10h: Lindner hôtel – Peu ou pas de joueurs dans le hall; tout juste quelques supporters qui entament une danse traditionnelle camerounaise rythmée sur les sonorités de tam-tams. Quelques membres de l’association Kellerun sont là avec photos et posters à faire dédicacer. Ce sont les quelques-uns qui ont pu se libérer de leur travail pour venir jusqu’à Leipzig pour ce match si particulier pour les Allemands tous habillés du maillot vert des Lions.
11h30: Roger Milla, le président Iya, David Mayebi et le directeur des Sports Ndzana Robert s’apprêtent à aller honorer le déjeuner officiel de la DFB (fédération allemande) au « Panorama Restaurant » de Leipzig. Ces responsables de la délégation officielle ont la surprise de rencontrer dans le hall FOUDA ZIBI, ex Lions et coéquipier de Roger Milla et David Mayebi dans la sélection pendant les années 74-79. FOUDA ZIBI, qui était un latéral friand de montées en attaque pendant sa période chez les lions, vit en Allemagne depuis plusieurs années. Les retrouvailles avec ses amis sont émouvantes, ils se reparlent du bon vieux temps et échangent les coordonnées.
Pendant que nos officiels vont déjeuner, FOUDA ZIBI se confie longuement à Camfoot pour un entretien assez instructif sur sa carrière dans les lions et nous donne sa vision des Lions d’aujourd’hui. Il s’étonne de l’ambiance actuelle : »d’après une interview de monsieur Atangana Mballa que j’ai lue, il me semble qu’apparemment la fédération n’a rien à voir avec l’équipe nationale ; ces joueurs ne savent même pas que la FECAFOOT existe, car les joueurs reconnaissent seulement celui qui leur donne de l’argent. Ils se rencontrent et c’est à peine qu’ils leur disent bonjour, je ne sais pas quel rôle la FECAFOOT a avec l’équipe nationale ; je crois qu’ils n’ont pas la main mise sur cette équipe »
C’est au tour des joueurs d’aller déjeuner. Ils passent, saluent les personnes présentes et vont rapidement dans la salle du 1er étage qui leur est réservée. On les verra peu dans l’après-midi, occupés à se concentrer, mais apparemment plutôt occupés à d’autres choses comme le dira dans la soirée l’ex coach Schäfer. Roger Milla, quant à lui, essaie de satisfaire camerounais et Allemands qui veulent tous immortaliser sur leur numérique le Vieux Lion…
16h30: Westin Hôtel, lieu de retraite des Aigles allemands. Tout le monde est dans sa chambre. Andréas Koepke, l’entraîneur des gardiens et ancien de l’OM se promène dans les couloirs, suivi de Jürgen Klinsmann, le jeune coach (40 ans) encadré par deux imposants gardes du corps pas très souriants. Ils vont d’un pas rapide vers l’aile de l’hôtel réservée au comité d’organisation de la DFB. De l’une des salles sortent Messieurs IYA et MAYEBI qui sont accompagnés d’officiels Allemands. Ils retournent rapidement au Lindner.
17h15: Il est temps d’aller au Zentralstadion pour le « Mercedes Benz Sportpresse Club ». C’est l’endroit préparé par la fédération allemande pour la conférence de presse d’après match et aussi un lieu de détente pour les membres des médias: spécialités allemandes basées surtout de saucisses sucrées et salées, salades, soupes, bières naturellement, et de « l’Apfel Schorle », sorte de jus de pomme mélangé à de l’eau gazeuse. Une berline du concessionnaire est exposée dans la salle et offerte pour un week-end à celui des journalistes qui pourra pronostiquer le bon score de Allemagne-Cameroun. Melvin Akam du journal Le Messager, ainsi que d’autres confrères sud-africains et bien évidemment allemands déposent dans l’urne le précieux bulletin. Melvin se demande cependant en riant s’il pourra amener la « Merco » au Cameroun pour un week-end et la leur renvoyer après.
19h55: les joueurs allemands vont s’échauffer, les titulaires devant leur but et les remplaçants dans un coin vers le rond central. Oliver Kahn fait partie de ce deuxième groupe et c’est assez étrange, lui qui est le capitaine en temps normal. Klinsmann a décidé lundi soir après sa réunion entre les gardiens Lehmann, Hildebrand et Kahn de faire jouer celui d’Arsenal : Lehmann ne pourra pas être du voyage lors de la tournée asiatique de l’Allemagne en décembre (Japon, Corée et Thaïlande) donc le coach veut l’essayer ce soir, ce qui n’est pas du goût du munichois. Le président du Bayern de Munich, Franz Beckenbauer avait d’ailleurs envoyé un « avertissement » à Klinsmann dans le magazine sportif SPORT BILD du jour : » Oliver Kahn est le numéro 1. Un point, un trait! ». Ambiance!
