J’ai assisté en direct en 1994 à Oxnard, en Californie, la première fois que je côtoyais les Lions indomptables pendant plusieurs jours d’affilée, au début de l’enracinement d’un malaise qui n’est pas étranger à l’effritement graduel de notre équipe nationale. L’argent, l’odeur de l’argent, les promesses d’argent, les rumeurs entourant l’argent avaient commencé à prendre le pas sur le jeu, la préparation des matchs, les décisions de l’encadrement technique et administratif.
C’était la funeste époque du Coup de cœur, des sommes d’argent batifolant allègrement, on se demande encore comment, entre Yaoundé et la Californie, de Zéro-Mort envoyé à la recherche de l’argent perdu, de la Fécafoot dirigée par deux clans en guerre ouverte, du militantisme naissant des joueurs décidés à obtenir ce qui leur avait été promis.
De Los Angeles à Leipzig en passant par le Japon, la France et la Tunisie, l’argent est omniprésent dans tous les grands et petits rendez-vous des Lions. Il n’y a rien d’étonnant ni de particulier à cela. Le football sur tous les stades du monde est joué au rythme du tiroir-caisse et sent le grisbi à plein nez. C’est là la donnée de base à partir de laquelle il convient de jauger la situation qui prévaut chez nos fauves.
La prime, puisqu’il faut l’appeler ainsi, a cessé depuis les années 90 d’être une récompense donnée en reconnaissance d’un surcroît d’effort ou de rendement. Il n’y avait alors, chez les Camerounais, aucune équivoque quant à la responsabilité morale des autorités footballistiques de fournir aux joueurs une protection en cas de blessures et une compensation monétaire pour le manque à gagner qu’occasionnait la présence en équipe nationale. La prime devait servir beaucoup à cela.
Tout le monde a à l’esprit le malheur qui a frappé bon nombre de grands joueurs laissés sans le sou et sans soins en Europe après une blessure subie pendant des compétitions internationales. Plus près dans le temps, Vivien Foé avait été recalé par Manchester United pour cause de blessure subie en équipe nationale et n’a jamais reçu de compensation quelconque pour la chance énorme qui s’était ainsi envolée.
Arrivent les années 90, la notoriété florissante des Lions et la médiatisation fulgurante du foot sur tous les continents. Le foot devient un article de consommation grand public, les sponsors se bousculent aux portes des grands clubs, l’argent coule à flots et la FIFA pèse de tout son poids pour obtenir l’indépendance des joueurs et favorise, ce faisant, la montée en flèche des cachets de ces derniers devenus de véritables stars populaires.
En principe, libérés des soucis d’argent et surprotégés par des assurances en béton, les joueurs pourraient se passer de la prime. De plus, les clubs qui les emploient n’ont plus le droit de retenir leurs salaires lorsqu’ils sont appelés aux compétitions internationales sanctionnées par la FIFA. Alors, pourquoi donc exiger si fortement une prime, se demande-t-on dans certains milieux ?
Je vous comprends bien : il ne s’agit plus vraiment d’une prime, mais sans doute d’une rançon. Ils nous tiennent, sans nous forcer, certes, mais ils nous tiennent néanmoins. Dans les rangs des Lions, depuis quelques années déjà, le seul point qui semble réveiller les instincts séditieux de tous est la revendication militante entourant la prime. On n’a jamais entendu parler de menace de non-participation à un match pour incurie administrative ni pour carences au niveau de l’encadrement technique. Mais, que le versement de la prime soit retardé ou simplement menacé, alors même les plus doux des Lions montent aux barricades.
Une partie de l’opinion camerounaise ne semble pas comprendre pourquoi le patriotisme, l’honneur de jouer pour le pays et la richesse matérielle des joueurs ne sont pas de nature à contrebalancer la soif de maigres primes de match. Ce point de vue, contre lequel je m’inscris totalement en faux, serait méprisable s’il n’était pas risible. Ce n’est pas parce qu’on a du fric en poche qu’on crache sur un petit billet trouvé sur le trottoir. Les footballeurs ne sont ni des boy-scouts ni des fantassins de l’Armée camerounaise. En fait, pas la peine de se voiler la face, il s’agit souvent de têtes légèrement brûlées qui savent mieux courir que réfléchir.
Un autre élément dont il faut tenir compte et qui, à mon avis, a concouru à empoisonner les rapports entre les joueurs et les autorités concernant l’argent, c’est l’ignominieux hold-up perpétré en 1994 par les pouvoirs publics de notre pays. Des milliards de francs cotisés par des Camerounais ont été cyniquement distraits de leur objectif avoué pour aller alimenter des réseaux dont on ne sait rien. Cet argent n’a été perdu que pour les joueurs et les cotisants. Ceux qui en avaient la garde n’ont jamais dit ce qui s’était passé et, comme très souvent chez nous, ce honteux crime n’a jamais été élucidé et n’a couvert personne d’opprobre.
Pas fous, les joueurs savent bien qu’il y a du fric quelque part. Que ce fric, c’est eux qui le génèrent dans l’ensemble et qu’ils y ont donc droit. Et nous savons tous que s’il n’y avait pas de gros intérêts monétaires en jeu, nous n’assisterions pas au perpétuel bras de fer entre le MINJES et la Fécafoot ni à l’expression de la voracité des appétits et du mercantilisme éhonté de la camarilla de copains qui ont mis notre foot en coupe réglée.
Alors, qu’on verse à nos Lions les primes négociées et établies à l’avance. Et qu’on les paie à temps, sans condition.
L. NDOGKOTI, ndogkoti@camfoot.com