La question des stades, je l’avoue, ne m’intéresse que légèrement, sans doute par dépit, parce qu’elle m’embarrasse profondément et pèse sur mon ego de ressortissant du seul pays au monde dont la seule valeur positive sur les marchés internationaux, quoique nettement en baisse, est le football. Il ne faut surtout pas croire que j’en aie contre les bâtisseurs de stades. Comment pourrais-je battre froid à des hommes et à des femmes qui cherchent à me donner ce que j’espère depuis longtemps et ce que j’envie depuis des décennies chez mes voisins moins fortunés ?
Le brouhaha dans lequel s’engloutit le landerneau depuis un certain temps n’assourdit que les sempiternels jobards qui gobent tout sans poser de questions et donnent ainsi, à tous les potentats grands et petits dans notre pays, un blanc-seing perpétuel dont ils se hâtent d’abuser.
Le Cameroun, il faut cesser de le dire et de le croire, n’est ni une exception ni un cas particulier. Les Chinois qui viennent construire un stade chez nous ne sont pas différents des Chinois qui construisent des stades ailleurs. Les stades que nous aurons n’ont rien de particulier par rapport aux autres. Pourquoi alors faire comme si nous étions différents, c’est-à-dire supérieurs, alors que la réalité projette tous les jours à nos yeux l’image d’un peuple réfractaire à toute idée de modernité qui se complaît dans la kleptomanie et le mépris du bien public au service du plus grand nombre?
Pourquoi cette débauche d’énergie maintenant au sujet de la construction de stades et autres installations sportives ? Il y a dix ans, on n’avait pas plus d’argent qu’on en a maintenant. Pourquoi n’avons-nous pas emprunté à cette époque ? Pour mémoire, les Chinois étaient déjà là, fourguant à qui voulait des ressources en échange soit du pétrole soit du manganèse. Le Stade des Martyrs, le plus grand d’Afrique noire, a été livré en 1994 par ces mêmes Chinois à la RDC d’aujourd’hui, au faramineux coût de 38 millions de dollars, soit environ 29 millions d’euros.
Les Maliens ont construit en 2002 le Stade du 26 mars, d’une capacité de 50 000 places, sur un financement conjoint du budget de l’État à hauteur des deux tiers et un prêt du gouvernement chinois. Vous avez bien compris : le Trésor malien, lui, est en mesure de trouver des ressources propres pour des investissements valables. Les travaux, exécutés par la Société générale d’ingénierie d’outre-mer de Chine, ont coûté 25 millions d’euros.
Entre-temps, nous faisons le gros dos avec une niaiserie qui s’appelle Warda. En plein centre de Yaoundé, un centre sportif de 5 000 places, citoyens ! Que vaut donc une installation sportive de 5 000 places, surtout quand elle est la seule, pour une énorme ville et une région qui auraient droit à dix du genre ? Pour mémoire, le Palais des sports d’Abidjan, construit il y a plus de 15 ans, a une capacité de 15 000 places.
Les mêmes Chinois qui viennent chez nous ont construit à Dar-es-Salaam un stade couvert de 60 000 places, avec hôtel et tout, pour 48 millions de dollars, soit autour de 37 millions d’euros. Le stade d’Olembé, très partiellement couvert, coûterait 41 millions si on part du principe que l’enveloppe globale de 415 millions d’euros financera la construction de dix stades. Évidemment, aucun de mes lecteurs ne croit sincèrement que le MINSEP fera construire, à court terme, dix stades au pays. Un stade à Bertoua, à Bamenda et à Buéa ? Vous rigolez !
Je peux même parier avec mes lecteurs que cela ne se fera pas. Parce que cela a toujours été comme ça et, sur la foi de l’opacité, des à-peu-près, des non-dit et autres curiosités qui ont entouré la publication de l’accord avec les Chinois, on a toutes les raisons de croire qu’une fois de plus, nous nous retrouverons avec l’Axe lourd au lieu d’une autoroute à quatre voies.
