équipe et au jeu et pas seulement marquer des buts. Je préfère l’attaquant qui sait jouer au football et qui va faire quelque chose d’exceptionnel avant d’aller marquer le but.
Johan Cruijff qui est un vrai mythe au Fc Barcelone a eu à dire que vous étiez la plus agréable surprise de la saison écoulée. Il estime que vous avez appris à jouer sans espace en arrivant au Barça. Venant d’une référence comme Cruijff, ce compliment doit certainement vous ravir.
Je ne pense pas que Johan Cruijff avait pris beaucoup de temps de me voir jouer quand j’étais à Marjorque. Je me sens un peu offensé qu’il parle de surprise. Pour moi ce n’était pas une surprise. J’ai toujours été un bon joueur et je pense avoir fait plus de bonnes choses quand j’étais à Majorque qu’avec le Barça. Je crois qu’il est plus facile de jouer au Barça que dans un club comme Majorque et pourtant, j’ai bien réussi à Majorque.
Comment faîtes-vous pour échapper à la vigilance des défenseurs qui vous marquent désormais de très près ?
J’ai toujours eu ma façon à moi de jouer. J’anticipe le mouvement du défenseur. La plupart des défenseurs pensent de la même façon.
Comment préparez-vous un match de football ? Etudiez-vous en détail la défense adverse ?
C’est souvent arrivé, mais pas toujours. Cela dépend d’ailleurs des entraîneurs. Il peut arriver qu’un entraîneur demande qu’on visionne les adversaires et qu’on étudie. Quant à moi, je rentre sur un terrain pour prendre plaisir. Je ne calcule pas, je ne cherche pas à regarder qui j’ai en face et je fonce.
Quel type de rapports entretenez-vous avec les défenseurs ? Comptez-vous des amis parmi eux ?
Bien sûr, j’ai des amis parmi les défenseurs aussi. Mais, une fois que nous sommes entrés sur le terrain, nous ne nous faisons plus de cadeaux.
Dans quel domaine de votre jeu estimez-vous que vous avez encore des progrès à faire ?
Le jeu aérien. Je devrais encore améliorer mon jeu aérien.
Les coups francs aussi, peut-être, vous en tirez rarement, sauf peut-être lors des deux derniers matches de la Liga la saison dernière où vous vous êtes jetés sur tous les coups francs du Barça.
Chacun joue avec ses qualités. Pour certains attaquants comme Thierry Henry, leur première qualité c’est peut-être ça : tirer des coups francs. Moi, je sais faire autre chose. En plus, dans notre équipe, nous avons Ronnie (Ronaldhino, ndlr) qui tire très bien les coups francs. Alors, allez demander à Ronnie de vous laisser tirer un coup franc, vous verrez, il va râler pendant tout le match.
Vous êtes parti d’un club de deuxième division au Cameroun pour le Real Madrid. On ne l’imagine pas aujourd’hui. Comment cela a-t-il pu être possible ?
C’est possible si vous croyez en vos possibilités. C’est possible si vous pensez que l’équipe nationale peut vous aider. Moi je me rappelle que c’est lors d’un match de l’équipe nationale junior à Abidjan contre la Côte-d’Ivoire que j’avais été remarqué par le Real de Madrid. A la fin du match, un homme de race blanche est venu vers moi et m’a proposé d’aller faire un essai au Real. Il savait de quoi il parlait ; c’était le directeur sportif du Real Madrid et les choses sont allées très vite. Vous voyez donc ce que l’équipe nationale du Cameroun m’a apporté.
Selon la légende, à votre arrivée à Madrid, les dirigeants du Real avaient oublié de venir vous chercher à l’aéroport et vous aviez alors dû vous débrouiller tout seul pour rejoindre le club. Pouvez-vous nous raconter cette arrivée inattendue ?
