Il y a des façons de somatiser qui ne trompent pas. On sait tout de suite qu’on est en Afrique noire lorsqu’on se trouve au milieu de gens prompts à attribuer à tout phénomène qu’ils ne comprennent pas des causes toujours terre à terre. La mort, par exemple, est l’avatar privilégié de la malchance ou, mieux encore, le résultat de l’action maléfique d’un cousin ou d’un sorcier. Sur le front du football, tout est aussi simple, tout s’explique directement, toute situation tient à une cause immédiate.
Alors, somatisons voir. On n’avait pas autant, avant l’arrivée de M. Pfister, cherché à comprendre la composition des Lions, les raisons pour lesquelles l’équipe ne marquait pas beaucoup de buts, la pléthore de défenseurs, l’inaptitude apparente et subite du pays à produire des attaquants. Ces questions sont actuellement au centre de tous les débats et, tout naturellement, les jobards des forums de discussion et les demi-dieux du gotha médiatique sportif ont une réponse immédiate : la frilosité toute teutonne du coach l’empêche de construire une équipe offensive.
Il existe, sur le spectre des raisonnements bien africains, une explication encore plus convaincante parce qu’elle est plus terre à terre encore : c’est Dieu qui veut qu’on n’ait que des demis défensifs. C’est évident, parce que, autrement, comment expliquer qu’un coach gaulois, un coach batave, un Camerounais, et un Lusitanien aient résolument, au fil des années, cherché à bâtir une équipe essentiellement défensive ? Allah, Dieu ou Yahvé est ici le refuge tout indiqué pour des esprits relativement simples. Et qui pourrait leur en vouloir ?
Il y a pourtant, parbleu ! des explications plus convaincantes si on se donne la peine de réfléchir autrement que selon des schèmes déjà établis. On pourrait par exemple aborder la question de la pénurie relative actuelle d’attaquants en faisant un retour en arrière. Combien de buts les Lions ont-ils marqué en moyenne depuis, disons, 1982 ? La tendance 1982 à 2007 est-elle relativement homogène ou affiche-t-elle des distorsions significatives selon les périodes ? Mieux encore : combien de fois avons-nous, toujours depuis 1982, aligné deux avants ayant le « sens » du but alimentés par un ou deux demis portés à l’attaque ? Deux fois ? Trois fois ? Voire !
Encore une fois, je vous vois venir : vous allez me citer un joueur par ici, un coach ou un match par là. C’est risible. On ne bâtit pas une tradition offensive lorsqu’on produit tous les dix ans un joueur exceptionnel et deux ou trois garçons compétents. En 1982 et juste avant, la seule époque où, je le crois fermement, l’effectif des Lions était composé à 60% d’éléments remarquables, il y avait une génération de footballeurs de grand talent. Peu importe qu’à cette époque on ne mesurait pas vraiment aux grandes puissances mondiales, nous savons que nous avions un « groupe » de grands joueurs.
Depuis, nous peinons à voir éclore un groupe de garçons dans la même tranche d’âge. Cela est un fait. On peut faire tous les mauvais procès qu’on veut à nos coachs, mais on ne peut pas ne pas reconnaître que le fond du problème est là. Le coach fait avec ce qu’il a.
Tous ces garçons dont on parle en Autriche, en quatrième division allemande ou suisse, à Garoua, en Malaisie ou en Tunisie, s’ils étaient vraiment des foudres de guerre, ils ne seraient sans doute pas là où ils sont et, de plus, ça se saurait. La conviction, largement acceptée par tous les Camerounais, que le Cameroun est une « grande » nation de foot est mauvaise conseillère. Nous sommes sans doute une puissance en Afrique côté foot, un peu comme la Guinée Equatoriale l’est côté pétrole. C’est tout, et ça veut dire ce que ça veut dire.
Je me rappelle avoir dit ici que la retraite de Mboma, la mauvaise humeur de Etamé et le décès de Foé allaient nous faire baver longtemps. Je vous prédis encore des jours difficiles. Cette situation, l’inaptitude d’un grand pays de foot à remplacer trois éléments de son équipe première, devrait donner à réfléchir. Cela n’arriverait jamais en Argentine, par exemple. Parce que le statut reconnu de grande nation de foot dont jouit ce pays repose sur sa réputation de vivier de stars qui animent et le championnat et tous les grands championnats du monde.
L’Argentine pourtant, avec ses stars et son grand championnat, ne nous a jamais battus. C’est à ce genre de situation inexplicable que pense un vieux briscard comme M. Pfister. Il ne veut sans doute pas être celui par qui le scandale va arriver. Pour empêcher que l’Argentine nous batte sous son mandat, le vieux coach sait qu’il n’a d’autre choix que de soigner sa ligne Maginot. Et c’est la sagesse même pour le court et le moyen terme.