Les Lions vont s’échauffer également. Rudolph Douala est titulaire à droite et l’équipe jouera en 4-4-2, selon la feuille de match que l’on vient de distribuer sur la main courante. Schäfer s’approche des titulaires qui sont en cercle, donne les derniers conseils et le match va être lancé par les nouveaux maillots rouges géants de la sélection allemande portés par des volontaires et qui les présentent au monde entier : » on jouera en rouge pour effrayer ces camerounais! » pouvait-on lire dans la presse de la veille.
20h33: Entrée officielle des équipes, dans un Zentralstadion qui semblait vide dix minutes auparavant et maintenant complètement plein. Les hymnes sont interprétés par un chanteur d’opéra qui chante impeccablement le ‘O Cameroun’ en français: frissons garantis!
Les remplaçants camerounais s’installent sur le banc et se protègent les jambes de couvertures de laine. Vital Mevengue du Cotonsport confirmera après le match n’avoir « plus senti ses pieds », lui qui joue dans la région du Nord Cameroun qui est l’une des plus chaudes du pays.
20h45: Début du match. Vu de derrière les buts allemands, Douala joue à droite et Geremi en latéral, juste derrière lui. Eto’o est à gauche, comme en début de saison avec le Barca et Job en pointe. Douala a un peu de mal avec ses amortis ; Geremi monte trop souvent et marche un peu sur les pieds du joueur du Sporting Lisbonne.
Lehmann s’ennuie un peu, il y a peu d’action de son côté. Le Cameroun est dominé, Makoun a affaire à Frings. Les grands gabarits de la défense rouge sont solides. Cette défense présentée par Klinsmann a 20 ans de moyenne d’âge. En défense centrale Per Mertesacker, coéquipier de Marvin Job-Matip en espoir allemand étrenne sa 2eme sélection seulement chez les grands. L’Allemagne joue, les camerounais s’énervent sur le terrain et Mettomo sort sur blessure.
Mi-temps : les camerounais vont se reconcentrer aux vestiaires. Eric Djemba, déjà averti par l’arbitre italien M. De Santis lui rappelle en rigolant dans le couloir que ce n’est qu’un match amical, et qu’il devrait siffler comme tel. Le mancunien ira finalement se doucher avant ses camarades à la 81eme minute, après plusieurs accrochages avec Ballack. Kuranyi a marqué, suivi de Klose (doublé) qui augmente son capital but contre les Camerounais; il était déjà buteur au Japon lors de la confrontation précédente. Job est remplacé par Ateba, Ndiefi rentre sur le tard et c’est sur son puissant tir dangereux dévié en corner que l’arbitre italien abrège le supplice.
Après match : la porte des camerounais reste fermée pendant plus de 45 minutes. Les deux gardes de sécurité en cravate rouge empêchent tout accès au débriefing dont on devine l’âpreté. Klose satisfait la télévision ARD, puis vient donner son maillot dans le vestiaire des Lions. Asamoah, l’allemand d’origine ghanéenne au micro de Camfoot résumera son match: “I think we were very aggressive because we knew them. After the first goal, the team broke up and was trying to recover; we counter attacked and scored another goal and a third. I think we did well today“.