C’est absolument vrai, les dirigeants du Real avaient oublié mon arrivée et j’avais dû me débrouiller ce n’était pas facile, puisque je ne parlais pas la langue locale. Heureusement que j’étais tombé sur un frère africain qui travaille à Madrid, un Ivoirien d’ailleurs. Quand il m’a vu, il m’a dit : “ mais, c’est toi qu’on attend au Real Madrid. Il y avait beaucoup de journalistes ici pour filmer ton arrivée ”. J’avais dû l’attendre pendant deux heures, le temps qu’il finisse de travailler et me dépose au siège du Real Madrid.
“ Il va peut-être falloir que je marque 50 buts cette saison… ”
Vous avez tenu des propos discourtois à l’endroit du Real Madrid après le titre de champion du Barça. Vous êtes aussi dans l’histoire du football, le joueur qui a marqué le plus de buts contre le Real Madrid. En voulez-vous au Real de n’avoir pas suffisamment cru en vous ?
Non, ce ne serait pas correct de dire que j’en veux au Real. Le Real Madrid a déjà beaucoup fait pour moi en m’amenant en Europe. Maintenant, je sais ce que j’ai vécu là-bas et il n’y avait personne pour m’aider à m’en sortir. Je ne leur en veux pas pour autant. Je me suis peut-être exprimé de manière violente à la fin de la saison dernière, la manière n’était certainement pas correcte, mais au fond, ce que je pensais n’était pas mauvais. Je crois qu’il faut que le Real Madrid sache qu’en Afrique il y a de bons footballeurs et ces bons footballeurs ont eux aussi le droit de s’exprimer. Tant que je jouerai au football, et j’aurais l’occasion de jouer contre le Real, je marquerai toujours des buts.
Lorsque vous étiez à Majorque, Patrick Mboma disait que si vous vous appeliez Eto’odinho, vous seriez certainement l’un des cinq joueurs les mieux traités au monde. Il prenait votre exemple pour dire que le monde du football professionnel ne donne pas aux footballeurs africains tout le respect et la considération qu’ils méritent au vu de leur talent. Votre arrivée au Barça vous apporte-t-elle aujourd’hui toute la reconnaissance que vous attendiez ?
Pour qu’on accepte une fois pour toutes que les footballeurs africains ont droit à une place au plus grand podium, il va peut – être falloir que je marque 50 buts au cours de la saison qui commence. Il n’y a qu’à voir qu’après ce que j’ai fait la saison dernière, je ne suis pas le meilleur attaquant d’Europe. Il y a eu des nominations de l’Uefa. J’étais parmi les 21 joueurs qu’ils ont choisis comme candidats au poste de meilleur joueur. Vous imaginez qu’à la fin, je n’ai même pas été retenu comme meilleur attaquant. Comprenez donc qu’il y a de la combine même à côté de Dieu.
Votre intégration au Barça, dans ce club mythique, au milieu de cette pléiade de stars, a-t-elle été facile ? Comment des joueurs comme Ronaldinho, Deco, candidats comme vous au titre de Ballon d’or France Football vous ont-ils accueilli ? Comment vivez-vous au quotidien avec eux ?
Mon intégration s’est très bien passée. Nous sommes tous arrivés avec de l’ambition. Et comme nous avons la chance d’être tous de jeunes garçons avec beaucoup de talent, nous parlons tous le même langage et nous nous comprenons. C’est vrai que, au départ, c’était un peu difficile, parce que certains journalistes ont voulu nous opposer, Ronaldinho et moi. Ils ont créé une polémique et prétendaient que j’arrivais au Barça pour prendre la place de Ronnie. Evidemment, il n’en a jamais été question. De bons joueurs se sont rencontrés et veulent faire chemin ensemble. Nous ne pensons qu’à cela.
Le journal France Football a publié en décembre 2004, une photo de Ronaldinho portant une veste avec le drapeau du Cameroun. Que faut-il y voir ?
