Son expérience internationale n’a rien d’un fleuve tranquille. Souvent mis au ban de la sélection de façon injustifiée, Achille Emana n’a rien d’un taulier dans cette équipe qu’il a rejoint pourtant très jeune. Fort d’une belle saison avec la surprenante équipe de Toulouse et d’une mi-temps avec les Lions Indomptables après avoir été appelé en complément, Achille peut faire son bilan. Equipe nationale, Toulouse, son avenir, le joueur dit tout…
Qu’est-ce que cela vous fait de vous retrouver à nouveau au sein de l’équipe nationale ?
Ca fait du bien. Ca me comble de joie. C’est vrai que ça manque parfois de savoir que les autres sont partis et que moi je n’ai pas été convoqué. C’est une déception, et non pas une honte, de savoir que l’on a régulièrement été appelé en équipe nationale mais que l’on n’a jamais joué. Et que les autres sont partis. Et là ça fait encore plus mal. Donc là, cela me fait plaisir d’être en équipe nationale.
Même si vous avez été appelé en bouche trou…
Ça me fait mal de savoir que j’ai été appelé à la place de quelqu’un d’autre. Cela veut dire que je n’étais pas prévu du tout c’est pourquoi on m’a appelé à la dernière minute. Cela veut dire que mes prestations n’ont pas compté, que mon travail n’a pas totalement été récompensé. Mais c’est une page à laquelle je ne tiens pas toujours compte du moment que je suis là !
Evoluer sous les couleurs de l’équipe nationale, c’est un rêve d’enfant qui se réalise ou alors c’est le chemin normal lorsque l’on a atteint votre niveau ?
C’est un rêve d’enfant qui se concrétise. Quand on est sportif, quelque soit sa nationalité, on rêve un jour de porter les couleurs de son pays au cours d’une compétition majeure. Pour le footballeur que je suis, c’était également un rêve de gamin. Et depuis 2003 qu’il s’est réalisé, pour moi c’est une satisfaction.
Il n’en demeure pas moins que vous avez mis du temps à vous adapter…
On ne peut pas dire que j’ai mis du temps pour m’adapter. Ce sont plus tôt les conditions qui n’étaient pas pareilles car à chaque fois les différents entraîneurs avaient des choix à faire. Et nous en tant que joueurs nous ne pouvons que les accepter. Ce que j’ai fais car se sont eux, les entraîneurs, qui jugent, et non pas nous, les joueurs. En ce qui concerne l’environnement, je ne pouvais pas avoir des problèmes d’adaptation car nous sommes tous des Camerounais. Il fallait juste que je puisse me fondre dans le moule. Ce qui a toujours été le cas. Seulement les décisions n’ont jamais été prises par moi.
Qu’est-ce qui aura été le plus difficile : s’adapter aux systèmes des différents sélectionneurs ou à l’ambiance générale de l’équipe ?
C’est surtout aux systèmes des entraîneurs car je ne savais pas ce qu’ils attendaient de moi. Et jusqu’au aujourd’hui je n’en sais pas plus. Mais bon, je pense que la cohésion avec mes compatriotes est tellement forte que même si l’entraîneur ne me dit pas ce qu’il attend de moi, mon jeu correspond quand même à celui de certains de mes partenaires.
Il y a quelque temps, vous traîniez une réputation de joueur indiscipliné. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Tout le monde m’a toujours collé cette étiquette. Mais moi je ne vois pas ce que j’ai fais de mal. Je pense au contraire que j’ai toujours été un joueur discipliné, du moment où je venais lorsqu’on me convoquait en sélection nationale. Je respectais tout ce que l’on me demandait de faire : à 23 heures dans ma chambre, à 12 heures à table… Le seul défaut c’était, de ne pas trop parler aux journalistes. Je faisais simplement ce que l’on me demandait de faire. Je préfère écouter les gens que de parler et de raconter n’importe quoi. Ce qui ne sert à rien et me dessert au contraire. C’est pour cela que l’on dit que je suis un garçon indiscipliné. Mais si c’est toujours le cas, tant pis. Mais mes compatriotes savent comment je suis, qui je suis. Que ceux qui me jugent de travers continuent. Je ne peux malheureusement pas les empêcher de le faire.
