On ne le présente plus. L’ex-gardien des Lions indomptables a toujours dit ce qu’il pense. Comme à son habitude, il fait une première analyse, honnête, de ce match entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun, remettant chacune des équipes dans son assiette….
Camfoot.com: Comment interprétez-vous cet appel du ministre Mbarga Mboa aux anciens Lions ?
Joseph Antoine Bell: Je placerais cet appel sur le même plan de tout ce que le ministre fait pour ce match; c’est-à-dire, simplement, essayer de mettre toutes les chances du côté de l’équipe du Cameroun, et ne pas avoir de regret quelque soit le résultat par la suite. C’est un comportement professionnel; c’est ce que font les
clubs professionnels et c’est ce que, personnellement,
j’ai appris pendant toute ma carrière: on fait tout pour ne pas avoir à regretter. Le ministre est allé jusqu’à faire appel à des anciens qu’il a baptisés de « glorieux anciens ». Je crois que c’est, forcément, une bonne chose. C’est un signe. Un symbole.
Maintenant, comment ça va se passer sur le terrain? À mon avis, tout à fait simplement. J’interprète, peut-être, à la place des joueurs, parce que, si j’étais joueur, ce que j’ai à apporter ne sera jamais oublié puisqu’on vient de le prouver à d’autres. Mais seulement, je peux aussi l’interpréter qu’on a envie de m’aider, de mettre toutes les chances de mon côté. Donc, si j’ai la moindre discussion à avoir ne serait-ce que de façon informelle, même sous la forme d’une plaisanterie, je pense que c’est comme cela qu’il faut l’interpréter.
Camfoot.com: Quels effets cela peut avoir que les anciennes gloires soient à côté de leur cadet pour une rencontre capitale comme celle du 4 septembre ?
Joseph Antoine Bell: Avant d’avoir un effet mesurable, il y’a d’abord, je pense, un effet symbolique, c’est-à-dire qu’ils seront quelque part obligés de se tourner vers leur conscience et juger les palmarès de ceux qui les entourent. Et, comme ce palmarès n’est pas vierge, cela leur rappellera aussi que le leur ne sera pas oublié. Je crois que c’est d’abord çà, et pui,s pour peu qu’ils soient de bons sportifs, et les bons sportifs généralement savent respecter la qualité, je crois donc que, eux aussi, se retourneront vers cette qualité et se rappelleront que d’autres ont fait ce qu’on leur demande de faire aujourd’hui. Je crois que ce n’est pas naïf ce que le ministre a fait. Il a pris des gens qui ont battu la Côte d’Ivoire en Côte d’ivoire, dans des conditions peut-être un peu plus dramatiques puisque, la Côte d’Ivoire organisait la Can de 1984. C’est surtout pour faire appel à ce passé, d’un côté pour choquer l’imagination des Ivoiriens, et d’un autre, pour galvaniser celle des Camerounais. Chance que nos garçons sont suffisamment intelligents et que, cela ne sera qu’un symbole de plus pour leur dire qu’on compte effectivement sur eux pour soulever ces montagnes, et, comme on aime bien le dire impossible n’est pas camerounais.
Camfoot.com: Vous étiez à la Can 84 en Côte d’ivoire. Pour vous, quelle est la différence entre l’équipe de Côte
d’Ivoire de 84 et celle d’aujourd’hui?
Joseph Antoine Bell: Il y’a une différence technique, et cette différence technique est que, effectivement en 84, l’avantage du préjugé nous était dû, dans la mesure où nous étions à la coupe du monde en 82, que nos clubs avaient gagné des coupes d’Afrique des clubs pendant la dernière décennie; que nous avions des joueurs d’expérience à cette époque, Roger Milla, Abéga Théophile, Grégoire Mbida, Emmanuel Kundé, Ibrahim Aoudou, ou moi-même. Nous étions des joueurs de grande expérience, je pensais que l’avantage était de notre côté. Mais, je suis sûr qu’à cette époque là, les Ivoiriens pensaient que l’avantage était plutôt de leur côté avec des joueurs de grands talents naissant comme Youssouf Fofana, Pascal Miezan ou Kuassi Kouadjo; ils pensaient que la jeunesse pouvait leur permettre de gagner.