Soudain la nouvelle tombe de la tribune officielle : Winfried Schäfer serait limogé par le ministre des Sports. Par un simple coup de téléphone au président Iya à Leipzig et un communiqué lu au même moment à la radio au Cameroun. Pour l’instant, personne ne confirme sur place, Schäfer est monté entre-temps au Mercedes Lounge pour la conférence d’après match où il déclare que les joueurs ont menacé de ne pas jouer s’ils n’obtenaient pas 150 000 dollars Us pour ce match. En bas, personne n’a entendu ces déclarations et quand finalement la délégation sort rejoindre son autobus, Roger Milla est assailli par les journalistes pour qu’il confirme les dires de Schäfer. Il est très en colère : « Ah bon? Il a dit ça? Quel est ce coach qui met ses joueurs à nu devant tout le monde? S’il ne les protège pas, qui le fera? » Concernant l’arbitrage, Milla notera qu’ « il a passé son temps à insulter les joueurs ; il a dit à Samuel Eto’o qu’il va voir, ils se retrouveront en Champion’s League. C’est quoi ça? Un arbitre ne doit pas parler comme ça aux joueurs. »
Minuit, Lindner hôtel: Une meute de journalistes campe dans le hall pour avoir la confirmation du limogeage de Schäfer. Le président de la fédération camerounaise IYA Mohammed passe par là : il préfère ne pas faire de déclarations à Camfoot, ni à aucun autre organe de presse d’ailleurs. Mais, pressé par les journalistes allemands et espagnols, il confirme donc le coup de fil reçu du Cameroun. Le coach a-t-il été prévenu? « Nous n’avons pas parlé de cela avec le coach, je ne sais pas si la nouvelle lui a été communiquée. Je n’ai pas signé la décision, c’est mon patron (le ministre des Sports) qui l’a fait au Cameroun »
Les joueurs ne s’expriment pas ou peu. Lucien Mettomo, impliqué en moins de 3 jours à deux altercations avec ses coéquipiers (Tim Wiese son gardien de but en club, puis ce soir Geremi) banalise l’action : « On ne va pas s’arrêter à Geremi et moi. On sait depuis un moment qu’il y a des points négatifs en équipe nationale qui rayent la machine. Il serait temps que les choses se fassent autrement. Il faut que chacun de nous retrouvions l’humilité, que chacun de nous fasse une remise en cause personnelle. Il s’agit de l’avenir du club Cameroun. On ne peut pas se comporter comme on le fait »
Quant au contenu de la fameuse réunion joueurs-dirigeants de la veille, qui avait empiété sur la conférence de presse et par conséquent l’avait retardé de 45 minutes, Lucien préfère ne rien révéler et nous laissera avec une formule à méditer : « Vous avez un mal, vous vous faites soigner. Mais vous ne dites pas au médecin de quoi vous souffrez exactement. Et donc le médecin diagnostique mal. C’est tout »
Le car attend la délégation déjà en retard pour la soirée organisée par Serge Keutcha, président de l’association des Camerounais de Leipzig. Soirée prévue depuis de longues dates et approuvée par le ministère, il n’est pas question de ne pas y aller malgré la défaite. Les compatriotes vivants en Allemagne et déjà installés au Renaissance Hôtel seraient trop déçus de ne pas voir leur équipe de si près. Il est 1h 10 du matin, et Schäfer, manifestement au courant (enfin) de la décision venue du Cameroun décide de réclamer au directeur administratif sa prime de match là dans le bus. Devant les caméras et objectifs de la presse. Mr Engogomo lui rétorque que ce n’est pas le moment et que ce sera fait demain matin, qui est l’heure de partir. Le technicien allemand monte et descend du bus, va chercher des gardes de sécurité. Il a peur des jeunes étudiants camerounais venus de Berlin qui lui crient des « Schäfer, raus » (dehors). Les médias ne perdent pas une miette de toute la scène et il préfère remonter dans sa chambre.
Soirée agréable finalement, animée par Pascal Pierre, ancien animateur de la CRTV et son DJ venu tout spécialement de Paris. Les joueurs après avoir dîné tranquillement à part, viendront se mêler aux Camerounais de Leipzig et se plieront gentiment aux dédicaces et photos pendant de longues minutes.
C’est sur les sonorités de K-Tino et de “Couper décaler” que certains joueurs courageux viendront montrer leurs talents de danseurs.
Retour à l’hôtel. Des départs sont programmés dès cinq heures du matin pour les chefs de délégation (Iya Mohammed, David Mayebi) et plusieurs joueurs. Les autres départs se succèdent au fur et à mesure jusqu’à 8h du matin, comme les “allemands” Tchato et Mettomo, suivis de Pierre Boya, Song et Souleymanou, d’Eto’o, Geremi et Job. Vital Mevengue, qui doit retourner au Cameroun est prévu pour la navette de 13heures 30, en compagnie de Milla, du directeur administratif et des sports, du docteur Assamba, et des coachs adjoints.
En attendant leur départ, le directeur administratif et Roger Milla donnent leur avis sur la situation de la sélection aux médias présents. Quid de Winfried Schäfer? Il apparaît sur le balcon surplombant le lobby de l’hôtel et ne répond même pas au signe de la main d’un supporter des Lions dont on ne sait vraiment si le signe est amical ou tout simplement moqueur. L’allemand semble ailleurs, réfléchissant à la stratégie à adopter, lui qui affirme à qui veut l’entendre que son départ ne lui a pas été signifié, donc « je suis toujours entraîneur du Cameroun, j’ai un contrat en cours ».
Leipzig Hauptbanhof, 14 heures. Là où tout a commencé. Les camerounais partis, il est temps de quitter la Saxe et son temps froid, ses murs gris et ses tramways d’un autre âge… Le retour sera long, très long même. Quelle sera la suite pour les LIONS?
JP ESSO, rentrant de Leipzig, jpesso@camfoot.com