« Sale Camerounais, il faut retourner chez toi ! » Propos tenus par un policier gabonais qui a jeté Ateba Biwolé en cellule samedi dernier, au poste de police d’Eboro, à la frontière entre le Cameroun et le Gabon. Ce journaliste du quotidien « Le jour » se rendait au Gabon pour couvrir la coupe d’Afrique des nations. Un parcours du combattant entaché par un zeste de xénophobie chronique.
Ateba Biwolé raconte son histoire …
Samedi 21 janvier 2012, Abang Minko’o, au Sud du Cameroun. Il est 7h30 mn lorsque j’emprunte un véhicule de marque Toyota et d’immatriculation gabonaise pour me rendre à Bitam (au Nord du Gabon).
Avant que je ne monte dans sa voiture, le chauffeur me demande de présenter mes pièces. Nous ne sommes que deux à prendre la route. Au poste de police d’Abang Minko’o, le véhicule est stoppé par le gardien de la paix camerounais Conrad Mfegue Bindzi. Celui-ci vérifie que j’ai mes papiers et appose un cachet de sortie sur mon passeport, non sans m’avoir demandé de payer 2. 000 FCfa comptant pour les « frais d’enregistrement ». Une petite joie m’anime. Je suis heureux de me rendre au Gabon. Mais, à peine ai-je traversé le Ntem (fleuve qui sépare le Gabon du Cameroun) que je suis refoulé au tout premier poste de contrôle d’Eboro, en terre gabonaise. Le gardien de la paix nommé Tchoreret, l’un des deux policiers en poste ici, me fait savoir que le visa apposé sur mon passeport par Thérèse Obi Makalebo, chargée d’affaires à l’ambassade du Gabon au Cameroun, « n’a pas de validité terrestre ».
« Je suis un journaliste camerounais. Je me rends à Libreville pour la couverture de la Coupe d’Afrique des Nations, voici mes papiers », fais-je savoir au collègue de Tchoreret en lui montrant mes pièces. Mais le prénommé Jacques me lance furieusement sa matraque en grondant : « Fiche la paix, nous n’avons plus besoin de vous ici ! Retourne à Yaoundé et vas prendre l’avion. Camerounais de mon c… ». Face à cette violence physique et verbale, je traverse le Ntem. Je retourne ainsi à Abang Minko’o, au Cameroun. Ici, Conrad Mfegue Bindzi et ses collègues font passer des centaines de Gabonais juste sur présentation de la carte nationale d’identité, de la carte d’identité scolaire ou des déclarations de perte. Sans passeport, ni visa. Pendant 30 minutes, j’observe que tous les véhicules qui traversent la frontière dans un sens comme dans l’autre sont gabonais. Quelques minutes après, je joins, au téléphone, Octave Dioba Mickomba, le chargé de la communication de l’ambassade du Gabon au Cameroun. Au cours de notre entretien, il me demande de retourner voir les deux policiers gabonais, afin de leur demander la bonne mesure pour obtenir un « visa à validité terrestre ».
La cellule ou rien
Me revoici devant le policier Jacques. Il est encore plus furieux qu’à la première rencontre. « Ne t’ai-je pas dit de ne plus jamais venir ici ? Sale Camerounais, il faut retourner chez toi ! D’ailleurs, je vais te faire enfermer », déclare-t-il en me frappant avec la crosse de son arme à feu. Sans attendre, sans me laisser le temps de lui dire pourquoi je suis revenu, il me fait jeter dans l’une des cellules de son poste avec l’aide de certains de ses proches en civil. Ceci après avoir confisqué tous mes effets (mes deux sacs, mes téléphones et mes chaussures). Je me retrouve dans une salle d’à peine 2 m² que je partage avec des guêpes, des cartons vides et des sacs pleins de carreaux. Mon seul espoir, une petite lumière qui filtre à travers des trous dans le mur. N’ayant aucune information de l’extérieur, j’éclate en sanglots. Mais je suis seul à entendre mes pleurs, car je suis bien loin de l’endroit où mes bourreaux se trouvent.
