Il reste un quart d’heure à jouer. Le score est toujours de deux buts partout. Le découragement se lit sur les visages de la centaine de camerounaises et camerounais présents dans cette salle de spectacle louée pour l’occasion. Situé juste à la sortie du métro Marx Dormoy, dans le 18eme à Paris, l’endroit est subitement trop chaud, étouffant même, les fenêtres étant fermées et complètement couvertes pour obscurcir la salle, comme au cinéma.
« Mais pourquoi Djemba est entré? » s’exclame un supporter s’expliquant mal, depuis le début du match, la non présence de son chouchou Modeste Mbami. On est au bord du découragement total lorsque le fameux Djemba arrive à obtenir un coup franc dans les 30, 35 mètres. Il est joué rapidement côté gauche, mais par chance, et le futur le dira, l’arbitre rappelle le ballon. Gérémi Njitap s’avance, frappe, et….la salle explose de joie! On ne voit même pas le ralenti du but, les gens se congratulant devant le rétroprojecteur qui diffuse les images d’Abidjan.
Le calme revenu ou presque, et c’est l’énigme: qui a marqué? WEBO encore? On a cru voir Saidou, et même Atouba pas loin, mais personne n’est vraiment sûr. Ce qui est certain,c’est que le Cameroun mène pour la troisième fois du match. Les dernières minutes sont longues, un dernier raid d’Aruna côté droit de la défense fait paniquer tout le monde.
C’est fini! Enfin! Spontanément le chant de l’hymne national fuse; on chante à gorge déployée le « O Cameroun » en serrant dans ses bras le voisin ou la voisine, connu ou inconnu. Les célébrations continuent maintenant dans la rue, où des concerts de klaxons rivalisent avec les cris et chants des camerounais en délire. « les Lions franchement ne vont pas cesser de nous étonner» s’exclame un Lion en maillot jaune. Thierry B., déjà au téléphone avec le pays pour jubiler avec sa famille, prend le temps lui aussi d’exprimer son émotion: « on a frisé la correctionnelle! alors que les minutes s’égrenaient, j’avais du mal à en vouloir à cette équipe qui était en train de donner du beau jeu. Le Cameroun c’est le Cameroun »
Pas loin, des camerounais se garent avec de grosses cylindrées, distillant du makossa volume au maximum…Danse sur la chaussée, jonglage de ballon et inlassablement, commentaires sur commentaires… « Le Cameroun est un pays invicible,qui restera toujours le meilleur, le meilleur…allez les Lions »
Un ivoirien passe par là, et tout ce qui porte un semblant de Vert-rouge-jaune commence à se moquer de lui. Fair-play, Daniel Zadi concède « vous êtes les meilleurs parce que avec notre défense, on n’aurait pas pu tenir en coupe du monde. Ce serait une humiliation pour l’Afrique, sincèrement! Domoraud et Méité ne sont pas bons! On a bien joué mais sans défense, on peut pas! Donc autant laisser le Cameroun » L’ivoirien pose quand même pour les photos avec les supporters camerounais et s’éloigne rapidement.
Il est temps maintenant de rejoindre le reste de la communauté, qui, dit-on, fait la fête à Guy Moquet. Cet autre quartier de Paris 18eme rassemble tous les jours indifféremment camerounais et ivoiriens dans les restos bars qui servent des beignets-haricots, du poulet DG et autres spécialités du terroir. Rencontré au même endroit la veille au soir « Biggies » l’ivoirien avait promis de ne plus sortir de chez lui si jamais le Cameroun gagnait. Déçu comme ses compatriotes de la tournure des évènements, il réussit tout de même à analyser ce qu’il a pu voir du match: « c’est vrai qu’on a les meilleurs joueurs, que sur le papier on est les favoris, mais le Cameroun a joué comme il fallait, comme des professionnels. C’est dommage qu’on ait perdu.
Il fallait chercher à gagner le match à tout prix, puisqu’au match aller les lions avaient gagné à Yaoundé! Quand même, sur notre propre terrain, il fallait chercher à défendre nos couleurs! On a les meilleurs attaquants: pourquoi n’en mettre qu’un seul en pointe? C’est quel entraîneur ça? »
Réaction immédiate d’un camerounais passant par là:
« En guise de rappel, jamais aucun entraîneur dans l’histoire de notre football, n’a pu entraîner les Lions, partir du Cameroun pour une autre équipe et revenir nous battre. Tu comprends? Jamais » On aurait pu rappeler à ce dernier que Claude Leroy et son Sénégal l’avait fait à la CAN Algérie 1990, mais le moment n’est peut être pas opportun, les alcools commençant à faire leurs effets sur quelques uns, en témoigne ce début de bagarre entre camerounais, bris de bouteille inclus.
« Quand quelqu’un te dépasse, tu dois porter son sac » ce pseudo proverbe fait le tour de la rue maintenant remplie de monde assis sur les voitures, klaxons et musique à fond. Des ivoiriens ayant perdu leur paris sont obligés d’enfiler le maillot démembré des Lions. Un autre soulève le drapeau camerounais avec le sourire, malgré son énorme déception.
La chevelure grisonnante, cet autre supporter exige lui aussi de parler au micro: « le match était sensationnel cher monsieur, je n’ai jamais su que le Cameroun pouvait jouer comme il l’a fait aujourd’hui; nous avons montré aujourd’hui à toute l’Afrique que nous sommes les meilleurs du football et que nous le resterons. » Au sujet de la performance du meilleur ivoirien du jour, le camerounais sera bref: « Parlons un peu de Drogba: c’est peut être un des meilleurs de son pays, mais il est petit devant nous! Merci! »
Plus techniques, deux supporters refont le match: « comment on peut encaisser alors que c’est nous qui engageont le ballon en deuxième mi-temps? C’est l’expérience du football, notre culture de la gagne qui a fait qu’on ne baisse jamais les bras. » Ils n’estiment pas que les Lions ont été chanceux,loin s’en faut. » Quand on marque ce but, il faut y être! Après la frappe de Geremi, le défenseur vient tenter de dégager, mais Webo met sa tête avant lui! Il faut le faire! Un gars qui avait baissé les bras n’aurait jamais fait ça! » Bémol tout de même, à la fin: « le Hemlé ne suffira pas toujours, contre une équipe efficace… »
Gilbert Fokam n’est pas non plus convaincu: « on a gagné, mais pourquoi au Cameroun on attend toujours les dernières minutes pour rassembler tout le pays pour gagner un match? Il fallait le faire dès le début des éliminatoires! On attend donc le prochain tour.» Mr Fokam retrouve tout de même le sourire avec ses amis « Le Cameroun? J’adore! »
Finalement, il est temps de s’assoir et de prendre le verre de la victoire, dans un bar adjacent, fief ivoirien. Aucune animosité, discussions sur le match sans distinction de maillots. Un camerounais s’empare alors de la guitare posée dans un coin pour animer un peu l’endroit. MASTHEO, c’est son nom, originaire de Douala. Il interprètre des standards de la musique camerounaise, de Prince Ndedi Eyango (tu n’as pas compris, tu n’as pas compris, tu n’avais pas compris que l’amour n’existait jamais….) à quelques airs de zouglou et de couper-décaler, pour ne pas fruster les Elephants devenus ce soir sans défense(s).
*Cameroun O wo wo wo, Lions Indomptables O wo wo wo, bana ba cameroun bazalaki sorciers….
*Ayoo Abidjan, ayoo eee ayoo Abidjan
ayoo Cameroun eee ayoo eee ayoo Cameroun eee
Texte et photos: Jean-Pierre ESSO, à Paris