Mais, Ronaldinho aime le Cameroun. Ce sont mes amis camerounais, des Bantous du Sud qui ont offert cette veste et il a tenu à la porter à l’occasion d’une grande cérémonie. Evidemment, cela m’a énormément fait plaisir.
Certains journaux espagnols ont rapporté que vous reprochiez à votre équipe, de ne vous avoir pas assez soutenu lors des deux dernières journées de la Liga, dans votre quête du titre de meilleur buteur. Avez-vous vécu comme une injustice le fait de ne pas être pichichi, après avoir mené le classement des buteurs toute la saison ?
Je n’ai jamais reproché quoi que ce soit, ni à mon club, ni à mes coéquipiers. Des journaux ont publié ce qu’il voulaient, peut-être pour créer un problème. Dieu merci, il n’y a pas eu de problème. Je n’ai jamais eu les réactions que l’on m’a prêtées dans cette affaire de pichichi. J’ai marqué 25 buts en championnat et un journal espagnol a voulu m’en compter seulement 24. Je ne pleure pas pour cela. Je suis meilleur buteur du championnat et, ne pas être pichichi ne me dérange pas.
Quels sont vos rapports avec Frank Rijkaard ? Quel genre d’entraîneur avez-vous découvert en lui et que vous a-t-il apporté dans votre jeu ?
Frank Rijkaard est un excellent entraîneur. Qu’est-ce-qu’il a apporté à mon jeu ? Certainement un peu plus d’expérience. Quand je venais au Barça, j’étais déjà un joueur confirmé, c’est d’ailleurs pour cela qu’ils m’ont acheté. Je n’étais plus un joueur à former.
Est-il vrai que vous avez refusé un pont d’or que Chelsea vous proposait et que vous ne souhaitez pas évoluer sous les ordres de José Mourinho qui n’est pas de vos amis ?
Je n’ai jamais dit que je ne souhaitais pas évoluer sous les ordres de Mourinho, même si je ne partage pas beaucoup de choses avec cet entraîneur. J’ai beaucoup de respect pour ce qu’il a fait dans le monde du football et, demain, qui sait, il pourra peut-être devenir mon entraîneur. Mais, si une proposition de Chelsea a été faite, j’ai estimé que pour le moement, je n’allais pas quitter un club, c’est-à-dire le Barça, dans lequel je prends beaucoup de plaisir, pour aller dans un autre club où j’allais peut-être prendre moins de plaisir à jouer au football et avoir beaucoup de problèmes. J’étais face à deux grands clubs, avec deux manières de jouer qui ne se ressemblent pas. Après, cela peut vous arranger de partir ou pas. En ce moment, cela ne m’arrangeait pas de partir. Chelsea a proposé beaucoup d’argent et le Barça aussi a su se manifester. Ils n’ont pas voulu que je parte et ils ont fait ce qu’il fallait faire.
Vous allez certainement avoir à faire à forte concurrence lors de la saison qui va commencer avec les retours de Larsson et Maxi Lopez, mais aussi la montée en puissance de l’Argentin Messi. Sous quel signe placez-vous cette saison ?
Qu’ils reviennent ou pas, moi je suis venu jouer au Barça. Ils étaient aussi là la saison dernière et j’ai bien joué. Maintenant, il faut que je me concentre pour aider mon club à devenir plus grand et devenir moi-même plus grand en même temps. La concurrence est une bonne chose pour le Barça et pour moi aussi, parce qu’elle me permet de rester toujours très fort. Chacun a donc sa place. Maintenant, les choses vont très vite dans le monde du football. Vous pouvez, du jour au lendemain, vous retrouver au banc de touche parce que vous n’avez pas été bon pendant un certain temps.
Vous n’avez pas connu le championnat camerounais de première division avant de passer professionnel. Quel regard portez-vous sur ce championnat ?
