Tandis que la Coupe du Monde bat son plein et que la compétition se resserre aujourd’hui autour des huit dernières équipes en lice, FIFAworldcup.com a rencontré le Président de la FIFA afin de recueillir son sentiment sur l’événement. Entre deux avions, trains, voitures (il va voir au moins un match par jour, deux si possible), Joseph S. Blatter s’est ouvert en toute franchise sur Allemagne 2006. Exclusif.
Tandis que les huitièmes de finale d’Allemagne 2006 s’achèvent, quel regard le Président de la FIFA porte-t-il sur la compétition ?
Comme tous les quatre ans, le monde entier retient son souffle et les amateurs de football sont au rendez-vous : dans les rues de Sydney ou d’Accra, on a vu des scènes de joie, après la qualification de l’Australie et du Ghana pour le deuxième tour. Il y a quatre ans c’était à Dakar, à Séoul… Je ne connais aucun autre événement comparable sur terre. Le football seul porte autant d’émotion. Il n’y a qu’à regarder les chiffres des audiences télévisées, ou les nôtres, sur FIFAworldcup.com (sourire). Tout le monde aime la Coupe du Monde et vibre avec les équipes !
L’ampleur de l’événement en Allemagne vous a-t-il surpris ?
Je ne suis pas étonné. On savait depuis longtemps que dans ce grand pays de football, au cœur de l’Europe où le « beau jeu » est roi, la Coupe du Monde serait un succès. L’organisation est superbe. Les stades sont pleins. A titre personnel, je dois admettre que l’affluence des « Fan Fest » dépasse toutes les espérances. Presque un million de personnes à Berlin, des centaines de milliers partout en Allemagne, avec une grosse présence de fans étrangers. Nous avons recensé à ce jour plus de 11 millions de supporters présents aux Fan Fest. Les Allemands avaient promis que « le monde serait reçu par ses amis », et bien moi, j’applaudis !
C’est écrit dans les statuts : « La FIFA doit rapprocher les peuples »…
Pour l’ancien attaquant que je suis, amateur de football depuis toujours, c’est une immense fierté. J’ai grandi dans un petit village des Alpes suisses, j’ai travaillé pour le football la majeure partie de ma vie. En 30 ans à la FIFA, j’ai contribué à faire grandir la Coupe du Monde de 16 à 32 équipes, à financer les fédérations du monde entier. Alors quand je vois des Equatoriens ou des Ukrainiens s’embrasser et agiter des drapeaux, je me dis que le but est atteint ! Quand c’est devant la mythique porte de Brandebourg de Berlin, c’est encore plus beau.
Pour des gens de ma génération, qui ont connu la guerre, l’Europe en ruines, l’Allemagne et Berlin traversés par le « Mur de la Honte », c’est un formidable symbole de voir le monde en liesse ici. On voit assez de scènes de tristesse et de violence dans les journaux, à la télévision, pour ne pas se réjouir quand les gens sont heureux. C’est le cas ici, en Allemagne, car la magie de la Coupe du Monde de la FIFA opère encore une fois !
Parlons du Jeu. Avec huit matches encore à jouer, quels enseignements tirez-vous d’Allemagne 2006 ?
D’abord, on peut dire qu’on a assisté à du bon football, à un jeu de plus en plus rapide. La moyenne offensive oscille autour de 2,35 buts par match, presque comparable à Corée/Japon 2002 (2,51 buts par match NDLR). Le premier tour a été riche en beaux matches. Je me suis régalé à Dortmund lors d’Allemagne – Pologne, par exemple. Certaines équipes comme la République tchèque ou la Côte d’Ivoire ont brillé, même si elles ne sont plus en course.
L’Afrique tire mal son épingle du jeu, avec un seul qualifié (Ghana) sur cinq équipes en course (Tunisie, Côte d’Ivoire, Angola, Togo). Pourquoi ?
