Dans cet entretien à bâtons rompus (avec Le Messager), il parle de son accueil, de la méthode de travail qu’il compte mettre en place, de ses rapports avec les joueurs et ses adjoints, de la querelle sur la vieillesse de certains de ses joueurs, des chances de ses poulains, etc. Il est 22 heures 30 mercredi 3 juin 2009 lorsque nous quittons le nouvel entraîneur plutôt confiant. La nuit est tombée. Les joueurs semblent tous déjà dormir dans l’hôtel-villa. Leurs supporters ont aussi rejoint leurs domiciles privés. Chacun a la tête tournée vers la confrontation de dimanche. L’avenir des Lions dans la première coupe du monde en terre africaine se jouera à Mfandéna.
Comment avez-vous accueilli votre nomination au poste de sélectionneur par intérim des Lions Indomptables ?
Je n’avais aucune ambition pour ce poste, je n’attendais pas d’y être nommé ; aussi est-ce avec grande surprise que j’ai accueilli la décision de la tutelle qui a fait confiance à ma personne. C’est une grande responsabilité, c’est une lourde responsabilité par rapport à ce que représente le football pour le Cameroun et pour les Camerounais.
Et comment vos adjoints et les joueurs l’ont-ils accueillie ?
Dans le discours que j’ai tenu à l’endroit des uns et des autres, je me suis appesanti sur le fait que ce qui importe n’est pas la place que l’on occupe, mais l’objectif commun que nous devons nous fixer ; nous devons tous regarder du même côté, du côté où se trouve l’intérêt supérieur de notre pays, et conjuguer nos efforts pour obtenir les résultats que le peuple attend de nous. Tous ont accueilli ma nomination avec respect, et surtout les joueurs dont la plupart sont avec moi depuis huit ans ; ils l’ont pris naturellement et affectueusement. Mais au-delà de tout ceci, il faut démontrer ce soutien en se battant pour le football camerounais, mais aussi et surtout pour moi qui suis aujourd’hui dos au mur…
Les responsabilités qui viennent ainsi de vous être confiées ne vous effraient-elles pas ?
C’est déjà arrivé par le passé, que le destin des Lions soit confié à un Camerounais. On a souvent décrié la fuite de cerveaux en Afrique ; c’est que bien souvent, même à compétence égale, priorité est donnée à l’expatrié. On dirait que nous avons souvent manqué le courage de confier le travail aux nôtres. Je n’ai jamais eu l’ambition d’être nommé à ce poste, je le répète ; je ne sais pas combien de matches je vais conduire pour les Lions, mais mon ambition, c’est que mon passage soit marqué par quelque chose de positif, afin de convaincre de ce que les Camerounais sont capables de prendre en main leur destinée.
Ne redoutez-vous pas que ce qui est souvent arrivé aux entraîneurs camerounais des Lions Indomptables vous arrive aussi ?
Je suis parti du Cameroun il y a 26 ans ; j’ai fait ma vie en Europe où j’ai beaucoup appris. Je préfère me tromper dans mes décisions plutôt que dans des conflits qui n’ont rien à voir avec le football. Je veux dire que je suis autant Européen qu’Africain, et c’est, je crois, un avantage.
Votre prédécesseur Otto Pfister a adressé au peuple camerounais une lettre ouverte publiée dans Le Messager, dans laquelle il dénonce entre autres choses qui l’ont amené à démissionner, le fait pour la hiérarchie de prendre des décisions sans le consulter, le mettant ainsi devant le fait accompli, ce qui réduit son autorité même par rapport à ses adjoints. Thomas Nkono n’a-t-il pas peur de se retrouver lui aussi face à de telles situations un jour ?
Je dois dire que j’ai beaucoup appris d’Otto Pfister, notamment la solidarité ; nous n’avons jamais été solidaires qu’on l’a été sous lui, surtout en temps difficiles. De plus, j’ai l’avantage de bien connaitre mes collègues qui m’accompagnent dans cette aventure : j’ai joué avec Jean-Paul Akono pendant dix ans au Canon de Yaoundé, avant de faire partie de son équipe qui remporta la médaille d’or aux Jeux olympiques de Sidney. J’ai autant travaillé longtemps avec Ndtoungou et Kaham, donc je ne vois pas bien d’où viendrait le conflit entre nous.
Une certaine opinion réclame en ce moment le départ de certains cadres de l’équipe nationale qu’elle juge vieux ; quelle appréciation faites-vous de cette revendication ?
Ce que je retiens de cette revendication, c’est qu’elle demande le départ de joueurs qui jouent à un haut niveau. Qu’on regarde bien notre équipe nationale : elle a été renouvelée au moins à 95% depuis quelques années. On ne peut exiger des résultats et demander en même temps un changement de ce genre. La relève doit se faire en douceur, les anciens évoluant avec les nouveaux avant de leur céder progressivement la place. Ces cadres dont on parle ont donc un rôle à remplir ; je les ai vu arriver en équipe nationale, ils sont aujourd’hui des messieurs et jouent un rôle important auprès des jeunes. Je crois que nous ferions mieux de laisser le changement s’opérer de manière naturelle au sein des Lions.
Quel est aujourd’hui l’objectif premier de Thomas Nkono à la tête des Lions indomptables ?
Qualifier le Cameroun pour la Coupe du monde de 2010. C’est la première fois que cette compétition se déroulera en sol africain ; imaginez-vous un tel événement en Afrique sans le Cameroun ? C’est comme si on jouait la Coupe du monde sans le Brésil.
