Le 3 février 2000, les Éléphants de Côte d’Ivoire terminent leur CAN face au général-président Robert Guéï. Leur échec au premier tour a fortement contrarié le putschiste. Ils viennent de passer deux jours dans un camp militaire.
Le Père noël portait un treillis. Le 24 décembre 1999, Henri Konan Bédié, l’héritier de Felix-Houphouët-Boigny, est renversé par un putsch. Un conseil national de salut public prend le pouvoir. Le général, Robert Guéï, est à sa tête. La Côte d’Ivoire est désormais dirigée par des militaires, et les Eléphants vont rapidement être mis au garde à vous.
Ibrahima Bakayoko, Lassina Diabaté, et Cyril Domoraud, sont alors les têtes d’affiche d’une sélection où le talent n’abonde pas. La génération dorée qui lui succédera commence à peine à éclore. Qualifiés pour la CAN 2000, les Eléphants sont accompagnés dans leur groupe par le Cameroun, le futur vainqueur, le Ghana, pays hôte, et le Togo. Costaud, trop costaud pour les Eléphants, qui, malgré quatre points récoltés, échouent au troisième rang. Loin, très loin du parcours imaginé par le Général Guéï.
Le putchiste décide alors de préparer une réception surprise aux internationaux ivoiriens. L’avion décolle d’Accra et atterrit à Yamoussoukro, et non à Abidjan, comme prévu. Destination finale : le camp militaire de Zambakro. Là-bas, un programme d’activités est imposé aux hommes de Gbonké Tia Martin : lever des couleurs, marche au pas et cours d’instruction civique. Il s’agit de lisser ces égos qui empêcheraient les Eléphants de donner leur pleine mesure, et rappeler à ces enfants gâtés le poids du drapeau national.
Deux jours et deux nuits à la caserne
Interrogé après coup par Libération, Bakayoko témoigne : « Les militaires faisaient leur boulot, durement, ils appliquaient les consignes du chef de l’Etat. Mais ce sont aussi des pères de famille. Après les exercices, on a joué au foot, au volley. On a signé des autographes, pris des photos. » Après deux jours et deux nuits à la caserne, les Eléphants peuvent enfin regagner Abidjan. Mais avant de les laisser s’envoler vers leurs clubs, le général Guéï, qui voulait voir ses soldats en crampons ramener la coupe au pays, a deux mots à leur toucher. Il les reçoit à la Primature.
Arrivé au pouvoir pour «balayer la maison», le président-général aime à se présenter comme un serviteur désintéressé de la Patrie, luttant contre les élites corrompues. Le football va lui permettre de mettre en scène son autorité martiale. Vêtus de jogging, les regards apeurés, les Eléphants font face à un général droit debout, au ton menaçant. Les caméras sont présentes pour immortaliser la scène. « J’ai demandé que vous soyez envoyés dans cette caserne pour réfléchir amorce le militaire. C’est un premier avertissement, vous avez été indignes. Les pieds et le coeur devaient jouer (…) C’est la dernière fois que vous serez aussi décevants. »
Le remontage de bretelle se poursuit : « La prochaine fois, vous resterez pendant la durée de votre service militaire, c’est-à-dire dix-huit mois, et nous allons vous mettre en treillis. (…) A bon entendeur, salut! » Pour les Eléphants la leçon est retenue. En 2002, ils sont éliminés … au terme de la phase de poule. Entre-temps, le général Guéï a lui aussi connu une déroute. Lors des présidentielles de l’automne 2000, il refuse de reconnaître la victoire de Gbagbo. Après avoir réprimé dans le sang (300 morts) la rue en colère, il quitte le pouvoir. Le 19 septembre 2002, jour de la tentative de coup d’Etat des rebelles du nord contre Gbagbo, l’ex général-président est retrouvé assassiné à Abidjan. Dix ans plus tard, la Côté d’Ivoire rêve légitimement de lever la Coupe d’Afrique des Nations. En cas de nouvel échec, quelle réception sera réservée aux Eléphants ?
Par Thomas Goubin