Il m’est arrivé souvent d’aller voir des matches au stade. Avec tous les talents que nous avons au Cameroun, il est tout simplement regrettable que nous n’ayons pas de stade. Sans bonnes aires de jeu, vous ne pouvons pas avoir du beau football et le niveau du championnat ne peut pas être élevé.
Envisagez-vous, malgré cet état de chose, de revenir un jour jouer dans votre pays à la fin de votre carrière comme votre idole Roger Milla le fit en 1994 ?
Non, je me vois très peu en train de revenir jouer en championnat camerounais. Ce point-là, je ne le partage pas avec Roger.
“ Lauren aimerait bien revenir en équipe nationale, mais ce n’est pas lui qui décide ”
Laporta le président du Barça a déclaré à Douala qu’il n’a jamais vu un footballeur parler autant de son pays que Samuel Eto’o. Qu’est-ce-qui vous rend si fier d’être camerounais, alors que manifestement, le Cameroun se délite ?
Nous avons la chance d’avoir un beau pays. En plus, nous ne connaissons pas la guerre, vous ne savez pas quel bonheur c’est, de vivre dans la paix. Quand vous êtes en guerre, vous ne pouvez rien entreprendre. Prenez l’exemple d’un grand pays comme la Côte-d’Ivoire qui est en guerre depuis trois ans. C’est douloureux, tous ces gens qui sont tués, ces vies brisées et le pays qui n’avance pas. Maintenant, il est une chose d’être en paix, une autre de vouloir le progrès de son pays. Au Cameroun, il faudrait que nous apprenions le sens de l’intérêt général. Il faudrait que nous nous mettions au service des autres et de notre pays, cela peut beaucoup nous apporter. Nous devons absolument l’accepter. Autrement, quel bonheur y a-t-il à être heureux tout seul ?
Justement, comment appréciez-vous la décision de certains de vos coéquipiers qui ont choisi de quitter l’Equipe nationale du Cameroun pour dénoncer l’inorganisation ambiante du football camerounais ?
Vous parlez de qui ?
Raymond Kalla et Lauren Etame Mayer, par exemple.
Mais, Raymond est convoqué pour le stage d’avant match contre la Côte-d’Ivoire. Il va revenir. Raymond n’est pas parti parce qu’il a trouvé que l’organisation n’était pas bonne. Raymond avait juste dit qu’il trouvait qu’on ne le respectait plus et moi, j’étais et je suis d’accord avec lui. Aujourd’hui, le Cameroun a besoin de joueurs expérimentés comme Raymond, il a accepté de revenir. Je lui dis merci. Nous ne pouvons qu’être fiers de ce retour. Il faut savoir reconnaître les efforts des joueurs camerounais. On n’est pas obligé d’aller jouer avec notre pays. Nous connaissons beaucoup de problèmes quand nous jouons avec notre équipe nationale. Et comme nous n’avons pas l’habitude d’aller nous plaindre dans les journaux, nous prenons tout sur nous. Dès lors, les Camerounais pensent que ce sont les joueurs qui ne font pas bien leur travail ou qui n’ont pas l’amour du maillot. Souvent nous nous retrouvons dans des conditions où il est impossible de faire un grand match et nous réussissons à faire un bon match. Croyez-moi, nous sommes des patriotes.
Il y a Lauren qui est parti lui aussi et qui, apparemment, ne reviendra pas.
Le problème, ce n’est pas Lauren. Lui, aimerait bien revenir en équipe nationale, mais ce n’est pas lui qui décide. Le problème c’est son entraîneur en club qui ne semble pas disposé à le libérer. C’est un problème sérieux, pour lui comme pour moi et tous les autres joueurs de l’équipe nationale. Si votre entraîneur en club ne veut pas de vos sorties internationales, même s’il ne le dit pas, il faut bien réfléchir avant de vous décider. Après tout, c’est dans nos clubs que nous gagnons nos vies.
