Le Cameroun, à l’instar du Brésil, a un football qui lui est propre. Les Lions indomptables en ont offert quelques morceaux choisis au monde pendant les Coupes du Monde 1982 et 1990, ainsi qu’à l’occasion des Jeux Olympiques de Sydney en 2000.
Rappelons-nous la réaction d’Andrés Cantor, commentateur de football émérite et grand amateur des Lions indomptables, qui a longtemps officié à la chaîne de télévision latino-américaine Telemundo, lors de la Finale de football des Jeux Olympiques de Sydney. Constatant que les Lions indomptables venaient de remonter deux buts espagnols marqués en tout début de match, Andrés Cantor s’interrogeait à l’antenne. Il disait : « Ces Lions indomptables sont nuls sur le plan tactique. En défense, ils commettent de multiples fautes et erreurs. Et pourtant, les voilà qui sont revenus au score. Ils ne s’avouent jamais vaincus. Quel est donc leur secret? »
L’arme secrète des Lions indomptables n’est autre que le football «Made in Cameroon». Les Lions indomptables bégayent de leur football depuis un moment, ce qui leur vaut les foudres de leurs supporters, même les plus indéfectibles parmi eux, tels que notre rédaction à Camfoot.com.
C’est la raison pour laquelle dans un de nos articles, nous avons salué la fin d’une époque au lendemain de la noyade générale du 17 novembre à Leipzig.
Il faudra peut-être que le futur patron de l’équipe nationale, quel qu’il soit, intègre le football «Made in Cameroon» à son équation. Quelles sont donc les caractéristiques de cet avatar dont certains sont si nostalgiques?
Le football «Made in Cameroon» se veut joyeux, divertissant, spectaculaire, peut-être aussi un peu rugueux et un tantinet naïf sur le plan tactique.
Rapide, il se joue en contre-attaques ponctuées par de passes longues, de dribbles insolents et de tirs percutants. Il s’articule autour de fortes individualités qui, souvent, triomphent par des exploits personnels. D’une extrême éloquence gestuelle, le footballeur camerounais maîtrise à la perfection toute la panoplie des gestes techniques. Rappelons-nous certains de leurs noms locaux : zôlô, mfinga, etc… Le public, quant à lui, semble avoir jeté son dévolu sur le ciseau retourné.
Les noms des clubs concourent à asseoir cette image spartiate. Que peuvent évoquer d’autre les « Canon » et « Tonnerre » de Yaoundé, « Caïman » de Douala, « Foudre » d’Akonolinga et « Panthère » de Bangangté, « Tigre » de Douala, « Ouragan » de Loum, « Tarzan » de Mutenguene, « Tempête » de Nanga Eboko, sinon la terreur ?
Le football « Made in Cameroon » est fait, à la fois, de finesse et de virilité, pour ne pas parler du profil physique et athlétique des acteurs.
Toutefois, si les supporters valorisent autant cette virilité que la finesse technique et l’élégance, c’est pour mettre en exergue le jeu léché, comme sorti du livre. D’ailleurs, le Tonnerre a ajouté à son nom officiel le vocable ewondo de « kalara » qui, précisément, veut dire « livre ». Souvenons-nous de la grâce avec laquelle Docteur Abega, Mbida Arantès, Jean Pierre Tokoto, Enanga Zozo et Jean Louis Mama évoluaient sur un terrain de football. Et que dire de Roger Milla, Oyono « Cogefar » et Fouda « Bachot » qui mettaient un point d’honneur à ne pas entacher leur tenue blanche du TKC pendant un match ?
De la même manière, les tacles rugueux d’Evou « Boulon », d’Akoa « Django », d’Owona Pascal « Homme sec », de Rigobert Song Bahanag « Magnan », de Benjamin Massing et de Kana Biyick alimentent désormais la chronique folklorique nationale. Autant de facteurs qui contrastent nettement avec le jeu anglais qui, avant l’arrivée Outre Manche d’entraîneurs et de joueurs étrangers, avait toujours brillé par son manque d’imagination et par sa prévisibilité. Au fil des années, le football camerounais s’est enrichi d’apports étrangers introduits par le canal des nombreux entraîneurs yougoslaves, français et allemands qui se sont succédés à la tête de l’équipe nationale. Dans le même temps, il a perdu progressivement de sa spécificité, et notamment sa fantaisie.
Tout en étant spectaculaire et divertissant, ce football a souvent péché par une naïveté tactique déconcertante. Ce football que nous jouions à Mvolye, Bepanda, Lolodorf, Kumba, donnait à l’entraîneur un rôle assez limité, voire insignifiant. Le capitaine, tout puissant, était le vrai patron de l’équipe. C’est lui qui « fait le plan » de match, donc qui décide de la configuration tactique des joueurs sur le terrain.
Jamais calculateur ni économe de l’effort physique, le footballeur «made in Cameroon» parcourt tout le terrain et joue à tous les postes, en même temps, s’il le faut, sans considérations tactiques. Il se dépense sans compter, même si cette débauche d’énergie lui joue souvent des tours en fin de match lorsqu’il perd sa lucidité. L’équipe concède alors un but qui vient tout gâcher, comme lors du match de quart de finale contre l’Angleterre en 1990 ou celui contre l’Autriche en 1998.
A des moments différents de notre histoire, Claude Leroy et Pierre Lechantre ont su tirer parti des qualités offensives et de la rugosité défensive du football «made in Cameroon»pour déployer un jeu fluide, chatoyant et musclé qui a séduit les supporters.
Cette époque semble désormais lointaine. Les meilleurs joueurs camerounais évoluant presque tous dans les clubs professionnels européens, leur fantaisie est de plus en plus bridée et leur imagination sacrifiée à l’autel de la sacro-sainte organisation tactique.
Le comble fut atteint en 2001 avec l’arrivée de l’Allemand Winfried Schäfer qui opte pour le tout tactique doublé d’un renfort défensif. Très vite, l’impact se fait sentir. Le Cameroun ne marque désormais environ qu’un seul but par match.
Le jeu ultra-stéréotypé des Lions indomptables de Schäfer fait de longues transversales latérales et diagonales et de tentatives infructueuses de passage en force par les couloirs ne plaît guère. Plus de talonnades, plus d’ailes de pigeon, plus de dribles chaloupés, plus de frappes en pivot. Les Lions indomptables ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.
Que le futur sélectionneur nous ramène notre football! Qu’il réintégre les éléments positifs de notre marque déposée «made in Cameroon» dans le jeu des Lions indomptables, tout en travaillant l’organisation et la discipline tactiques! Le potentiel d’imprévisibilité et de créativité qu’apportera ce football venu des terrains vagues de Tamdja, d’Olézoa, de Déïdo ou de Poumpoumré fera sans doute la différence au niveau international.
SANGA TITI, sanga@camfoot.com