Spécialisé dans la médecine du sport et ancien médecin du Brest Armorique et du Stade Brestois, Yannick Guillodo a veillé pendant un an sur la santé de la sélection du Cameroun où il était, avec Paul Le Guen, son adjoint Yves Colleu et le kiné Joël Le Hir, l’un des quatre Bretons du staff. Malheureusement, au Mondial sud-africain les Lions se sont vite rendu compte qu’ils n’étaient pas indomptables.
Vous avez travaillé auprès de l’équipe du Cameroun de juillet 2009 à juin dernier, comment êtes-vous devenu le docteur de cette sélection?
«Paul Le Guen, avec qui j’étais toujours resté en contact depuis son départ de Brest et qui venait d’être nommé sélectionneur du Cameroun, m’avait dit en juin2009 qu’il était intéressé par ma venue. En juillet, il m’a laissé 24heures pour me décider. Je n’ai pas hésité et, à la fin août, je me suis retrouvé à Yaoundé pour le rassemblement organisé avant les deux matchs contre le Gabon, qualificatifs pour la CAN et la Coupe du monde. Depuis, j’ai suivi l’équipe à chacun de ses déplacements.»
Alors que vous êtes parti de Brest, le 16mai pour le stage de préparation en Autriche, vous espériez retrouver votre cabinet plus tard que le 29juin…
«Nous avions tous envisagé la possibilité de passer le premier tour. Malheureusement, après la défaite initiale face au Japon (1-0), on s’est rendu compte que ce serait très, très difficile.»
Votre parcours dans cette Coupe du monde a vraiment été court-circuité par ce revers?
«Sans nul doute. L’équipe est passée à côté de ce match qui l’a plombée. Elle ne l’a pas démarré, elle ne l’a pas joué comment elle aurait dû le faire. Jouer à 16h, ce n’est pas un bon horaire pour les Camerounais et, au bout d’un quart d’heure de jeu, on se demandait si les joueurs allaient réussir trois passes de rang. A la fin du match, la frustration et l’amertume ont été énormes.»
Le Cameroun n’a-t-il pas été trahi par sa défense, comme d’autres pays africains?
«Je pense plutôt que nous n’avons pas su exploiter nos occasions. Le Japon en a une demie et il marque, quand nous ratons une très nette par Choupo-Moting avant un tir sur la transversale de Stéphane Mbia. Dans les compétitions majeures, plein de petits détails ont une grande importance. Avant le début du Mondial, on s’était moqué un peu des Japonais, parce que durant notre préparation leurs journalistes nous suivaient partout. Un jour à l’entraînement en Afrique du Sud, un vol d’oies nous a survolés et on s’était dit en plaisantant que ce devaient être des drones japonais équipés de caméras. Mais leur force c’est peut-être d’avoir mis en place une organisation et une préparation monstrueuses.»
La tension était à son maximum lors du deuxième match face au Danemark.
«Dans le stade magnifique de Pretoria, qui rappelle Highbury, l’ancien stade d’Arsenal, avec des tribunes qui tombent au ras des lignes de touche, on savait qu’il fallait gagner pour espérer encore quelque chose. Cette fois, l’équipe met tout de suite le feu dans le match, joue bien mais ne marque pas autant qu’elle aurait dû le faire (1-2). On sort de ce match en se demandant si c’est la défense ou si c’est l’attaque qui n’a pas été assez efficace. Mais la frustration est moins grande que face au Japon.»
Paul Le Guen n’est-il pas sorti trop cassé de cette Coupe du monde?
«Il a énormément souffert du premier match face au Japon, parce que l’équipe n’avait rien montré et parce que cette défaite plombait l’ambiance dans une délégation de près de 50 personnes. Deux jours avant le match contre le Danemark, il y a eu une grande réunion avec le ministre des Sports, Michel Zoa. Mais des changements de joueurs n’ont pas été imposés à Paul qui est resté très droit dans ses bottes et qui a assumé la responsabilité des choix dictés par la première défaite. Quand un groupe vit aussi longtemps ensemble et que les résultats ne suivent pas, il y a obligatoirement des tensions, des sous-clans qui se forment. Mais Paul n’a pas vécu sous les directives d’une personne ou d’une autre.»
L’attitude de Samuel Eto’o, mettant la pression sur Paul Le Guen, lors d’une conférence de presse avant le match contre le Danemark, a été cependant très ambiguë ?
«Bien que ce soit une star du foot mondial, Eto’o a toujours besoin de marquer son territoire et d’être conforté et reconnu. Sortant d’un fabuleux triplé avec l’Inter Milan, il est arrivé en retard au stage en Autriche et il se fait expulser lors d’un match amical face au Portugal. Même s’il a fait comme si de rien n’était, ce carton rouge a pesé certainement. Il s’est senti obligé de s’affirmer d’une autre façon dans le groupe et dans le jeu. Paradoxalement, malgré son superbe palmarès et son statut de capitaine, on a l’impression qu’il est toujours sous la pression des anciens (Kameni, Gérémi, Rigobert Song).»
Dans une interview, Stéphane Mbia a évoqué des problèmes internes au moins aussi importants que ceux existant en équipe de France.
«Je ne sais pas comment ça se passait chez les Français, mais pour le Cameroun ça me paraît très, très exagéré. Je n’ai jamais vu le ton monter et je n’ai pas ressenti ce genre de problème lors des entretiens individuels que j’ai pu avoir avec les joueurs. Mais peut-être qu’un facteur a pesé aussi sur notre premier match, la titularisation de deux joueurs qui font partie de la diaspora camerounaise, Matip (Schalke 04) et Choupo-Moting (FC Nuremberg) qui sont métis, nés en Allemagne et pas au Cameroun. Cette entrée en matière a peut-être été très dure pour ces deux bizuths.»
Est-ce facile en tant que médecin de travailler aux côtés de Paul Le Guen?
«C’est un plaisir de travailler avec lui. Il m’a accordé une grande confiance et il nous fiche une paix royale dans notre salle de soins. A la différence de plusieurs entraîneurs que j’ai connus qui affirment respecter le choix du docteur quand un joueur est blessé et qui ont quand même envie de la faire jouer le week-end suivant, Paul nous laisse la liberté de décider.»
Sur le plan professionnel, qu’avez-vous appris de ce Mondial ?
«Beaucoup de choses. On a été rejoint en Afrique du Sud par un kiné de l’Inter Milan qui a contribué à professionnaliser encore plus le travail. J’ai dû m’adapter aussi au nomadisme médical que m’ont imposé dans les semaines précédant le Mondial les déplacements successifs par l’Autriche, l’Espagne, la Serbie et le Cameroun avant de rejoindre Durban. J’avais un échographe portable qui permettait d’être très réactif en cas de blessure.»
Malgré l’élimination précoce du Cameroun, considérez toujours que Paul Le Guen vous a fait un beau cadeau en faisant appel à vous il y a un an?
«Tout à fait car l’expérience a été extraordinaire. La logistique et l’organisation de la FIFA sont impressionnantes, les Sud-Africains étaient excessivement sympas et j’ai pu découvrir des joueurs de très haut niveau.»
Si vous ne deviez garder le souvenir que d’un seul moment ce serait lequel?
«Ce serait le plus triste, la rentrée aux vestiaires après le match contre le Japon dans un silence terrible. J’ai eu l’impression que la Coupe du monde était déjà finie pour nous avant d’avoir commencé.»
Recueilli par Yvon Joncour