Une image valant mille mots, je prie mes lecteurs de revoir la photo (officielle ?) des adieux de M. Edjoa aux Chinois de la CEMEC. Il y a deux choses qui crèvent les yeux. D’abord les Chinois. Ils portent exactement les mêmes cravates qu’ils arboraient quelques jours plus tôt, au moment de la présentation du projet. Que chacun donne à ce détail le sens qu’il veut. Ensuite, à la droite du ministre, il y a M. Roger Melingui. Encore une fois, libre à mes lecteurs d’interpréter cela comme ils le veulent.
Seulement voilà : ne se met pas à la droite du ministre, sur une photo officielle, qui veut. La dernière fois que j’ai consulté le Who’s Who du Cameroun, M. Melingui, certes ancien grand patron de l’ONCPB et ancien ministre, n’était qu’un simple homme d’affaires largement local. La place qu’il occupe sur la photo eût été plus indiquée pour le président de la Fécafoot, le directeur des sports ou de l’INJS ou peut-être un autre grand fonctionnaire de la République. Mais, c’est une autre histoire…
Puisque personne ne pense utile de nous donner l’heure juste lorsqu’il s’agit de transactions visant des marchés importants, nous ne pouvons que nous perdre en conjectures. Ce serait donc de la faute de M. Edjoa si nos suppositions manquaient légèrement de mordant, ce dont je doute.
M. Melingui est le patron de la Société civile immobilière de l’Afamba (SCIA) qui gère, avec sa filiale la Compagnie générale immobilière, trois lotissements à Yaoundé et dans les environs. M. Melingui est donc un simple promoteur immobilier qui vend principalement des terrains à bâtir. Sa sphère d’action n’a pas, jusqu’alors, dépassé les frontières de la Mefou. Pour mémoire, les terrains de l’Afamba sont vendus entre 15 000 et 50 000 francs le mètre carré. Ce n’est pas exactement une œuvre de charité.
Première supposition : M. Melingui va vendre au MINSEP le terrain sur lequel sera construit le stade d’Olembé. Solide au demeurant, cette supposition ne répond néanmoins pas à la question de la très lourde présence de M. Melingui autour de M. Edjoa. Après tout, un vulgaire marchand de terrains ne participe quand même pas à la signature d’un contrat d’État.
Deuxième supposition : M. Melingui, qui sait très bien interpréter un bilan, est un pion important dans le montage financier de l’opération d’Olembé. Logique et bien camerounais. Il vendrait des services à un projet dont il monte les contours financiers. Du grand art ! Avoir à ses côtés un as de la finance comme M. Melingui doit sans doute rassurer M. Edjoa, qui ne doit pas savoir l’utilité du moindre ratio financier. Par ailleurs, si j’avais, comme les Chinois, promis de décaisser 415 millions d’euros, j’aurais sans doute recruté M. Melingui pour veiller sur mon investissement au Cameroun. Ceci explique peut-être bien cela.
Mais voilà, je ne suis pas Chinois. Comme tous mes lecteurs, je me pose la question suivante : le MINSEP et le Cameroun n’ont pas un sou pour financer le cinquième de la construction du moindre stade. Comment peuvent-ils, dans ce cas, retenir les services d’un promoteur immobilier dont ils peuvent aisément se passer ? L’État du Cameroun s’est-il engagé à acheter, au prix fort sans doute, un terrain rural qui lui appartient de droit ?
Faut-il rappeler au MINSEP que l’État dispose de deux grandes sociétés dont le rayonnement est dix fois plus important que celui de la SCIA ? La MAETUR de Mama Fouda et la MAGZI ont été créées exactement pour respectivement aménager des terrains pour la construction résidentielle et pour la construction industrielle. Il s’agit de sociétés d’État dont les interventions sur le projet d’Olembé pourraient également servir sur d’autres sites à travers le pays, à un coût sans doute beaucoup plus faible. Elles auraient sans doute été contentes de proposer des terrains au MINSEP.
Mais les choix que semble privilégier le MINSEP sont des choix que nous avons toujours faits avec les résultats lamentables que nous avons toujours obtenus. Nous n’aurons jamais dix stades, ce serait d’ailleurs heureux si celui d’Olembé sortait de terre, mais nous paierons sans doute plus que de raison.