Nombre de Camerounais estiment que le rendement de Samuel Eto’o avec les Lions Indomptables est en deçà de ce que vous produisez au Barça. Estimez-vous vous-même que votre potentiel est suffisamment exploité en équipe nationale ?
Je sais que je prends du plaisir, même en équipe nationale. Je suis fier de jouer avec mes coéquipiers des Lions Indomptables. Maintenant, vous n’allez pas demander à Salomon Olembé de devenir Ronaldinho ou à Achille Webo de jouer comme Xavi. Chaque footballeur s’exprime sur un terrain de football avec ses spécificités. En plus l’équipe nationale ce n’est pas un club. Les automatismes entre les joueurs ne peuvent pas être les mêmes. Au Barça, nous nous entraînons ensemble pendant onze mois, vous pouvez dès lors comprendre qu’on se trouve plus facilement les uns les autres lors des matches. Par contre, en équipe nationale, je retrouve mes coéquipiers trois ou quatre jours, et dans le meilleur des cas, une semaine avant le match. Les choses sont par conséquent beaucoup moins faciles. Mais, j’ai la conviction qu’avec le temps, à force de jouer ensemble, ces automatismes viendront en équipe nationale aussi. Avec Patrick (Mboma, ndlr), nous avions joué un certain temps ensemble et on se trouvait très facilement lui et moi lors des matches. Il ne faut donc pas qu’on essaye de trouver un problème là où il n’y en a pas. J’aimerais préciser en plus que mon jeu chez les Lions dépend aussi beaucoup des choix de l’entraîneur. A l’équipe nationale, je dois organiser le jeu. Au Barça, je n’organise pas, je vais droit aux buts.
Justement, que préféreriez-vous être chez les Lions : avant-centre, attaquant de soutien ou meneur de jeu ? Vous arrive-t-il de discuter avec Arthur Jorge de la meilleure possibilité d’utiliser l’atout majeur que vous constituez chez les Lions ?
Non, c’est l’entraîneur qui décide. Si je choisis un poste, plutôt qu’un autre, ce choix peut impliquer des bouleversements sur le plan tactique. Si je dis par exemple que je veux jouer comme avant-centre, il faut en tenir compte et prévoir les ajustements nécessaires dans le jeu de mes coéquipiers. Cela peut même aller jusqu’à un changement total de notre système de jeu. Alors, comprenez que je ne veux pas constituer un problème. Je me mets entièrement à la disposition de l’entraîneur et de l’équipe. Si le sélectionneur estime que je dois organiser le jeu et faire jouer mes coéquipiers, alors, je le fais, et avec plaisir.
Les Lions sont obligés de s’imposer à Abidjan le 4 septembre contre les Eléphants, pour espérer être de la Coupe du monde allemande. A votre avis, pourquoi cette équipe de Côte-d’Ivoire est-elle leader de notre poule ?
C’est simple : ils ont gagné la plupart de leurs matches. Nous, par contre, nous avions laissé en route des points qu’il fallait prendre, comme peut-être au Soudan et en Libye. En plus, faisons attention, la Côte-d’Ivoire est une nation de football. Ils ont une très bonne équipe nationale. Et quand vous avez une telle équipe, des gars qui en veulent et qui travaillent, et tout le peuple derrière vous pour vous pousser, les résultats suivent forcément. Chez nous au Cameroun, nous ne sommes pas suffisamment encouragés par les nôtres. Lors de certains de nos matches, il y a des Camerounais qui viennent nous insulter dans notre propre stade et jusqu’ici, nous avons fait avec. Mais, pour le match capital du 4 septembre, nous aimerions bien sentir que tout notre peuple est mobilisé derrière nous pour la victoire.
“ Côte-d’Ivoire – Cameroun, ce sera un grand match, avec beaucoup de pression ”
Avez-vous vu le match France-Côte-d’Ivoire ?
Oui, bien sûr. Je voulais bien que la Côte-d’Ivoire gagne pour l’Afrique. Dommage, ça n’a pas été le cas.
