La sélection de Patrick Mboma à l’équipe nationale camerounaise, à l’occasion de la 24ème édition de la CAN qui démarre dans quelques jours en terre tunisienne, est devenue plus que fameuse. Sportif ou profane, entraîneur comme joueur, tout le monde y va de son commentaire. Approché mardi dernier au stade Cicam à Douala, où s’entraîne As Babimbi, le club dont il est le président, l’ancien gardien de but des Lions Indomptables a bien voulu donner son point de vue sur ce qu’on pourrait désormais appeler 1“‘imposition” de Patrick Mboma par le Chef de l’Etat au sein de l’équipe nationale de football.
Douala, le 16 Janvier 2004 : Récusant l’implication du ministre dans la gestion technique des Lions Indomptables, Joseph Antoine Bell pense qu’il n‘appartient pas au Chef de l’Etat de sélectionner les joueurs.
Le Chef de l’Etat vient, dit-on, d’intervenir pour la sélection de Patrick Mboma à l’occasion de la 24ème CAN. Cette intervention de Monsieur Biya est-elle, à votre avis, logique?
Déjà faudrait-il se rassurer que le Chef de l’Etat a dû intervenir. Vous savez, dans notre pays, on dit un peu n’importe quoi. Je ne m’aventurerai pas à commenter ce que je considère plutôt comme une rumeur. Quand le Chef de l’Etat intervient, c’est par décret. C’est à la télévision ou à la radio. Et comme je n’ai pas vu, et je n’ai pas entendu qu’il soit intervenu à la radio pour parler du cas de Patrick Mboma, j’aurai du mal à croire que ça ce soit passé exactement comme ça. Maintenant, qu’il y ait eu des interventions ou qu’il y ait eu un changement de cap, c’est évident dans la mesure où, en revanche, le Ministre Bidoung Mkpatt lui était intervenu pour que Patrick Mboma ne soit pas retenu. Je dirais même qu’il avait lui-même pris sa décision de ne pas retenir Mboma. Dire que le Ministre est intervenu, c’est bien, mais qu’est-ce qu’il a fait pour que Mboma reste dans l’équipe. C’est quand même lui qui fait l’équipe, sauf à nous annoncer le contraire. Ça, je me suis déjà prononcé dessus.
A la Coupe du monde de 2002 on nous a annoncé après la compétition que les mauvais résultats étaient dus à l’indiscipline. Une indiscipline qui n’avait pas été sanctionnée en son temps. Donc je trouve qu’il y a des méthodes pas claires. Il y a une fuite de responsabilités qui dilue et pollue aussi l’environnement, et ce n’est pas bien pour les joueurs. Je pense qu’il faut qu’on soit clair. Qu’on nous dise qui fait l’équipe et qui convoque les joueurs. Si l’entraîneur estime que ce n’est pas lui qui convoque les joueurs, qu’il nous dise. Et que vous les journalistes, vous considériez que quelqu’un d’autre est entraîneur de cette équipe et non Schäfer. Pourquoi Schäfer est-il donc payé pour ne rien faire ?
Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer que c’est le Ministre qui fait l’équipe ?
Non. Ce n’est pas moi qui le dis. C’est le Ministre lui-même qui a annoncé qu’il ne voulait plus de Mboma, de Wome, et de… je ne sais même plus qui d’autre. Je n’ajoute rien et n’invente rien . Je commente quand il m’arrive de le faire. Et ne commente que ce qui a été dit par les autres. La preuve, c’est que j’ai mis en doute le fait qu’on dise que c’est le Chef de l’Etat qui soit intervenu pour Patrick Mboma, parce que nous n’en avons aucune preuve. Ce sont des affirmations gratuites. Maintenant quand le Chef de l’Etat prendra la parole pour le dire, à ce moment-là, je pourrai dire ce que j’en pense. De la même manière que, je n’ai jamais dit que c’est le Ministre qui faisait l’équipe jusqu’à ce que lui-même dise qu’il ne veut pas de Patrick Mboma et autre… Et si ça n’était pas le cas, il s’en serait défendu lui-même en disant que ce n’est pas lui qui interdisait Patrick d’être sélectionné et aurait renvoyé Schäfer à ses responsabilités. Il ne l’a pas fait, ça veut dire qu’il prend effectivement sur lui la responsabilité de la non-sélection de Patrick Mboma. Si après Patrick Mboma est à nouveau sélectionné, évidemment, il est logique de penser qu’il y a eu une intervention. Mais vous savez, au-dessus du Ministre de la jeunesse et des sports, il n’y a pas directement le Chef de l’Etat.
Mais l’Ambassadeur itinérant Roger Milla a déclaré à travers les ondes que le Chef de l’Etat l’a chargé dune mission pour Mboma auprès de Schäfer.
