Négriers des temps modernes. Ils viennent de partout, capturent des africains en nombre chaque jour croissant, choisissent les plus jeunes et les plus vigoureux. Comme jadis, les négriers sillonnaient le continent. Au nom du football. Le mal a gagné toute l’Afrique. Mais le Cameroun apparaît comme un vivier intarissable pour les divers recruteurs du monde entier.
Toutes les destinations sont bonnes pour les jeunes footballeurs camerounais. Si au départ, l’Europe occidentale était prisée, aujourd’hui tous les coins du monde ou presque accueillent au moins un fils du pays de Roger Milla. Les terres lointaines d’Australie, du Japon, d’Indonésie, des Emirats arabes unis, d’Afrique du Sud, de Lituanie etc.ont été conquises par les jeunes lions.
Il est aujourd’hui quasi impossible de se souvenir des premiers globe-trotters de l’aventure professionnelle camerounaise. C’est vaguement qu’on fait allusion aux Njoh Lea, Zacharie Noah, Martin Maya, Claude Nzoundja, Jean Pierre Tokoto ou Michel Kaham comme des pionniers qui n’ont pas assez bénéficié de l’action des médias. La seconde génération de pros emmenés par Roger Milla a su tirer profit de la belle surprise du mondial espagnol de 1982, pour se faire une place au soleil. Nul besoin de dire qu’après cela, c’est devenu la ruée vers l’or occidental jusqu’à l’exode total de ces dernières années. Le Cameroun est ainsi devenu l’un des deux ou trois pays africains qui comptent le plus grand nombre de joueurs professionnels. 200, 300, 400 ou plus encore, il est très difficile de déterminer le nombre exact de Camerounais vivant à l’étranger exclusivement des revenus de la pratique du football et dispatchés à travers la planète. La raison de ces atermoiements est toute simple. Chaque joueur prend son « chemin d’Europe » pour une finalité certes identique mais avec des moyens différents.
En effet, de moins en moins, les transferts de joueurs du Cameroun vers l’Europe sont aussi bien ficelés et officiels que l’ont été ceux de Théophile Abega pour Toulouse, Thomas Nkono pour l’Espagnol de Barcelone, Mbida Arantès pour Bastia, Kundé et Omam pour Laval, Foé pour Lens, Song pour Metz etc. A ces époques, au détour d’une compétition importante, le joueur était remarqué par des observateurs du football, notamment des anciens joueurs ou des entraîneurs, ceux-ci, subjugués par le talent du joueur, en parlaient à des amis responsables de clubs recruteurs et le tour était joué. Actuellement, ce n’est rien d’autre qu’un marché aux puces, une véritable traite de jeunes footballeurs, choisis malheureusement parmi les plus jeunes, les plus talentueux, les plus vigoureux et à coup sûr, les plus vulnérables.
Ainsi, sans information particulière, les nouveaux négriers débarquent au Cameroun, s’installent dans un hôtel de Yaoundé ou de Douala, engagent une prospection dans les rues et les marchés locaux. Comme ce n’est pas difficile, ils rentrent en contact avec le premier passant de la rue la plus proche, qui connaît forcément un de ses frères ou cousins, footballeurs à ses moments perdus. Le contact est noué et c’est le début de la transaction. Au joueur, on propose un peu d’argent pour dit-on l’établissement d’un passeport et le dossier pour le voyage est lancé, après que le jeune homme a au préalable signé un document rédigé à la hâte parfois dans une langue inconnue du joueur et prétendument appelé contrat. Et c’est le début d’une aventure très souvent périlleuse pour un enfant âgé à peine de 20 ans. Une infime partie seulement de ces aventuriers des temps modernes finit par s’intégrer dans un club de football de bas niveau, question d’essayer de survivre et après, on verra. A la fin seuls 4 à 5%, de ces esclaves de luxe deviennent des footballeurs de renom. Les autres, moins heureux, connaissent le sort de nombreux immigrés c’est-à-dire, le rapatriement, de menus boulots au noir, le trafic et même la délinquance et la mort, victimes de la cupidité de personnes véreuses se faisant passer pour des agents de joueurs, mais qui sont en réalité des négriers des temps modernes sans aucun scrupule. Et comme au temps de la vraie traite des nègres, ces agents de caniveaux sont fortement aidés par des relais locaux aux allures ostentatoires, dignes de « feymen ».
Certes, devenir professionnel est une noble ambition pour les jeunes footballeurs africains, mais il faut encore savoir à quelle sauce on sera mangé. C’est pour tenter de juguler un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur avec toutes ses conséquences néfastes, dont l’exode massif et nocif des talents, que la Fifa a organisé la désormais profession d’agent de joueurs et imposé aux fédérations nationales notamment en Afrique, avant l’obtention de l’agrément, de faire passer à tout postulant un examen très sélectif. Conséquence, si la profession continue d’attirer de nombreuses personnes parmi lesquelles des hommes sans foi, ni loi, au moins les transferts vers le nord de jeunes africains sortent peu à peu de leur opacité, au grand dam des négriers qui continuent cependant à écumer les rues des capitales africaines.
Alain Denis Mbezele