Quelles sont les forces et les faiblesses de cette sélection de Côte-d’Ivoire que vous avez vue face à la France ?
Peu importent les forces ou les faiblesses qu’ils ont pu avoir contre la France, le match contre le Cameroun sera totalement différent. Je vais vous dire que ce sera un grand match, avec beaucoup de pression, qu’il faudra cependant jouer avec la tête froide. A partir de là, le rendement n’est plus le même pour les joueurs. Ils vont jouer devant leur public et il leur faudra un bon résultat, en sachant que même le match nul est bon pour eux. Quant à nous, nous savons qu’il faut absolument gagner. Si nous marquons même à la 90e minute, nous passons. Avec un 0-1, nous sommes plus ou moins sûrs d’aller en Coupe du monde ; en tout cas nos chances sont encore intactes. Je peux vous garantir que ce sera aussi difficile pour eux, même s’ils jouent devant leur public.
Comment est-ce-que les Lions devront jouer à Abidjan contre les Eléphants ?
Un match comme celui-là est forcément un beau match. Il faudra jouer sans complexe. Ce sont les meilleurs qui ont la chance de jouer de tels matches. Il ne faudra donc pas trop réfléchir. De toutes les façons, au bout des 90 minutes, il y aura un vainqueur et un vaincu, ou alors un match nul qui prolonge le suspense dans notre poule jusqu’à la dernière journée des éliminatoires. Mais, nous nous allons essayer de jouer comme si c’était notre dernier match.
Après les éliminatoires de la Coupe du monde, viendra la Coupe d’Afrique des nations en janvier 2006. Vous allez devoir choisir entre venir jouer la Can avec les Lions, et rester en Espagne pour aider le Barça à atteindre ses objectifs. A qui accorderez-vous votre préférence ?
Mon pays passe avant tout. Je viendrai à la Can. Quand les dirigeants du Barça m’ont recruté, ils savaient bien que je devrais aller à la Can tous les deux ans. Par conséquent, j’accorderai ma préférence aux Lions Indomptables. Maintenant, étant donné qu’on jouera en Egypte, et donc pas très loin de l’Espagne, on peut imaginer que j’alterne entre les Lions et le Barça. Mais, une telle décision devra être prise par les dirigeants de la sélection nationale et ceux du Barça. Moi, je ne suis qu’un joueur et je ferai ce qu’ils décideront.
Ne pensez-vous pas qu’il y a un peu trop de compétitions à disputer pour les footballeurs professionnels africains ? Seriez-vous favorable à ce que la Coupe d’Afrique des Nations se joue tous les quatre ans, comme l’Euro par exemple ?
Ce serait peut-être une bonne solution de faire jouer la Can tous les quatre ans. Mais, même si elle devait se disputer tous les deux ans, le calendrier international ne devrait pas obliger les joueurs africains à perdre des matches avec leurs clubs. Le calendrier international doit tenir compte de la Coupe d’Afrique des Nations. Plus joueurs africains évoluent aujourd’hui dans de grands clubs européens. Ceux qui choisissent d’aller à la Can plutôt que de rester dans leurs clubs, courent le risque de perdre leurs places en club s’ils ne sont pas très importants pour leurs clubs. Cela pose un vrai problème.
Vous avez déclaré à France Football en février 2002 que si le Cameroun gagnait la Can 2002 et parvenait en quarts de finale de la Coupe du monde au Japon, vous pouviez alors arrêter le football. L’Afrique est-elle condamnée à être quart de finaliste, que lui manque-t-il pour gagner la Coupe du monde ?
