« Rien ne peut nous consoler de cette élimination (ndlr: coupe du monde 2006). Il faut juste vivre avec. Jusqu’au bout des éliminatoires, on méritait de se qualifier car on a prouvé que l’on était une grande nation du football. Mais la chance n’était pas de notre côté. Il était dit que c’est la Côte d’Ivoire qui irait à la Coupe du monde et elle l’a mérité. »
Vous avez longtemps hésité avant de décider de participer à la Coupe d’Afrique des nations (CAN), évoquant même la possibilité de faire des allers-retours entre Le Caire et Barcelone, votre club. Le Barça a-t-il essayé de vous retenir ?
Le Barça ne se permettrait jamais de faire pression sur moi. Et je ne l’accepterais pas. Ce sont des problèmes internes à l’équipe du Cameroun, des choses qui doivent rester entre nous et dont je n’ai pas envie de parler avec la presse, qui m’ont fait hésiter dans mon choix.
Vous êtes le meilleur buteur de la CAN avec quatre buts en deux matches. Vous ne regrettez donc pas d’être là ?
Ce n’est pas le fait d’avoir marqué des buts qui me satisfait de mon choix. En décidant de venir, j’étais content car je savais que j’allais passer un bon moment avec l’équipe du Cameroun.
Votre objectif est désormais de remporter la CAN ?
Comme toutes les nations qui participent à la compétition, si le Cameroun est au Caire, c’est pour essayer d’aller jusqu’au bout. Maintenant, le chemin est long et beaucoup d’obstacles peuvent nous en empêcher.
Gagner la CAN vous consolera de votre absence à la Coupe du monde ?
Non. Pas du tout. Rien ne peut nous consoler de cette élimination. Il faut juste vivre avec. Jusqu’au bout des éliminatoires, on méritait de se qualifier car on a prouvé que l’on était une grande nation du football. Mais la chance n’était pas de notre côté. Il était dit que c’est la Côte d’Ivoire qui irait à la Coupe du monde et elle l’a mérité.
Grâce au football, vous êtes devenu une star. Beaucoup de jeunes Africains rêvent de vous imiter et quittent l’Afrique dans l’espoir de réussir mais se retrouvent souvent dans des situations très précaires en Europe…
Mais vous savez pourquoi ? Parce que tous ces jeunes qui rêvent de devenir Samuel Eto’o ne rêvent pas de devenir Samuel Eto’o parce que je suis un bon footballeur, mais parce que je gagne des millions. C’est la différence entre Samuel Eto’o et tous ces jeunes qui veulent devenir footballeurs pour gagner des millions. Il faut d’abord aimer ce job pour qu’il vous le rende bien. Moi, j’oublie tout quand je suis dans un stade, tout ce que je peux gagner, tout ce que le football a pu m’apporter : je ne pense qu’à jouer au football, parce que c’est ce que j’aime le plus.
Mais ces jeunes Africains qui partent pour l’Europe aiment le football…
Ils pensent qu’en arrivant en Europe ils décrocheront des millions. Certaines personnes leur disent : « Tu gagnes combien ici ? Rien. Là-bas, on va te trouver un contrat. » On peut réussir partout dans le football. Mais pas n’importe comment. Il faudrait que les jeunes prennent plus leur temps pour gravir les échelons. Jouer d’abord au Cameroun. Devenir le meilleur joueur du championnat camerounais pour entrer dans l’équipe nationale. Et une fois en équipe nationale, si vous êtes un très bon, tous les clubs viendront vous chercher, légalement. Mais aujourd’hui, les clubs et les jeunes veulent passer par d’autres chemins qui ne sont pas corrects. Et souvent avec la mauvaise complicité de certains individus qui gravitent autour du football.
Vous voulez parler d' »agents » de joueurs ?
Je veux parler de tous ces responsables du football, de tous ceux qui organisent le football. On vit avec tous ces gens-là. Maintenant, il faudrait qu’on essaie de contrecarrer leurs plans. Il faut se mettre ensemble et réfléchir. Les jeunes doivent partir dans de bonnes conditions, en étant encadrés et en étant assurés de ne pas se retrouver dans la rue en Europe. Moi-même, j’accueille dans ma maison de Majorque des jeunes qui s’étaient retrouvés sans rien.
Vous financez un centre de formation à Douala, au Cameroun
…
J’ai créé cette association pour aider les jeunes à aller en Europe dans de bonnes conditions. Mais je ne veux pas en parler car c’est quelque chose de personnel et je ne veux pas qu’on pense que je le fais pour me faire de la publicité.
Vous-même avez connu des débuts difficiles lorsque vous avez quitté le Cameroun pour la France ?
Quand je suis arrivé en France, à 14 ans, comme tout jeune Africain, je suis resté sans papiers, sans rien. J’ai joué un temps à Avignon avant de venir à Paris, chez ma soeur. Comme je n’avais pas de papiers, je ne pouvais ni aller à l’école ni jouer au foot. Je ne pouvais rien faire, j’étais constamment à la maison. Alors un beau matin, j’ai décidé de rentrer au Cameroun. J’y ai fait la connaissance d’un grand monsieur du football camerounais qui m’a pris dans son centre de formation, la Kadji Sport Academy de Douala. Et quelques mois plus tard, après avoir fait des essais au Havre, je me suis retrouvé, avec des papiers et un contrat, cette fois, au Real Madrid.
Vos premiers pas en Espagne ont été plus faciles ?
Non. C’était très difficile quand je suis arrivé à Madrid. Pour commencer, on m’a oublié à l’aéroport car il y avait eu un problème avec les avions. J’avais 15 ans. Mais mon rêve était tellement grand de devenir joueur de foot et qu’on puisse me voir à la télé dans mon pays que je me disais que c’était normal de souffrir et que je traversais une mauvaise passe.
Vous vous êtes plaint d’insultes racistes dans le championnat espagnol. En êtes-vous encore victime ?
Ça arrive toujours et ça arrivera toujours tant qu’on ne sanctionnera pas durement tous ces individus qui vous insultent quand vous êtes sur le terrain mais qui vous réclament des autographes en dehors du stade.
Vous avez laissé entendre qu’on ne vous avait pas décerné le Ballon d’or cette année parce que vous n’aviez pas joué dans le championnat de France ?
C’est faux. Ni Ronaldo ni Chevtchenko n’ont joué en France et pourtant ils ont eu le Ballon d’or. J’avais dit qu’il serait attribué à un joueur qui avait joué ou qui jouait en France. La presse voulait me faire dire que c’est Ronaldinho qui devait gagner le Ballon d’or. Alors même que j’aspirais à gagner le Ballon d’or.
Quel est le meilleur joueur du monde ?
Roger Milla. C’est le meilleur joueur de tous les temps.
C’est un modèle pour vous ?
C’est impossible de se mesurer à Roger Milla. C’est lui qui nous a donné l’espoir en Afrique. C’est lui qui a donné l’espoir au Cameroun. C’est de lui que tout part. Les George Weah et Abedi Pelé sont ses héritiers. Arriver déjà à être Samuel Eto’o, ce que je suis aujourd’hui, je suis content.
Propos recueillis par Stéphane Mandard