Peu avant le match de la Libye nous tenions une conférence comme je ne l’ai jamais vécu par le passé. Il y avait environ 200 á 300 personnes dans la salle. Devant ma table était 12 personnes que je ne connaissais pas du tout. Le théâtre a duré une heure et demie. Une autre surprise pas des moindres était celle avant notre premier entraînement á Yaoundé, où les herbes á hauteurs de genoux nous attendaient au stade.
NZZ am Sonntag : Comment vit-on au Cameroun, Mr. Jorge ?
Artur Jorge : En tant qu’entraîneur de foot, quand on gagne, tout le
monde est content et par conséquent on peut vivre bien partout dans le
monde. En Europe tout comme en Afrique. Je me retrouve tout de même
avec le Cameroun tout dans une situation délicate.
A ma prise de fonction nous avions 5 points de retard sur la Côte
d’Ivoire, aujourd’hui ce ne sont plus que deux. Notre qualification
pour la coupe du monde 2006 passe par une victoire a Abidjan en début
septembre, chose pas du tout facile.
NZZ am Sonntag : Un échec serait synonyme de tragédie
Artur Jorge : Oui, ce serait le cas. Tout le monde au Cameroun aime le foot et surtout
l’équipe nationale. C’est l’équipe de la nation, qui aide les gens á
mieux respirer. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce qui se passe avant
les entraînements. Ils sont tous au stade et veulent parler avec les
joueurs, raison pour laquelle nous sommes toujours obligés d’attendre
jusqu’à ce que quelqu’un aie réussi à mettre de l’ordre. Le football
au Cameroun est comme une religion.
NZZ am Sonntag : Vous devriez donc vous sentir comme une sorte de dieu ?
Artur Jorge : Non, je veux juste aider á former autour de quelques jeunes joueurs une
grande équipe nationale. Le Cameroun jouit d’un immense réservoir de
talents, qu’on ne connaît très souvent pas, parce qu’ils sont
éparpillés dans tout le monde. Ces garçons font des choses avec le
ballon, qu’un européen ne saurait faire. Que ce soit dans les villes ou
villages, ils jouent á longueur de journée au football comme nous le
faisions avant au Portugal. On ne voit plus ce genre de choses de nos
jours en Europe.
NZZ am Sonntag : Dans un sondage sur Internet, 72% des participants vous font confiance.
Apparemment vous êtes le bienvenu au Cameroun ?
Artur Jorge : Je crois oui, même si je ne le ressens pas comme ça : A mon arrivée,
j’ai été accueilli comme un dieu.
NZZ am Sonntag : Donc vous vivez là le contraire de votre Intermezzo suisse ?
Artur Jorge : On peut le dire. La Suisse est pays un peu spécial et ça je le savais,
quand je me suis engagé en 1996 á prendre en charge son équipe
nationale. J’appris par contre á connaître un pays plutôt très spécial.
NZZ am Sonntag : Qu’y a-t-il d’aussi spécial ?
Artur Jorge : Le football n’est pas important en Suisse. En plus il y a, si on peut le
formuler ainsi, 4 nationalités avec tout ce que cela comporte comme
conséquences : Les uns qui sont toujours contre les autres. Je ne
m’attendait pas á tout ça et en plus le fait que j’aie été auparavant
au Portugal et en France n’a fait que compliquer les choses.
NZZ am Sonntag : Pour qui ?
Artur Jorge : Ceux du nord, de Zurich. Mais tout ça c’est du passé même si, ni avant
et ni après, je ne l’ai jamais vécu. Le « Blick » avait signé un pacte
avec mon prédécesseur (Roy Hodgson), qui, á l’époque, entraînait je ne
sais plus très bien quel club (Inter Milan) et aurait bien voulu être
parallèlement sur le banc de touche suisse pendant l’Euro en
Angleterre. On faisait tout pour pouvoir me faire mal. Ce qui s’est
passé était mauvais pour tout le monde : Pour moi, les joueurs et le
football suisse.
NZZ am Sonntag : Au Cameroun les politiciens sont encore plus dangereux que les mass
medias. Avec qui avez-vous signé votre contrat ? La fédération ou le
ministère des sports?
Artur Jorge : Avec tous les deux.
NZZ am Sonntag : Et qui vous paye ?
Artur Jorge : Je n’ai aucune idée.
NZZ am Sonntag : Et on vous laisse travailler en paix ?