Il se trouve que ce sont des entraîneurs qui ont estimé qu’ils ne pouvaient travailler avec toi parce que tu étais un flambeur, un jeune homme qui avait beaucoup plus la tête à s’amuser qu’à se concentrer…
Le football c’est d’abord un jeu, un amusement. Si on est sur le terrain c’est d’abord pour prendre du plaisir. Maintenant, s’ils [les entraîneurs] me jugent sur autre chose, j’estime que cela n’est plus de mon ressort. J’estime que je peux très bien me regarder dans une glace sachant très bien ce que je fais. Chaque fois je suis venu en équipe nationale, j’ai parfaitement fait ce qu’il fallait faire. J’essaie de respecter tout un chacun comme je me respecte déjà moi-même. S’il y a autre chose, une autre polémique, ce sont eux qui ont jugé. Pour ce qui est de mon cas, on me m’a jamais fais part de cela. Ce qui est dommage. Mais j’apprends de gauche à droite que je suis un joueur indiscipliné. Seulement, personne n’a jamais osé me le dire en face. Quant à moi, je continue de travailler, à faire ce que j’ai à faire.
Flambeur ? Ce n’est pas parce qu’on va porter une montre qui est chère ou parce qu’on va hausser le col de sa chemise que l’on va tancer de flambeur. C’est peut-être ma façon à moi d’être. Chacun à sa manière de se sentir bien dans sa peau. Maintenant, moi, je me sens bien dans ma peau. Flambeur ou pas, ce n’est pas mon truc.
Est-ce qu’on peut dire que Achille Emana s’est assagi ?
Il y a longtemps que je me suis assagi. C’est comme un fruit, quand il tombe on ne le voit jamais sur le coup. Çà vient avec le temps. Maintenant, s’ils m’ont rappelé, sachant que le flambeur, il va revenir nous embêter, cela veut bien dire qu’ils ont vu qu’il y a eu un changement. Avec moins d’histoires derrière, je pense que maintenant je suis sage. Depuis 2003 quand même, j’ai appris des leçons qui bien m’ont servi. A présent, je m’en tiens à ce que je suis devenu.
Entre autres leçons assimilées ?
De ne pas regarder de gauche à droite, de moins communiquer avec les gens, de moins faire les choses ils le veulent. Maintenant j’essaie de me mettre dans le moule et d’écouter.
Ce sont sans doute tes mises à l’écart répétées qui t’ont assagi, du moment quelles t’ont apparemment beaucoup affecté ?
Oui, cela affecte énormément. Quand on sait que l’on a fini une saison bien pleine, qu’il y a une coupe d’Afrique ou les qualifications d’une coupe du monde, on aimerait être appelé par rapport à ce que l’on donne sur le terrain ou par rapport à ce que l’on donne avec son club. Mais à la fin je me retrouve en quelque sorte banni. C’est décevant, touchant. Ce d’autant plus que l’on ne te donne pas d’explications valables qui puissent te permettre e savoir de quoi tu es coupable. C’est un peu comme si on t’accuse d’avoir volé un œuf sans te donner une preuve de ce vol. Donc c’est touchant. Je pense qu’il y a ma famille, il y a ma maîtrise dans le sport en grande partie et aussi dans le judo qui ont fait en sorte que je passe au dessus de cela. Quand je regarde tout ce qu’il y a dans ce monde, à travers les malheurs que les uns et les autres vivent au quotidien, je pense que si on ne m’appelle pas en sélection, même si je suis déçu, ce n’est pas une fin en soi.
Bien que tu aies embrassé une carrière professionnelle tu continues tout de même à pratiquer le judo ?
Oui. Avant je le pratiquais de façon intense. Maintenant que je suis footballeur, je continue un peu. J’ai repris le judo pour récupérer un peu au niveau de mes capacités, de mes recettes. Ceci me permet aussi d’être plus costaud que par le passé.
A quel niveau vous situez-vous à présent?
J’ai toujours ma ceinture noire, 1ère Dan.
On retrouve un Achille Emana au mieux de sa forme depuis le début de la saison 2006-2007 de la Ligue 1…
Il y a un changement d’entraîneur, la perception qu’ont les autres de ma personnes a changé, c’est tout cela, mis ensemble, qui fait en sorte que je sois un peu plus libre dans ma tête. Le changement d’entraîneur a ceci de positif que je discute avec lui. Ce n’est pas quelqu’un de fermé. C’est quelqu’un qui aime le jeu. Il est comme moi. A certains moments, il faut savoir s’amuser. De lundi à vendredi on peut s’amuser. Mais le samedi est un jour important, il faut gagner quelque chose. Et là on ne rigole pas. C’est un peu cela qu’il m’a inculqué. Ce qui fait en sorte que je sois un peu constant dans mes performances.
