Le grand Manitou a-t-il oui ou non donné 50 millions ? C’est la ritournelle de ce mois de mars, ce mois mi-figue mi-raisin qui a vu naître un de vos scribes préférés et qui est aussi le mois de l’impôt sur le revenu. Une fois les libations de l’anniversaire terminées, le contribuable mis à nu par le fisc n’a certainement pas le cœur à la fête. Et voilà que, fauché comme les blés, enveloppé dans sa feuille d’impôt qui lui sert de feuille de vigne pour cacher ce qu’il ne puit décemment montrer, on lui assène ad nauseam une affaire de largesse présidentielle, de millions par ici, de centaines de milliers de francs par là.
Comprenez bien votre chroniqueur : éducation soignée, humeur égale, il ne s’emporte pas à la légère. C’est un contribuable habituellement content de payer à Paul ce qui appartient à César. Il l’est toutefois un peu moins lorsqu’il a l’impression que sa contribution n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur. Vous avez bien dit qu’Il a donné 50 millions à Roger Milla pour les obsèques de l’épouse de ce dernier ? On demande à savoir parce qu’il y aurait comme un petit problème.
On imagine que le grand patron n’a pas cassé sa tirelire pour faire ce magnifique geste. Autrement, on n’en aurait pas parlé si fort et si haut, étant entendu qu’une action aussi personnelle et aussi privée n’est habituellement pas l’objet de tant de controverse et de publicité dans les gazettes et les dîners en ville.
Alors donc, si ces fameux 50 millions sortent des caisses de l’État, donc de la tirelire commune, il convient de rectifier le tir, de clamer, urbi et orbi, que le chef a fait, au nom de ses chers compatriotes contribuables, une contribution de 50 millions aux obsèques de la regrettée madame Milla. C’est juste. Qu’on applaudisse la manificence et la grandeur du geste ! Qu’on baise les pieds du grand seigneur ! Qu’on le salue bien bas ! Mais si aucune contribution n’est venue du sommet, qu’on laisse tomber. Moi non plus, je n’ai rien donné. Il n’y a pas de honte à être fauché de temps en temps.
Cela dit, revenons un peu en arrière, et considérons ces deux choses, au demeurant banales chez nous : les contributions de personnes privées et le décès d’une personne au Cameroun. Peu importe la façon dont madame Milla a trouvé la mort, le résultat est le même : une femme encore jeune a été brutalement enlevée à sa famille et à ses amis. C’était, j’en conviens, la femme du Camerounais sans doute le plus connu à l’extérieur du pays et dont le crédit de popularité est resté intact et sans tâche depuis 1990.
Peu importe la stature, le rayonnement et la gloire de Milla : sa peine est la peine ordinaire du mari qui perd son épouse. Peu importe notre amour pour lui et pour sa femme, peu importe les relations de Milla et de la malheureuse épouse : le poids financier des obsèques au Cameroun s’articule toujours autour des trois grands pôles que sont la prise en charge des invités, amis et connaissances, le transport vers le lieu d’inhumation et l’achat du cercueil.
Ce fardeau financier est aisément prévisible et modulable selon les capacités de la famille concernée. Le cas qui a endeuillé le Cameroun et d’autres pays en janvier est sans doute un cas spécial. Madame Milla était par alliance une personne publique. Ses obsèques devaient forcément être exceptionnelles, donc fort chères.
On le comprend bien, mais il n’empêche. Les contributions que nous apportons lors d’un décès ont pour seule vocation d’aider les survivants à supporter les obligations financières d’obsèques dignes. C’est tout. Les contributions effectives ou supposées aux obsèques de madame Milla dont les journaux camerounais ont fait écho ont de quoi faire tourner la tête. À quelles fins servent donc des contributions ostentatoires de montants stratosphériques ?
Le peu que je connais de Milla, que j’ai revu digne dans sa douleur, me porte à croire qu’il n’a cure de la taille des enveloppes. Il a enterré sa femme, et il ne demandait pas plus. Alors, 50 millions par ici, 10 millions, 5 millions par là, pour acheter quoi au juste ? Un lopin de terre à Japoma, 200 caisses de champagne, 500 parcours Douala-Japoma en bus ou 50 bœufs et 200 kilos de riz ? Cet argent dont on a parlé avait-il un autre but immédiat que d’aider Milla à enterrer sa femme ? A-t-on besoin de 50, de 100 millions ou plus pour enterrer dignement une personne au Cameroun ?
Non, bien sûr. Les cas de malheur comme celui que nous venons de vivre, qui devraient nous inciter au recueillement, au soutien et à l’appui dans la discrétion et le respect, sont en fait les occasions rêvées pour en mettre plein la vue ou acheter une conduite. Ces enveloppes qu’on brandit devant les caméras sont en fait bien vides, car elles sont généralement motivées par la soif bien camerounaise du m’as-tu-vu. Milla, malin comme il a toujours été, saura reconnaître les siens.
L. Ndogkoti