La promesse d’épousailles entre un dandy lusitanien vieillissant et le mollet camerounais passablement écorché s’est concrétisée par un contrat prénuptial établissant les droits des deux parties et, surtout, la formule de partage des biens au moment, inéluctable, de la séparation. Les oaristys et les amourettes impétueuses et torrides d’aujourd’hui sacrifient toujours, avant de se réfugier sous l’édredon, à la mode du jour : on signe avant, car amour ne rime plus avec toujours. Mbarga Mboa et les Ribeiro, par Artur Jorge interposé, savent que ça va finir par finir. La confiance n’est pas là. Alors, chacun prend ses précautions. C’est la sagesse même.
Le conseiller le moindrement averti aurait dit à M. Jorge, au vu de la feuille de route tracée par le ministre, qu’il n’était pas raisonnable d’accepter une entreprise aussi périlleuse. Les chances de succès de l’entraîneur sont, il ne faut pas se voiler la face, réduites à la portion congrue. Le niveau de nos Lions est à l’étiage, et la chienlit, favorisée et tolérée par un Teuton (on croit rêver), a fait son lit au sein d’un groupe usé. À cette situation s’ajoute la sempiternelle inquiétude, en dépit des assurances du ministre, quant à l’activisme pas toujours de bon aloi des pouvoirs publics et de la Fédération. M. Jorge pense-t-il avoir de réelles chances d’imprimer une empreinte durable sur l’évolution des Lions Indomptables ou, comme tout bon chômeur, a-t-il simplement sauté sur la première offre de travail qu’on lui a présentée ?
La tradition, au baseball américain, veut qu’on donne toujours la chance au coureur d’atteindre le premier but. M. Jorge est là ; il bénéficie donc de toute notre bienveillance. Qu’il coure donc. Cela dit, les débuts se présentent sous des auspices un peu préoccupants. Le match contre les Sénégalais, le 9 février, est, il faut le reconnaître, une grande distraction et un véritable guêpier pour l’entraîneur. Bien évidemment, les couacs qui ont toujours accompagné les sorties des Lions se sont encore fait entendre, comme on le redoutait. Y a-t-il eu deux ou trois listes ? Qui a établi ces listes ? Comment est-il possible que des joueurs blessés et des joueurs qu’on voit à peine sur des bancs de touche aient été convoqués ? Y a-t-il quelque chose de nouveau à attendre de beaucoup de joueurs du groupe qui ont montré leurs limites ?
Ces questions, pour légitimes qu’elles soient, n’en sont pas moins entachées de mauvaise foi. Nous savons très bien que notre entraîneur n’était pas en mesure, quelques jours après sa prise de fonction, de dresser une liste crédible de joueurs à convoquer. C’est l’évidence même. M. Jorge a dit qu’il connaît le football camerounais et les footballeurs camerounais. On veut bien le croire, même si c’est un peu difficile. Ce n’est pas de Moscou qu’il a pu suivre l’évolution de notre football, lui qui, entraîneur en France et au Portugal dans les années 90, est connu pour avoir eu des relations au mieux difficiles avec les Africains. D’ailleurs, il n’existe pratiquement pas d’entraîneur européen de cette époque qui ait jamais accordé grand crédit au football africain.
Alors bien sûr, forcément, les mêmes rempilent. Mettomo, Song, Perrier, Job et les autres, les mêmes que nous avons vus il n’y a pas si longtemps s’écrouler lamentablement devant de fringants Allemands, les mêmes que nous avons vus se disputer avec acrimonie sur le terrain, les mêmes qui suscitent toujours la même question : sont-ils les meilleurs que nous avons, vraiment ?
De fait, lorsque les fameuses écuries évoquées par un de mes confrères seront nettoyées, lorsque la paix sera restaurée, lorsque les hommes et les femmes qu’il faut seront placés là où il faut avec l’autorité et le pouvoir qu’il faut pour faire avancer les Lions, s’imposera enfin la question que nous éludons tous et qui, j’imagine, doit terrifier les membres actuels des Lions, qui ont souvent beau jeu d’attribuer les mauvais résultats aux carences administratives et managériales. Il faudra bien, alors, se demander si l’entraîneur des Lions dispose d’une réserve suffisamment riche de footballeurs de talent pour bâtir une équipe conquérante.
En attendant, c’est les mêmes aujourd’hui, les mêmes demain et les mêmes après-demain. Je m’en suis légèrement ému, mais on m’a dit, dans le ton de la confidence : « C’est les mêmes, c’est vrai, mais tu vas voir, ils vont jouer différemment.» Chiche ! On va voir. Parce que c’est capital : la seule chose qu’il est raisonnable d’attendre d’Artur Jorge, c’est de nous montrer quelque chose de différent, d’amener une vieille équipe à secouer la torpeur dans laquelle elle se complaît depuis trop longtemps, de susciter un frémissement porteur d’espoir.
Nous avons accepté, certes sans trop le montrer, que nous traversons ce creux de la vague footballistique que beaucoup de grandes nations ont connu. Nous avons besoin de nous rassurer que nous avons encore de beaux restes et que rien n’est joué tant qu’il reste un peu de temps devant nous. Le match contre les Sénégalais doit être un match contre nous-mêmes qui marque le début de la reconquête de notre place de grande nation de foot. Et tant mieux si c’est un petit Portugais débonnaire qui nous remet sur la bonne voie ! Après tout, si ses ancêtres n’avaient pas tellement aimé les crevettes de nos côtes, notre pays s’appellerait peut-être aujourd’hui Rio del Rey.
L.Ndogkoti, ndogkoti@camfoot.com