Ah! Si Roger Milla l’a dit, c’est sa responsabilité. Mais moi j’ai constaté que beaucoup de gens se réclament de notre Chef de l’Etat, disent des choses à sa place. Si vous vous souvenez bien, Claude Leroy avait dit qu’il était charge de missions auprès du Chef de l’Etat. Or à ce jour, on n’a jamais entendu un décret abrogeant cette première disposition. Donc sa mission a commencé le jour où il a déclaré qu’il était le Conseiller spécial du Chef de l’Etat. Mais on ne sait pas quand elle s’est arrêtée. Toujours est-il que là nous avons le cas de Patrick Mboma, et ce n’est pas Claude Leroy qui intervient alors qu’il nous avait dit qu’il était Conseiller spécial du Chef de l’Etat ! C’est vrai que le Chef de l’Etat a peut-être aussi cette attitude énigmatique qui fait qu’on dit tout de lui et qu’on ne sait jamais ou très rarement ce qu’il pense vraiment. Maintenant si Roger Milla a dit qu’il était chargé de mission du Chef de l’Etat sur le cas de Patrick Mboma, moi je veux bien le croire, puisque c’est lui qui le dit. Mais à ce moment-là on attendra de voir si c’était une mission ponctuelle ou si c’est une mission permanente.
Et si c’était vrai ?
Justement, je ne veux pas éventuellement condamner quelqu’un sur une supposition. Je ne suppose pas que ce soit vrai. Je pense que ce n’est pas le rôle du Chef de l’Etat de choisir les footballeurs. Et ça m’étonnerait que, avec les occupations qui sont les siennes, il connaisse si bien le football directement et si personnellement qu’il puisse sélectionner un joueur. Vous savez, en 1990, on avait demandé à Nepomniachi de ne pas me faire jouer la Coupe du monde en Italie. Tout le monde était convaincu que c’était sur ordre du Chef de l’Etat. J’ai découvert par la suite et de manière formelle qu’il n’en était rien. Donc je sais qu’il yen a qui ne comprendront pas que j’hésite tant à me mouiller contre le Chef de l’Etat. Mais c’est parce que j’ai une expérience personnelle.
Restons dans la supposition et imaginez-vous à la place de Schäfer. Qu’auriez-vous fait?
Je ne suis pas à la place de Schäfer. Mais je pense que si j’y étais, ça n’arriverait pas. Quand j’étais joueur, je faisais ce qui me semblait bon à mon poste pour mon équipe. Et je n’ai jamais reçu d’ordre de personne. C’est pour ça que j’ai du mal à croire que les ordres viennent d’ailleurs. Mais pour répondre de manière précise à votre question, je dirais que si j‘étais à la place de Schäfer, je crois que cette situation n’arriverait pas.
Mais pensez-vous que Patrick Mboma est indispensable dans cette équipe des Lions Indomptables?
Je pense que votre question est formulée de manière délicatement négative. En ce sens que nul n’est indispensable, et donc que si j’étais entraîneur, je pourrais me passer de n’importe qui, à condition que ce soit les circonstances qui m’y contraignent. Donc le jour où Patrick Mboma est blessé, on joue sans lui. Et cela est déjà arrivé. Mais, de là à recevoir des instructions pour se passer volontairement d’un bon joueur qui n’ait pas été pris en flagrant délit d’indiscipline, je crois que ce n’est pas logique. Je pense la sélection pour la forme de Patrick Mboma relève de Schäfer, puisqu’il l’a vu en matches et en stage avec les Lions. Moi j’ai pas vu Patrick Mboma comme les autres. En tout cas, ce n’est pas mon rôle. Je ne suis pas payé pour le faire. Ceux qui sont payés pour le faire doivent se déplacer pour aller les voir jouer. On ne peut pas juger un joueur sur des bribes de matches. Si c’est un gardien, vous risquez de ne le voir que quand il a pris un but. C’est pas sûr que vous le jugerez de manière correcte. Donc je ne peux pas avant la CAN juger l’effectif des Lions joueur par joueur. Je pourrai les juger, évidemment le moment venu, pendant la CAN quand je les aurai sous les yeux.
Et collectivement…
Je pense que globalement, on se base sur des résultats obtenus ici et là. Les Lions restent les favoris de la CAN. Il y a quand même que les comportements pendant la préparation dont notamment les perturbations telles que celles dont vous faites état ne sont pas toujours indispensables. Elles sont même une espèce d’obstacle à la performance. Je crois que les Lions ou en tout cas leur environnement a intérêt à assainir un peu l’ambiance.
Wome Nlend accuse le capitaine Rigobert Song d’être pour beaucoup dans son exclusion: Que pensez-vous d’une telle attitude ?
Je suis mal placé pour répondre à votre question parce que je ne vis pas avec les Lions. Si j’avais eu Wome et Song en face, et que je les écoutais, j’aurais pu donner un jugement de valeur. Mais ce que je peux dire, c’est qu’il est clair que de telles attitudes ne sont pas bonnes, et que de tels problèmes ne devraient pas apparaître. Vous savez que là où il y a des hommes, là où il y a un peu de gloire, un peu d’argent, les hommes se déchireront et se rabaisseront toujours. Ce n’est donc pas surprenant que les uns se rabaissent à écarter les autres. Ce sont des problèmes qui devraient être gérés par l’encadrement des Lions.
Antoine Francis EKANG