Je le répète, la Côte d’Ivoire a séduit. Elle était dans un groupe difficile, sans quoi elle aurait pu passer. Il s’en est fallu de peu aussi pour la Tunisie, qui a laissé filer des points face aux Saoudiens et aux Ukrainiens. Je pensais qu’ils auraient davantage profité de l’expérience acquise lors de la Coupe des Confédérations, l’an dernier. Le Togo et l’Angola n’ont pas déplu, mais ce sont des équipes qui sont venues apprendre ce qu’est la compétition de haut niveau. Dans l’ensemble, je trouve que les gardiens africains accusent un léger déficit technique. A l’exception du Ghana, peut-être -Richard Kingson a fait une très belle Coupe du Monde-, ils doivent s’améliorer. Enfin, les Africains n’ont parfois pas été gâtés par l’arbitrage.
On ne peut pas dire non plus que l’Asie ait confirmé les progrès vus lors de Corée/Japon 2002. Ses quatre représentants (Japon, Corée, Iran, Arabie Saoudite) ont été éliminés lors des phases de poule…
Le statut de pays hôte confère sans aucun doute un avantage. En Allemagne, les Européens brillent de nouveau. Et puis, en 2002, on a vu que les équipes traditionnellement dominantes étaient arrivées affaiblies. Cela aussi doit rentrer en ligne de compte. Cette fois, on assiste à un jeu de qualité où les joueurs se sont présentés reposés. Ils sont en forme. Maintenant, l’Asie aurait pu avoir au moins un représentant au deuxième tour, comme la République de Corée qui est passée tout près. Ce n’est pas une bonne chose pour le football asiatique et je le regrette, mais je considère que c’est un accident. Le football s’est développé en Asie et le renfort de l’Australie ne peut qu’accélérer son gain de compétitivité.
Et dès les huitièmes de finale, on a retrouvé la tension propre à la Coupe du Monde…
Tout à fait ! J’ai beaucoup aimé Argentine – Mexique, à Leipzig. Je ne suis pas près non plus d’oublier ce Portugal – Pays-Bas de Nuremberg. Un match à la hauteur de l’événement quant à sa dramaturgie, en revanche l’arbitrage n’a pas été un long fleuve tranquille.
N’est-il pas inévitable que sur 64 matches on assiste à quelques accrocs ?
Je ne suis pas de cet avis. Dans la mesure où nos membres envoient leurs meilleures équipes, la FIFA se doit, dans sa plus grande compétition, d’aligner les meilleurs arbitres. D’autant que les centaines de millions de joueurs et d’arbitres du monde regardent ce qui se passe en Allemagne afin de s’améliorer, comprendre en quoi le jeu évolue. Or je constate que d’un match à l’autre, les consignes ne sont pas appliquées avec la même constance. Quand tel entraîneur vient se plaindre à moi qu’un tirage de maillot vaut à son joueur un carton jaune la veille et rien à son adversaire de groupe le lendemain, que puis-je répondre ? Je ne parle pas des tacles par derrière impunis ou des gestes violents non sanctionnés comme j’en ai vu. Ou bien de telle faute grossière dans l’application du règlement…
Pourtant vous continuez à refuser l’usage de la vidéo. Pourquoi ?
J’ai toujours soutenu les arbitres, qui sont essentiels dans le football, au point que je continue à m’opposer à la vidéo et autres expériences qui les diminueraient dans l’exercice de leur fonction. Si on veut de meilleurs matches, il faut aussi de meilleurs arbitres. Il faut par conséquent pousser la professionnalisation du corps arbitral, élargir le champ de ceux qui décident qui sont les meilleurs. Je vais faire en sorte que la FIFA mène le débat quand la Coupe du Monde sera finie.
On connaît désormais les huit équipes qui vont se disputer le titre : Allemagne, Argentine, Angleterre, Portugal, Italie, Ukraine, Brésil et France. Avez-vous un favori ?
Tout peut arriver dans le football. Cela étant, quand on regarde derrière soi, on voit que le pays hôte bénéficie d’un avantage certain. D’autant que l’Allemagne de Klose, Frings et compagnie semble littéralement portée par une vague d’enthousiasme. C’est l’Allemagne éternelle, motivée et hautement compétitive. Bref, elle est bien partie. Mais il faut le confirmer dès le 30 juin à Berlin face à des Argentins de grande classe. Ce match là sera regardé dans le monde entier. C’est un classique de Coupe du Monde, peut-être une finale avant la lettre. Je ne suis pas loin de penser que le pays qui sortira vainqueur du stade olympique le 30 juin aura pris un avantage psychologique sur ses concurrents.