Sous couleur d’acte de contrition, je dirais que l’entraîneur des Lions indomptables du Cameroun n’est certainement pas un manchot. Je pourrais dire plus, bien sûr, peut-être même battre ma coulpe, parce que la mauvaise manière que j’ai faite à cet homme n’est pas, j’en conviens, totalement justifiée. Mais je n’irai pas plus loin, je ne suis pas dans le business de jeter des fleurs à tout venant. Je suis rancunier et résolument fesse-mathieu lorsqu’il s’agit de distribuer indulgences et congratulations.
La volée de bois vert qui s’est abattue sur le coach à sa nomination n’était pas suscitée par un doute généralisé quant aux aptitudes techniques de ce dernier. Il connaît sans doute son métier. Moi et les autres Camerounais ulcérés par l’ukase de M. Edjoa n’avons pas réagi de façon épidermique, mais plutôt en fonction d’une certaine idée que nous avons des Lions et de la place de notre pays dans le monde. Je ne retire rien de ce que j’ai dit, je continue de croire que nous méritons un coach autre que M. Pfister, j’estime qu’il est du devoir de tout ministre des sports camerounais de confier les rênes de l’équipe à un Camerounais compétent, parce qu’il en existe bel et bien.
Cela dit, ne nous voilons pas la face et reconnaissons-le : M. Pfister a été exemplaire à tous les égards. Véritable sphinx au milieu de la tourmente que charrient les rapports entre la Fécafoot et le MINJES, il a évité avec maestria la chausse-trape que représente toujours le choix d’un camp contre un autre. On est loin des jérémiades nauséeuses de Jules Nyongha et des pitreries de Aarie Haan. La Fécafoot, qui pendant longtemps a laissé entendre que M. Pfister n’était pas son homme et qu’elle entendait à terme recruter un entraîneur à son goût, se fait toute petite dans son coin. Comment pourrait-elle, sans passer pour un matamore, continuer de tirer sur un type inoffensif qui prêche l’amour et la réconciliation ? M. Pfister militarise son domaine tout en douceur.
Fin politique donc, notre coach, et ce n’est pas la moindre de ses vertus. Par exemple, dites-moi : existe-t-il parmi mes lecteurs quelque écervelé qui oserait nier que c’est bien Otto Pfister qui a gagné les deux matchs terribles contre la Tunisie et le Ghana il y a quelques mois ? Nyongha, Jorge et Schaeffer réunis les auraient-ils gagnés ? Lorsque, la veille du match contre le Ghana, il avait dit qu’il savait comment battre les Ghanéens, j’avais cru à une bravade et à la manifestation du souci naturel pour un coach de montrer la confiance et la détermination. Je crois maintenant que M. Pfister savait de quoi il parlait.
Mais connaître le football africain n’est pas tout. Il y a mieux, bien sûr, et la dernière liste de présélectionnés fait transparaître une clairvoyance peu commune de la part d’un technicien qui a eu à peine le temps de s’acclimater à son nouvel environnement. Sur la foi de cette liste, on peut dire tout de suite que M. Pfister a vite compris, et c’est terrible de le dire, que l’avenir du football camerounais ne se trouve pas vraiment au Cameroun.
C’est pourtant clair depuis de longues années qu’il y a peu à espérer d’un environnement aussi lamentable que celui de notre football. Avant, on pouvait toujours compter sur l’éclosion accidentelle d’un Milla ou d’un Abéga des terrains vagues de Douala ou de Yaoundé. Il n’existe plus de terrain vague dans aucune agglomération du pays. Les écoles de football, en revanche, font florès, un peu comme les nouvelles églises qui promettent un miracle, une guérison ou un enrichissement immédiats. On n’attend plus le Royaume que nous promettait le bon vieux christianisme fait d’ascèse, d’abnégation, d’amour et de travail ; on va à l’école de foot pour devenir tout de suite Samuel Eto’o. Sans grand investissement, sans culture du travail, sans engagement personnel. C’est nous ça, les Camerounais.
Le vieux coach a vite compris qu’il n’y a rien à attendre de Mbouda ou du côté de Nanga Eboko. Il s’est lancé dans la chasse des Camerounais accidentels des championnats européens. Ces garçons qui ont des noms composés, vaguement de chez nous, et auxquels on prédit de très grandes choses. Des Camerounais, les Choupo, les N’Gog, les Matip et bien d’autres ? Peut-être, mais qui n’ont aucun atome crochu avec nous et que nous n’intéressons absolument pas. Comment leur en vouloir, vraiment ?
Les meilleurs de ces garçons-là ne viendront jamais jouer avec nous. M. Pfister le sait. Lorsqu’on se fait snober pendant des années par des plombiers comme Assou-Ekoto, on révise ses ambitions à la baisse face à des diamants annoncés comme Choupo. Mais abandonner ? Jamais, bien sûr. Le vieux monsieur a sans doute senti, comme moi, une évolution vertueuse prendre corps sous la forme d’un « ntong » qui nous avait abandonnés depuis les années Leroy. Nous avons bien eu Mboma, non ?
Alors, laissons nos Lions entre les mains d’un vieillard retors et pas bête et du « ntong ». C’est une ambition qui vaut bien une autre, et ce n’est pas totalement négatif.