Comment avez-vous trouvé la prestation de vos poulains lors du match amical (le tout premier de Thomas Nkono en tant que sélectionneur national) livré mardi soir contre l’équipe de Tubize ici en Belgique ?
C’est un match qui m’a tranquillisé, qui a calmé mes inquiétudes ; j’ai découvert de jeunes mais grands joueurs comme Chago que je ne connaissais pas, même si j’en avais entendu parler. Ou même Chedjou que je ne connaissais pas dans le rôle qu’il a joué : grande puissance, balle au pied… Cela donne un peu de tranquillité à l’entraîneur pour travailler. C’est sûr qu’il y en a d’autres qui évoluent ailleurs et qu’on ne connait pas ; c’est donc l’occasion pour moi de lancer ici un appel afin que ceux-là se signalent s’ils veulent vraiment se faire connaître.
A 72 heures de cette rencontre déterminante contre le Maroc, comment jugez-vous l’esprit et le moral des joueurs ?
Le moral des joueurs est au beau fixe comme on dit ; nous avons commencé à travailler sur la manière de jouer contre le Maroc. Nous avons encore deux séances d’entrainement ici en Belgique, et une dernière à Yaoundé avant le match ; cette dernière sera davantage une séance de reconnaissance de terrain. Ensuite ce sera le repos et la concentration.
On sait que vous devez choisir une vingtaine de joueurs sur la trentaine convoqués pour ce stage en Belgique ; alors, quels Lions face aux Lions de l’Atlas ce dimanche ?
Des Lions Indomptables (rire). C’est un moment difficile, c’est le moment le plus difficile pour un entraineur. La chance que j’ai, c’est que j’ai trois compagnons qui m’accompagneront dans le choix, ainsi nous aurons huit yeux pour choisir de manière collégiale. Nous faisons le point tous les soirs pour arrêter le programme des entrainements ; nous espérons pouvoir choisir facilement de cette manière. C’est la mort dans l’âme que nous laisserons les trois ou quatre joueurs qui ne pourront pas être avec nous cette fois-ci, tellement tous les gars ont du talent.
Que représente pour vous, en définitive, la rencontre de dimanche contre le Maroc ?
C’est un challenge qu’il faut gagner. Et pour gagner nous devons être forts, nous devons être ensemble. Nous nous laissons parfois distraire, mais aujourd’hui l’heure n’est plus à la distraction, mais à l’union ; nous devons nous unir pour aller chercher la victoire. Ceux des Camerounais qui iront au stade devront nous aider, nous soutenir et nous encourager même dans les moments difficiles, afin de nous conduire à la victoire.
Quel message aimeriez-vous adresser aux uns et aux autres à la veille de cette rencontre capitale pour la participation du Cameroun à la Coupe du monde 2010 ?
C’est beaucoup plus aux joueurs que je m’adresserai d’abord ; mon message pour eux est celui de tous les jours : oser, oser et oser encore. Travail, solidarité et respect des autres. Discipline, discipline encore et discipline toujours. A la hiérarchie, je dis merci de m’avoir donné l’opportunité de montrer qu’on peut aussi travailler comme les autres. Aux Camerounais enfin, je dis : confiance, confiance encore en leurs frères, car avec leur confiance, les joueurs s’envoleront vers la victoire, pour la victoire.
Contexte:
C’est à l’Auberge du Vieux Cèdre, un hôtel 3 étoiles, situé à 38 km de Bruxelles, la capitale européenne, aux confins de deux provinces belges : le Brabant-Wallon et le Hainaut, où séjournent les footballeurs camerounais depuis trois jours que nous avons rencontré Thomas Nkono, le nouveau patron des Lions Indomptables. C’est la deuxième fois que l’équipe camerounaise vient s’entraîner en Belgique : la première fois, les fauves de la forêt avaient pris leurs quartiers dans les installations du Sporting club à Charleroi.
Aujourd’hui, les organisateurs du regroupement ont opté pour Tubize, dans la toute nouvelle infrastructure construite pour les Diables Rouges, l’équipe nationale belge. C’est encore François Ngoumou, consultant officieux des Indomptables, qui a servi de facilitateur, tout comme la première fois. Pourquoi les Lions s’entraînent-ils en Belgique ? Parce que géographiquement, la Belgique de par sa position centrale, facilite le regroupement des footballeurs professionnels camerounais évoluant en Europe, justifie François Ngoumou, entraîneur de l’équipe des jeunes de l’Afc de Tubize, principal artisan du match d’entraînement de mardi dernier.
Face à l’hôtel solidement gardé, des supporters camerounais, mais aussi quelques Marocains, tentent d’entrer en relation avec nos sportifs vert-rouge-jaune. Calme, le nouveau patron du banc de touche des Lions Indomptables, irradie la sérénité autour de lui. Alors que d’aucuns se seraient dérobés à la sollicitation, Thomas Nkono accède à notre requête. Sans se départir de cette bonne humeur légendaire qu’on lui connaît, il n’élude aucune question, mêmes les plus gênantes répondant avec une assurance tout à fait étonnante au vu du contexte qui prévaut à 72 heures de la rencontre capitale de dimanche prochain (pour rappel, le dernier match qui opposa l’équipe du Cameroun à celle du Maroc remonte à dix-sept ans. C’était à Dakar en 1992. L’équipe camerounaise avait alors gagné un but à zéro).
Par Entretien avec Pius N. NJAWE à Enghien