L’athlète camerounaise, double championne olympique du triple saut, a accordé un entretien exclusif à RFI juste après son sacre pékinois. Sa joie, ses difficultés, sa vie depuis Athènes, son avenir… Françoise Mbango répond aux questions de Christophe Jousset.
RFI : Vous êtes championne olympique pour la deuxième fois consécutive. Ce titre a-t-il le même goût que celui d’il y a quatre ans ?
Françoise Mbango : C’est un goût un peu différent parce qu’il y a quatre ans, j’étais beaucoup plus surprise. Je ne m’attendais pas vraiment à avoir une médaille, qui plus est l’or olympique. Aujourd’hui, je suis venue avec beaucoup plus d’expérience. Je venais défendre mon titre et j’ai travaillé très dur pour ça. Donc, je suis beaucoup moins surprise, mais beaucoup plus satisfaite parce que ce n’était pas gagné d’avance. Et aujourd’hui, c’est vraiment l’expérience qui a encore fait en sorte que je puisse réaliser quelque chose de grandiose avec un bond tout à fait historique.
RFI : Pendant près de trois ans, vous n’avez pas sauté en compétition. Vous avez donné naissance à un enfant, un petit garçon. Vous avez pris aussi plus de vingt kilos à l’occasion de cette grossesse. Est-ce qu’aujourd’hui, vous vous souvenez de tous les efforts que vous avez faits pour redevenir une athlète de haut niveau, de ces footings matinaux, par exemple ?
FM : Je ne peux pas oublier le travail que j’ai fait. Je ne saurais même l’expliquer. Franchement, j’avais pris plus de vingt-cinq kilos, ce n’était pas gagné d’avance. Ma première préoccupation quand je me levais sous la neige de Paris à six heures du matin pour essayer de brûler les tonnes de graisses que j’avais en moi. C’était vraiment essayer de redevenir d’abord femme-athlète, avoir un corps physique athlétique. Puis m’entraîner comme un athlète de haut niveau, entrer dans les compétitions au fur et à mesure.
« Revenir au championnat du monde l’année prochaine »
RFI : Il y a quelques mois, vous étiez encore suspendue par votre fédération, il y a eu un conflit. Vous étiez en désaccord pour des histoires d’argent, pour votre absence à certaines compétitions. Est-ce qu’à ce moment-là, vous vous êtes dit «c’est terminé, je ne m’en sortirai pas» ?
FM : Non, pas du tout. Vous savez, même si ça ne paraît pas toujours au premier regard, je sais que je suis vraiment soutenue par le couple présidentiel, par le président de la République du Cameroun parce qu’il a fait des choses pour moi, il m’a décorée deux fois de suite. Il m’a citée en exemple dans les discours. Il a dit à la jeunesse camerounaise de faire comme moi. Je sais pour moi que c’est comme une sorte de mission. Donc, ce n’était pas du tout évident qu’un individu (ndlr, elle fait allusion au président de la fédération camerounaise d’athlétisme, Ange Sama, avec qui elle est en conflit), pour des raisons qui lui sont tout à fait personnelles, puisse penser qu’on va mettre à l’écart l’idée que le drapeau du Cameroun puisse rayonner dans le monde entier. Venir m’expliquer devant un individu les raisons pour lesquelles je n‘ai pas fait les compétitions, alors que tout le monde sait que j’étais dans ma maternité et que j’en revenais, je peux comprendre que certaines personnes peuvent prendre leur égo et s’égarer, mais je reste une femme, une championne olympique, et quand je veux défendre mon titre, quand je veux défendre les couleurs du Cameroun, je sais que c’est le pays que je représente. Je dois rendre compte au chef du gouvernement, au président de la République.
RFI : Pourquoi n’avez-vous toujours pas de sponsor ?
FM : Je ne sais pas comment expliquer ça. Mais j’ai l’impression que parfois, quand on fait une discipline individuelle et quand on est Africain, les sponsors, ça hésite, ça réfléchit. Ou peut-être, on ne croyait pas en moi. Puis, avec cette histoire qui a voulu un peu me dénigrer aux yeux du monde, les gens se sont un peu retenus. Bon, j’ai eu l’aide du gouvernement, du président de la République, et cette bourse finalement m’est parvenue (ndlr, elle est partie étudier en 2006 aux Etats-Unis, à New York), ça m’a beaucoup aidée. Et puis, il y a aussi l’avantage que j’ai de travailler en France grâce aux infrastructures qui sont à ma disposition. J’essaie d’utiliser ces facilités là pour travailler très dur. Mais j’espère que maintenant, j’aurai vraiment un sponsor à la hauteur de ce que je représente.
RFI : Pensez-vous occuper dans le cœur des Camerounais la même place qu’un footballeur, qu’un Samuel Eto’o par exemple ?
FM : (rires) Je pense qu’aujourd’hui, je serai même plus considérée parce que déjà, je suis une femme, et puis ce que je fais, ce sont des efforts tout à fait personnels. Et de plus, je le fais pour le drapeau du Cameroun. Eto’o Fils, c’est un sportif reconnu dans le monde entier et il fait une discipline qui n’a plus besoin de prouver sa place dans le monde du sport. Alors que moi, j’ai beaucoup de choses à prouver. L’aura qu’a Eto’o Fils, je pense que je l’aurai aussi.
RFI : Qu’allez-vous faire maintenant ? Disparaître de nouveau pendant trois ans, faire un autre enfant et revenir pour Londres 2012 ?
FM : (rires) Je ne sais pas encore. Ce sera bien de revenir au championnat du monde l’année prochaine (ndlr, à Berlin). Je vais le faire, et puis j’ai encore la force. Ce n’est pas à moi seule de décider, je verrai avec mon compagnon. Et puis c’est Dieu qui décide à la fin aussi…
Propos recueillis par Christophe Jousset, à Pékin