45 minutes après, c’est Jacques en personne qui vient me faire sortir en me menaçant : « Nous te faisons sortir, mais ne t’hasarde plus jamais à venir ici ». Après ces déclarations, il me pousse et je tombe sur mes genoux qui s’écorchent. C’est alors que Tchoreret se lève de son siège et me lance de loin : « Hé, toi, lève-toi, sinon je te mets les menottes et tu retournes en cellule !» J’obtempère, je récupère mes bagages et je retraverse le Ntem. En ce moment, traînant ma valise sur le pont sur le Ntem, je suis un immigré camerounais refoulé à la frontière Cameroun – Gabon. Deux pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
Une fois au Cameroun, chez moi, Octave Dioba Mickomba me rappelle et me demande de retourner voir mes bourreaux, afin d’insister. Je refuse d’abord, puis il me convainc. Sur place, Tchoreret brandit une arme à feu et déclare : « Tu vois ce que j’ai en main là ? C’est une arme. Je te flingue, tu es jeté dans le Ntem et on t’oublie ». Pris de peur, l’un de ses compatriotes, qui se rend au Cameroun lui demande de se calmer. Il obéit et demande à parler à Octave Dioba. Après l’échange entre les deux hommes que j’organise avec mon téléphone portable, il est convenu que mon dossier soit envoyé à la Direction générale de la documentation et de l’immigration (Dgdi) de Bitam. Mon passeport, mon ordre de mission et ma carte professionnelle sont remis à un passant, qui a pour mission de les déposer à Bitam. En attendant le retour de mes documents, je suis assis dans l’un des hangars du poste, gardé à vue. A 14 h, un véhicule de la police gabonaise se gare au poste de police d’Eboro. Mes documents sont de retour. « Tu peux aller à Bitam », m’indique Tchoreret.
Escroquerie et xénophobie
A la brigade de gendarmerie d’Eboro, je suis à nouveau refoulé, même après que j’ai présenté mes documents. Mais, quelques minutes après, l’un des gendarmes consent à me laisser passer, à condition que je lui donne 15. 000 FCfa, représentant, selon lui, les frais d’enregistrement. Je cède, par peur de me faire jeter une fois de plus. Après avoir été libéré, je monte à bord d’un pick-up qui me conduit à Bitam. A la Dgdi, je suis reçu par l’un des responsables, qui, sans hésiter, appose un cachet d’entrée sur mon passeport et m’indique le meilleur endroit pour avoir un car qui puisse me conduire à Libreville. Après avoir attendu le car pendant un peu plus de quatre heures d’horloge, je suis ahuri par les propos du « motor-boy » qui me fait enregistrer autour de 18 h 30 mn. « Quoi, tu es Camerounais et tu veux payer 10. 000 FCfa ? Non ce n’est pas possible, tu vas payer 15. 000 FCfa. Vous, les Camerounais, devez payer cher parce que vous venez piller nos richesses », me nargue-t-il. Par peur de dormir à Bitam, je paye 15. 000 FCfa au lieu des 10. 000 FCfa. Sur la route, je suis, avec ma voisine de siège (Clémence Obono, une Camerounaise qui dispose d’une carte de séjour qui court jusqu’en 2013) victime d’escroquerie de la part des policiers des postes de contrôle.
Au premier poste de contrôle, à la sortie de Bitam, je suis appelé à donner 17. 000 FCfa, comme « frais d’enregistrement », alors que Clémence Obono et son fils Eymerick donnent 2. 000 FCfa. Quand Clémence et moi revenons dans le véhicule, une dame, se targuant de sa nationalité gabonaise nous dit : « Il n’y a plus d’argent au Gabon, chacun doit rester chez lui. Les Camerounais ont tout pris au Gabon, au point où nous ne voulons plus d’eux. Restez chez vous ». Clémence et moi restons sans mot dire, alors que la dame est soutenue par plusieurs de ses compatriotes. A l’entrée d’Oyem, les policiers me demandent de payer 20. 000 FCfa, sous prétexte que devant, je n’aurai plus rien à payer. Ce que je fais.
Mais à la sortie de la ville, je suis appelé à payer les frais d’enregistrement : 5. 000 FCfa. Au poste de Mitzic, les policiers en service me demandent de payer 24. 000 FCfa, en me faisant savoir que si je ne le fais pas, ils vont demander au car qui me transporte de partir. Par peur de rester, je paie. A Ndjolé, un policier me fait savoir que « le contrôle est systématique et tous les étrangers qui passent doivent payer, car les Gabonais aussi payent quand ils sont à l’extérieur ». Il me prend 5. 000 Fcfa. Mais à Bifoun, le dernier poste avant Libreville, les policiers me laissent passer, sans rien me « voler ». Il en est de même à l’entrée de la capitale du Gabon.
Depuis trois jours, je suis à Libreville. Hier, j’ai rencontré Samuel Mvondo Ayolo, l’ambassadeur du Cameroun au Gabon, qui a été outré d’apprendre l’histoire que vous venez de lire.
La rédaction avec Le jour