On ne présente plus Gérard Dreyfus, journaliste sportif d’expérience à RFI (Radio France International) et grand connaisseur du football africain; une référence. Homme de terrain, nous l’avons rencontré ce mercredi dans la tanière des Lions indomptables au Caire qui préparent leur ¼ finale de samedi face à la Côte d’Ivoire. Le sexagénaire français jette un regard lumineux sur la Can2006, une énième compétition africaine qu’il couvre avec le même enthousiasme qu’à ces débuts, il y a environ en 30 ans.
Camfoot.com: Vous êtes un spécialiste du football africain, quelle impression vous laisse cette compétition à la fin du premier tour ?
Gérard Dreyfus: Je pense qu’on assiste à une très bonne compétition. Regardez les équipes qualifiées pour le second tour, elles figurent parmi les meilleurs du continent; ça veut dire que l’élite est bien présente à cette coupe d’Afrique des nations. On a assisté à quelques surprises, seul problème c’est la médiocre prestation des futurs mondialistes. j’ai toujours dit qu’on ne venait pas à la coupe d’Afrique quand on est mondialiste dans l’unique espoir de gagner la coupe d’Afrique. Ce pourrait être une préparation pour la coupe du monde et que le résultat, la performance, n’a pas d’importance. C’est le comportement de l’équipe qui est essentielle; et de ce point de vue, on a été déçu, et on doit légitimement être inquiet de ce qui nous attend en Allemagne. Parce qu’on sait qu’il y’a cinq équipes et qu’il y’en a qui disent qu’elles sont les performances des équipes africaines? Il faut les juger sur les performances. Ces personnes veulent toujours plus d’équipes africaines en coupe du monde, mais que font-elles ? depuis 1970, nous avons eu deux équipes en quart de finale (Cameroun et Sénégal), le Nigeria est allé deux fois en huitième de finale, le Maroc une fois et c’est tout. Ce n’est pas un palmarès flamboyant, il faut se l’avouer. Donc on attend des équipes africaines au mondial, qu’elles représentent le mieux possible le continent africain et que deux ou trois d’entre elles passent au moins le premier tour. Or sur ce qu’on a vu ici, on a toutes les raisons d’être inquiets, et on ne voit pas comment elles vont vraiment progresser puisqu’elles auront encore un match au début du mois de mars qui est une date Fifa, et puis ensuite se sera le stage de la compétition. Donc ça va être excessivement difficile; on est partagé… Là, on a de très beaux quarts de finale, Tunisie-Nigeria ça vaut une finale, Sénégal-Guinée c’est un énorme choc au niveau régional, Cameroun-Côte d’ivoire c’est une grosse affiche, c’est aussi une finale. Il n’y a que le match Égypte-République Démocratique du Congo qui paraît un tout petit peu inférieur, parce qu’on voit mal les Congolais dans le conteste ici, franchir l’obstacle égyptien. mais on a quand même les grosses pointures du football africain, il nous manque le Ghana, le Ghana dont personnellement j’attendais beaucoup ici. Son dernier match était épouvantable; comment peut-on rentrer sur le terrain alors que l’on sait qu’on doit gagner et ne pas se donner les moyens de gagner ce match? On ne peut qu’être partagé, pour ça. on est sûr qu’on a une belle coupe d’Afrique des nations, qu’on aura un beau vainqueur quel qu’il soit. Maintenant il y’a cette pression que nous nous mettons sur nous, même dans cette perspective de coupe du monde.
Camfoot.com: Huit équipes sont encore en lice, pour vous qu’elle est celle à même de gagner cette coupe le 10 février prochain?