Artur Jorge : Le ministre des sports a insiste lors de ma prise de fonction sur le
fait que ni lui ni la fédération de foot n’allait s’immiscer dans mon
travail. Au Cameroun je peux travailler comme partout ailleurs dans le
monde. Si jamais il arrivait que ce ne soit plus le cas, je partirais
sur le champ et sans hésiter un seul moment.
NZZ am Sonntag : Vous donnez l’impression en public d’être timide. Quand vous avez
beaucoup de monde autour de vous on a l’impression que vous soyez
paralysé. Comment pouvez-vous vous sentir á l’aise dans un pays
archaïque comme le Cameroun où les gens n’ont peur de rien ?
Artur Jorge : Je souhaiterais certes un peu plus de discrétion… Il y a deux ans je me
suis rasé la moustache et du coup personne ne me reconnaissait.
Artur Jorge : Imaginez vous que je pouvais flâner á Lisbonne sans être reconnu par
qui que ce soit. C’était superbe. Au Cameroun, j’ai quand même assez de
temps pour lire écouter la musique et discuter avec mes amis.
NZZ am Sonntag : Et comment ça se passe avec votre vie de poète ? Ecrivez-vous encore
des poèmes ?
Artur Jorge : Non, je ne le fais plus, même si ça reste quelque chose de très
important. Ce n’est plus du tout possible aujourd’hui. J’écris plutôt
des choses pour moi-même.
NZZ am Sonntag : L’Afrique avec ses couleurs et ses mythes devrait pourtant vous inspirer
?
Artur Jorge : L’Afrique m’inspire autrement. Au début de ma carrière au Portugal j’ai
fais une tournée en Angola et au Mozambique avec l’Academica de
Coimbra. Nous avons 1 mois dans chacune des deux anciennes colonies
portugaises; J’étais stupéfait face á la beauté de ces pays. Peut-être
que c’est en ce moment là que j’ai commencé á aimer L’Afrique, ce
continent totalement différent de l’Europe. Le climat et les gens sont
complètement différents – Ils aiment le football. L’Afrique est un
grand et un beau continent avec des gens fantastiques mais par contre
avec beaucoup de problèmes qui perdurent.
NZZ am Sonntag : A Coimbra vous avez étudie á une université de gauche, avez lutté contre
la dictature et vouliez améliorer le monde. Pouvez-vous nous décrire
l’effet de la pauvreté et le manque de perspectives sur les camerounais
?
Artur Jorge : Avant, quand on était jeune, on pensait autrement, on voyait le monde
avec d’autres yeux que ceux de la vieillesse. Quand on regarde
aujourd’hui un peu autour de soi…
NZZ am Sonntag : … Quelle est la conclusion ?
Artur Jorge : Que le monde est comme on se le représentait ; que tout ce qu’on
imaginait il y a 30, 40 ans s’est passé. Je suis un peu déçu lorsque
je lis les journaux ou suis la télé. Je crois que nous sommes tous
déçus.
NZZ am Sonntag : Votre star Samuel Eto’o touchera 4 Millions d’Euro par an á Barcelone
pendant que plusieurs jeunes camerounais ne peuvent pas jouer au foot
car les clubs tout comme les écoles n’ont pas de moyens pour s’acheter
des balles. Comment se sent-on en tant que membre d’un système aussi
absurde ?
Artur Jorge : Que dois-je faire ? Arracher aux joueurs ce qu’on leur donne ? Il est
difficile pour une personne au statut qui est le mien de parler de ce
genre de choses. Je ne veux pas en plus, comme la plupart des européens
en Afrique, me prendre pour un super connaisseur.
NZZ am Sonntag : Vous avez par contre certainement procédé á des changements á l’équipe
nationale depuis que vous avez pris les choses en main?
Artur Jorge : Evidemment. Mais très souvent ce n’est qu’après les effets de surprises
qu’on est á mesure de corriger le tir. Peu avant le match de la Libye
nous tenions une conférence comme je ne l’ai jamais vécu par le passé.
Il y avait environ 200 á 300 personnes dans la salle. Devant ma table
était 12 personnes que je ne connaissais pas du tout. Le théâtre a duré
une heure et demie. Une autre surprise pas des moindres était celle
avant notre premier entraînement á Yaoundé, où les herbes á hauteurs de
genoux nous attendaient au stade. C’est dur par moment de garder la
tête froide. Les africains possèdent un talent immense mais ne sont
pas toujours capable d’en tirer le maximum.
Andreas Kopp