Il est apparu ces dernières années, sur le front du développement international, un mot terrible : « ownership ». L’appropriation par les groupes et les peuples bénéficiaires de projets de développement a enfin été reconnue comme étant l’ingrédient incontournable du succès de toute intervention visant l’élévation du bien-être des populations. C’est une façon claire de reconnaître que le développement ne se décide pas à Washington, à Paris, à Londres ou même à Etoudi, peu importe les bonnes intentions des têtes d’œuf qui instruisent ces projets, mais bien au niveau local. Ce qui est vrai pour le développement l’est aussi pour le football.
Nous avons toujours subi. Nous n’avons jamais été consultés. Nous ne nous sommes jamais fait entendre, nous les figurants dans la comédie que jouent sans vergogne tous les Edjoa d’hier et d’aujourd’hui, nous les couillons qui gobons tout, consommateurs boulimiques des miettes que jettent de temps à autre les princes du football sacrés par notre Dieu à nous tous.
Commencer 2008 au Cameroun en parlant de football est, au choix, indécent ou embarrassant. Dans notre pays, en ce début d’année, le football n’est rien. Il n’est rien à comparer à l’état lamentable de la santé, de l’éducation, de l’infrastructure. Il n’est rien dans un pays que nous croyons moderne, mais qui manque de mercurochrome dans les mouroirs qui passent pour des hôpitaux. Il n’est rien dans un pays où des gens se font tuer parce qu’ils réclament le droit à quelques heures d’électricité par jour.
Un jeune homme est défenestré en plein jour, au centre de notre capitale, et rien ne se passe. Un diplomate est tué dans l’indifférence générale. Une femme meurt sur une table d’opération, pour une banale ablation d’un fibrome, parce que l’anesthésiste ne s’est jamais occupé de savoir si elle avait mangé avant de l’endormir. Entre Song Mbengue, le village de Samuel Etoo, de Billong Pensée et de Massing, et la cuisine de ma mère, au nord, il y a 22 kilomètres qu’il est pratiquement impossible de franchir en voiture.
Et pourtant, sur cette page où je joue les Arlésienne, je bombe le torse, je roule mécaniques, et je ne parle que de football ! Vous comme moi, nous avons toujours parlé, et sans doute, nous continuerons de parler. Le football est notre croix et notre faiblesse.
Commencer cette année en reconnaissant que le foot n’est rien est tout le mal que je nous souhaite. Car reconnaître cela, c’est aussi reconnaître que tous ces gens qui exhibent de beaux costumes sur des photos ne sont rien du tout. Ils ont beau rêver d’un destin national une fois le maroquin en main, ils ne sont rien du tout. La rente de situation dont ils abusent est éphémère.
Alors, continuer sans réagir de se faire niquer par une coterie d’affairistes et de pique-assiettes dont la légitimité est toute relative ? Laisser un ministre des sports, entouré de commerçants et de promoteurs immobiliers, continuer de se moquer de nous en nous traitant comme des attardés mentaux incapables de faire une addition ? Pour tous ces gens, c’est clair, le foot n’est qu’un prétexte.
Le temps est donc venu pour nous de le prendre en main, de nous l’approprier, parce que c’est notre drogue et nous en sommes toqués. Il est capital, pour peser de tout notre poids, pour faire pièce, coup sur coup, aux ukases et autres tentatives totalitaires de ces messieurs, de créer un rapport de forces. Nous l’avons déjà dit. Il faut leur montrer qu’ils doivent compter avec nous, qu’il y a des règles et des lois au Cameroun, et qu’ils ont l’obligation de nous rendre compte de toutes les décisions qu’ils prennent.
Alors, vivement que naissent des groupes de pression, des associations, des cercles de réflexion et d’action, des groupes de supporters actifs et teigneux, dans la légalité, pour que, finalement, notre point de vue compte plus que celui des commerçants et des copains. En face de résistances injustifiables, nous ferons bruyamment donner Etoudi ou Mvomeka où le Prince, à ce qu’on dit, n’aime pas le bruit et craindrait la chienlit.