Quelles sont les ambitions de Toulouse cette saison ?
C’est d’essayer de prouver aux gens que nous avons un très bon niveau, que nous avons des joueurs de capacité, de valeur. Si vous regardez très bien, lorsque nous avons battu Lyon, on a dit que c’est parce que les joueurs étaient fatigués. On gagne Lille, on dit : » ils sont dans une mauvaise passe « . On gagne Marseille, on pense que » ce sont les problèmes financiers qui font en sorte que les joueurs n’avaient pas la tête au jeu « . Donc, on n’a jamais reconnu la valeur de Toulouse dans tous les domaines.
Cette année, nous ne parlons pas de Ligue des champions ni de Coupe de l’Uefa. Nous voulons montrer aux gens, notamment aux médias que Toulouse est aussi un grand club (comme il est reconnu que c’est la quatrième ville de France), qu’il possède des joueurs talentueux. Comme la ville est reconnue pour son rugby, nous voulons également que ce soit ainsi pour le football. Et ceci non pas par des petites magouilles, mais par ce que nous essayons de prouver sur le terrain. C’est ce que avons essayé de faire jusqu’aujourd’hui, prouver au grand jour ce dont Toulouse Football Club est capable.
Il n’en demeure pas moins que d’un match à un autre, Toulouse est capable du pire comme du meilleur et inversement…
Ce n’est pas que nous sommes capable du pire. On ne refuse pas la défaite mais il y a quand même onze joueurs qui sont en face de nous. Nous voulons gagner tous nos matches. Mais il y a des jours avec et des jours sans. Ce qui fait que quand une défaite arrive, il ne faut pas se laisser aller, il faudrait gérer cela d’une certaine manière. Et quand il faut gagner, même si c’est par un but à zéro, il faudrait pouvoir le faire et, surtout, montrer notre capacité à conserver ce score-là. Le pire, c’est lorsqu’on encaisse un but et qu’on ne parvient pas à réagir sur le coup parce que l’on se dit que c’est fini alors que ce n’est pas le cas. Ce qui est bien à Toulouse, c’est que nous savons toujours réagir après une défaite.
«Surtout pas de blessure…»
A vous entendre, on vois bien vous vous sentez à l’aise à Toulouse. Mais est-ce qu’il ne vous arrive pas de penser à aller voir ailleurs ?
Tout joueur pense à aller voir ailleurs. Je l’ai toujours dit : si j’ai la possibilité de jouer une coupe d’Europe, ce serait avec plaisir, que ce soit avec Toulouse ou avec un club étranger. J’ai eu des contacts l’année dernière, mais cela ne s’est pas concrétisé j’ai toujours eu envi d’aller voir ailleurs. Seulement, il faudrait que les clubs viennent frapper à la porte du Tfc. Et que cela se passe bien avec le président du club. Ce serait tant mieux pour moi. Mais comme ce n’est pas le cas pour l’instant, je vais continuer de travailler pour essayer d’attirer les clubs vers moi.
Des quatre meilleurs championnats européens (Calcio italien, Liga espagnole, Premier League anglaise et la Bundesliga allemande), quel est celui qui vous tente le plus ?
Je voudrais retourner en Espagne ! Je veux retourner en Espagne parce que c’est u championnat qui m’a toujours plu. Depuis ma formation à Valence, j’ai gardé de bons souvenirs de la Liga. C’est quelque chose d’unique au monde, qui me va bien. Je me suis adapté pratiquement en France. Ce qui fait que le style de football européen je l’ai quand même dans la peau. C’est pourquoi je pense que le championnat espagnol me conviendrait le mieux.
Quel est le rêve secret d’Achille Emana en ce qui concerne sa carrière ?
C’est d’arriver jusqu’à la fin de ma carrière en bonne santé. Et surtout jouer au plus haut niveau pendant un bon bout de temps. Je ne veux pas arrêter maintenant. Surtout, que je ne me blesse pas et que je n’ai pas de malheur tellement grave qui puisse m’amener à interrompre ma carrière.
Bertille M. Bikoun