Aujourd’hui, ce qui change est que la Côte d’Ivoire est première de notre groupe et regorge des footballeurs professionnels de renom évoluant dans des clubs de haut niveau, et ceci, pratiquement à tous les postes. Donc, nous ne pouvons plus considérer que, sur le papier l’avantage, est de notre côté. Mais, le seul avantage qui reste de notre côté est un avantage du passé, c’est-à-dire que nous, on a été cinq fois en coupe du monde, alors que la Côte d’Ivoire n’y a pas encore été; que nous avons remporté quatre coupes d’Afrique des nations, la Côte d’Ivoire n’en a remporté qu’une seule. Ce genre de palmarès nous est avantageux mais, nous devons reconnaître qu’un match de football ne se gagne pas sur le passé, il se gagne sur le présent. Je pense que nos joueurs, qui restent de toutes les manières largement au niveau des Ivoiriens, sinon l’écart ne serait pas uniquement de deux points. Si l’écart n’est que de deux points, ça veut dire que nous jouons encore pour l’instant dans le même championnat que la Côte d’Ivoire, et ce faisant, avec notre expérience, nous n’avons pas de raison de nous sentir défavorisés ou de nous sentir inférieurs à la Côte d’Ivoire. Sur ur un match nous pouvons combler la petite différence qui pourrait être à l’avantage des Ivoiriens. Voyez-vous, j’ai toute l’honnêteté de remettre aux Ivoiriens ce qui leur appartient, de donner aux Camerounais ce qui leur appartient. Parce que dans le sport, pour battre un adversaire, il faut commencer par reconnaître ses forces.
Camfoot.com: La Côte d’Ivoire aura également l’avantage du public ?
Joseph Antoine Bell: Quand je jouais à l’extérieur, je me motivais en me disant que dans la visualisation, je nous voyais onze joueurs en train de jubiler en face de 50 mille personnes qui seraient en pleurs. Je pense que nos garçons feront la même chose: ils se verront en train de courir dans tous les sens, dans tout le stade; en train de fêter leur victoire dans un stade où il y aura cinquante mille personnes en pleurs et peut-être une trentaine ou une centaine dans les tribunes qui, d’ailleurs, je pense, aura la décence de ne pas fêter sur place.
Camfoot.com: Est-ce que vous ne pensez pas que la main tendue du gouvernement aux anciens joueurs est liée à la situation critique du Cameroun, dos au mur actuellement ?
Joseph Antoine Bell: Si vous parlez des anciens joueurs, ce ne serait pas honnête parce que moi j’ai le souvenir d’avoir été accompagné à Accra en 1979 en finale de la coupe d’Afrique des clubs champions par le grand Mbappé Leppé. J’ai le souvenir qu’en 84, il y avait Mvé Emmanuel, Zacharie Noah, Abossolo, Owona Pascal. Donc, je ne crois pas que d’une manière générale, l’histoire de la main tendue soit effectivement une nouveauté dans ce sens. Maintenant si vous vouliez dire que le Cameroun a le dos au mur et çà le contraint à réfléchir davantage et à essayer de trouver des solutions, oui. Mais, je pense que tout le monde trouve des meilleures solutions quand il est dos au mur. Vous savez, si les Européens ont avancé autant, c’est parce que chez eux, le climat n’est pas aussi clément que chez nous. Regardez, il suffit de vous retourner pour voir les mangues, vous ne mourrez jamais de famine chez nous, parce que tout pousse seul. Mais si nous étions contraints de réfléchir, évidement que nous dormirions un peu moins.
Propos recueillis par Guy Nsigué à Yaoundé