Ce n’était pas une blague. Une équipe qui va plus loin que cela est professionnelle et bien structurée. Nous n’en sommes pas encore là. Si nous voulons gagner la Coupe du monde, nous devons être plus sérieux que nous ne le sommes. Il faut bien préparer la compétition, faire des stages sérieux et des matches amicaux avec des équipes conséquentes. L’organisation autour des joueurs doit également être parfaite. Vous ne pouvez pas passer trois jours dans un avion pour aller en Coupe du monde et prétendre que vous allez gagner cette Coupe du monde. Et puis, pourquoi ne pas le dire, pour qu’un pays africain atteigne la finale de la Coupe du monde, il faudrait peut-être déjà qu’il y ait moins de corruption dans le football.
Après l’élimination du Barça par Chelsea en Champions League, vous avez sévèrement critiqué l’arbitre italien Collina, auteur d’une grosse erreur d’arbitrage sur le quatrième but de Chelsea qui vous élimine. Seriez-vous pour le recours à la vidéo pour limiter les erreurs d’arbitrage ?
Non, la vidéo ne serait pas une bonne solution. Ces erreurs d’arbitrage font partie du football. Elles rendent le football encore plus beau.
Vous avez plus d’une fois été assimilé à un singe dans les stades espagnols. Qu’est-ce-qui est à l’origine du racisme dans le football ? Comment pensez-vous qu’on puisse l’éradiquer ?
Ce sont certainement des gens qui n’ont pas toute leur tête. Ils n’ont rien à faire dans les stades de football.
“ C’est dommage que le destin de Drogba croise toujours le mien ”
Samuel, pouvez-vous réagir librement à l’évocation des noms des personnalités suivantes du monde du football :
Florentino Perez…
Il a sa politique et celle-ci est respectable dans le monde du football. Mais, je pense que dans le football, on ne peut pas vivre seulement du passé, il faut faire aussi avec le présent et miser sur l’avenir.
Didier Drogba
Ah, Didier ? Mon frère Didier. C’est un excellent joueur. Je suis heureux de parler de lui parce que, en tant que footballeur africain, il représente dignement et valablement l’Afrique. J’aurais bien aimé le voir en Coupe du monde, mais c’est dommage parce que son destin croise toujours le mien. Je ferai tout pour défendre les couleurs de ma nation le 4 septembre, je pense que lui aussi. Alors, comme nos deux nations sont de grandes nations de football, je pense que c’est celle qui aura plus de chance qui ira en Coupe du monde.
Ronaldo
Un très grand joueur. Sans doute l’un des meilleurs attaquants au monde. Mais, je pense qu’en ce moment, il passe plus son temps à parler qu’à jouer au football.
Thierry Henry
Un bon joueur, l’un des meilleurs attaquants au monde. Je suis content qu’il soit revenu de sa blessure.
Zidane
Zizou ? Il y a très peu de joueurs qui peuvent se permettre de jouer au football comme lui. Je souhaite qu’il joue encore plusieurs années pour que le monde du football puisse profiter longtemps de son immense talent.
Diego Forlan
Il a fait une très bonne saison et je crois qu’il a mérité d’être pichichi avec le journal Marca.
Maintenant, pouvez-vous considérer un instant que vous n’êtes pas Samuel Eto’o, mais quelqu’un d’autre ? Qu’est-ce-que vous n’aimeriez pas en Samuel Eto’o et quels conseils lui donneriez-vous pour changer ?
Samuel Eto’o fait un peu trop confiance et ce n’est pas bon, puisqu’il a toujours été trahi. Je demanderais donc à Samuel Eto’o de faire un peu plus attention.
Samuel, lorsque vous mettrez fin à votre carrière de footballeur, allez-vous prendre des cours de Droit pour devenir Avocat et satisfaire un vieux rêve d’enfant ou bien, avez-vous déjà d’autres rêves ?
Pour le moment, je veux encore pleinement jouer au football et prendre plaisir. Après, quand j’arrêterai, j’aurais le temps de réfléchir à la question et d’embrasser une autre carrière. Avocat ? Je verrai. Je verrai.
Entretien mené par Ambroise EBONDA