Gérard Dreyfus: Il ne faut pas se fier à tout ce qui s’est passé au premier tour, on change de formule de championnat, on passe à une formule coupe. Tout est possible sur une rencontre, on l’a bien vu lors des éliminatoires, à deux minutes de la fin, pouvait t-on imaginer que le Cameroun n’irait pas à la coupe du monde? Donc, tout est encore possible. On n’a pas vu d’équipe réellement dominatrice, on assiste depuis de nombreuses années à un nivellement des valeurs. Il y’a cinq, six, ou huit équipes maximum qui sont à quelques cheveux près dans des mêmes configurations, le même niveau, donc tout demeure possible. Est-ce que vous savez, vous, qui va gagner entre la Tunisie et le Nigeria? Moi personnellement je ne peux pas vous dire. On a vu un mauvais troisième match des Tunisiens, mais c’était une équipe bis. Le Nigeria n’a pas été fameux contre le Sénégal. Sénégal-Guinée, les Sénégalais ont fourni beaucoup d’efforts contre le Nigeria et ils ont été battus en fin de match. La Guinée est très ambitieuse, elle avait déjà été quart de finaliste, elle a de très bons joueurs c’est une équipe qui peut aller cette année en demi-finale. L’Égypte contre la république démocratique du Congo, j’en ai déjà parlé. Quant à l’équipe de Côte d’ivoire, je crois qu’elle se met trop de pression sur elle-même avant ce match contre le Cameroun. Elle devrait jouer le Cameroun comme si elle n’avait pas été battue deux fois auparavant, oublier ce qui s’est passé et se concentrer uniquement sur la compétition du moment. Je crois que si elle recense tout ce qui s’est passé avant, elle va au-devant d’un défi difficile à réaliser. Donc beaucoup d’incertitudes, mais c’est ce qui fait le charme de cette coupe d’Afrique cette année; au coup d’envoi du match on ne sait vraiment pas qui va gagner. Avant la compétition je donnais l’Égypte comme l’équipe qui serait à abattre ici. Je reste convaincu qu’elle est un tout petit peu au dessus des autres, grâce au formidable appui du public, mais maintenant, elle est battable, ça c’est évident.
Camfoot.com: Parlant des mondialistes, qu’est-ce qui peut expliquer selon vous, leurs contre-performances ici à la Can ?
Gérard Dreyfus: Je ne parlerais pas de contre-performance. Peut-être certaines d’entre elles ont accompli une surperformance pendant les éliminatoires. Je suis sûr que le Togo comme l’Angola venaient aux éliminatoires pour aller à la Can et jamais pour aller à la coupe du monde. Leur objectif c’était d’aller à la Can et retrouver la coupe d’Afrique. Les circonstances et surtout la baisse de régime de leur adversaire a fait qu’elles sont passées. L’Angola a bénéficié de l’inorganisation traditionnelle du Nigeria, le manque de professionnalisme des joueurs. Quant au Togo, il a bénéficié de l’effondrement inexplicable du Mali, de la baisse de régime du Sénégal; on a vu le Sénégal ici gagner un match et en perdre deux. Avec une victoire, on va en quart de final. Donc il y’a ce phénomène. On ne les attendait pas, puis progressivement elles se sont prises au jeu, elles ont cru qu’elles pouvaient y aller. Les autres ont cru que c’était facile et elles ne se sont pas concentrées sur les éliminatoires.
Camfoot.com: Quand on regarde cette équipe du Cameroun jouer ici à la Can, est-ce qu’on ne peut pas éprouver quelques regrets que les Lions indomptables ne participent pas à la Coupe du Monde ?
Gérard Dreyfus: Bien sûr qu’on peut éprouver des regrets, d’abord parce que c’est une équipe tellement expérimentée qu’on est plus rassuré quand on a des gens qui ont l’habitude de disputer des matchs de haut niveaux que quand on envoie des équipes qui ne connaissent pas le haut niveau, qui n’ont que rarement rencontrés des équipes extérieures au continent africain. Maintenant je dis, c’est la règle, il y’a des éliminatoires, et ça s’est joué à cinq centimètres prés. C’est ce qui fait tout le charme du football.
Camfoot.com: Après ce premier tour, quels sont les joueurs qui sont sortis du lot selon vous ?
Gérard Dreyfus: Pour moi il y’a un homme qui ressort du lot, c’est incontestablement Samuel Eto’o. Je pense qu’il a démontré ici qu’il était le numéro un des footballeurs africains.
Camfoot.com: Après beaucoup d’années de pratique de ce métier, qu’est-ce qui explique que vous éprouviez toujours le même plaisir à descendre sur le terrain.
Gérard Dreyfus: (Rires) Le plaisir et l’enthousiasme… Je suis sur le terrain depuis plus de trente ans, j’ai toujours autant de plaisir de faire mon métier. Le jour où je n’aurai plus de plaisir à être journaliste, je m’arrêterai. Mais pour le moment, c’est un bonheur sans cesse renouvelé, et puis j’aime cette ambiance. J’aime rencontrer les uns et les autres, c’est le côté humain maintenant plus que le côté sportif qui m’intéresse. C’est ce contact, et puis je me sens si bien en Afrique. Je crois que je me sens mieux que chez moi.
Entretien mené par Guy Nsigué et Kisito Ngalamou, au Caire