Alors que le monde entier retient son souffle quant à l’issue des ¼ de finale de la coupe du monde qui se déroule actuellement en Allemagne, le football africain est entrain de vivre un enième scandale. Avec la saga Togolaise ressemblant fortement aux téléfilms hollywoodiens, l’après coupe du monde africaine sera rythmée et épicée par la lettre ouverte du français Gérard Dreyfus à l’attention de son « grand ami » Roger Milla.
Nous avons tous en mémoire la mise à l’écart de l’équipe nationale de Joseph Antoine Bell. En effet, à la veille du mondial Italien (1990) l’ancien international Camerounais s’était confié off line à un journaliste Français qui n’était pas passé par quatre chemin pour publier le fruit de cet entretien à la veille du mémorable Cameroun-Argentine. Publication qui lui avait valu une mise à l’écart immédiate alors même qu’il était enfin consenti être titulaire à la place de Thomas Nkono.
Juste après les éliminations des équipes africaines du mondial Allemand, chacun est allé de son commentaire. Une certaine presse occidentale envisageant même la diminution du nombre de représentants du continent (actuellement 5 places, ndlr), d’autres, plus pragmatiques en s’appuyant sur le vécu, estiment que les Africains ont une fois de plus été victime d’une véritable razzia de la part du corps arbitral. Dans la mêlée, et interrogé sur le parcours des équipes Africaines, Roger Milla a tout simplement déploré l’absence des habitués et expérimentés que sont le Cameroun, le Nigeria et bien d’autres.
Cette opinion, loin de faire l’unanimité sur la place publique, bien que valant son pesant d’or n’a pas été du goût et de l’humeur de Gérard Dreyfus. Journaliste sportif sur RFI, celui qui se définit comme le spécialiste de l’Afrique ne serait autre que « le grand ami » du footballeur Africain du siècle dernier. Ce qui l’a amené à préfacer la bibliographie de l’ancien goléador Camerounais : « Roger Milla : sur les traces d’un lion ».
Au nom de cette vieille amitié de longue date, Gérard Dreyfus qui, il faut le dire peut joindre par téléphone et autres moyens de communication le double Ballon d’or Africain décide quand même de lui répondre par voix de presse par le canal d’une lettre ouverte publié sur le site de RFI. Loin de l’éloquence de Joseph Antoine Bell et des boutades légendaires de Michel Platini, l’ambassadeur itinérant a utilisé le conditionnel dans sa prise de position. Temps qui aurait échappé à l’autoproclamé spécialiste du continent.
On se demande bien alors quelle mouche aurait piqué l’ami Dreyfus qui, il faut le rappeler n’a pas la plume aussi productive quand il s’agit des égarements publics des compatriotes Gaulois quand il s’agit de juger les joueurs ou les équipes africaines. Et pourtant des sujets ne manquent pas. Jean Marie Le pen (2e aux dernières élections présidentielles en France) pense par exemple qu’il y a trop de noirs dans l’équipe de France. Ce sujet est probablement trop délicat pour l’ami de longue date qui pense que le plus vieux buteur de la coupe du monde a manqué de respect au Togo et à l’Angola. Mieux encore, il a jugé nécessaire de brandir la chicotte du colon pour ramener l’enfant terrible de Japoma à l’ordre … au nom de l’amitié, dit-il. Qui touche à Beckenbauer en Allemagne ? Qui touche à Platini en France ? Et si Milla s’était trompé, corrige t-on une erreur par une autre erreur ?
La lettre ouverte de Dreyfus sur le site de RFI :
Mon cher Roger
Nous nous connaissons, nous nous fréquentons et nous
nous apprécions depuis bientôt trois décennies. J’ai
eu le bonheur de te suivre dans toutes tes Coupes du
monde et toutes tes CAN. Mes plus beaux souvenirs sont
indissociablement liés au phénoménal parcours des
Lions Indomptables en Italie, ton Mondial, celui qui
t’a fait roi parmi les rois de la planète. Cette
année-là tu es devenu le Pelé noir, pardon africain,
du royaume du football. Tu m’as procuré beaucoup de
joie et tu m’as encouragé à épouser davantage encore
la cause du football africain.
Nous nous sommes dit beaucoup de choses, des vérités
comme des banalités. Nous nous sommes opposés parfois,
mais nous n’avons cessé d’avoir de l’estime l’un pour
l’autre. Hier encore, tu me demandais de préfacer un
des ouvrages qui allaient t’être consacré. Ce que j’ai
fait, fier de l’honneur que tu me faisais.
Aujourd’hui, je voudrais t’adresser ce message, celui
d’un homme attristé par les propos que tu as tenus au
soir du match Tunisie – Ukraine et dont j’ai eu
récemment l’occasion de prendre connaissance. Que
dis-tu à propos de la participation africaine à ce
Mondial : « que les Africains auraient pu percer s’ils
avaient eu toutes leurs chances; s’il y avait eu le
Cameroun, le Nigéria, l’Egypte, le Sénégal et le
Maroc, l’affaire aurait pu être autre ».
Mon cher Roger,
Il me semble qu’en ta qualité de membre du groupe
technique de la FIFA tu as une certaine obligation de
réserve et qu’il n’était pas dans ton rôle de
ressasser une vieille rengaine. Généralement, vois-tu,
les absents ont tort.
Hormis les Lions de la Teranga, magnifiques et
généreux il y a quatre ans en Asie, qu’ont donc fait
de mieux les autres que tu as cités. Ton Cameroun qui
depuis son quart de finale de 1990, à Naples, contre
l’Angleterre a toujours été éliminé au premier tour et
n’a remporté qu’une seule victoire en neuf sorties. Tu
es trop grand pour plonger dans un chauvinisme qui ne
te grandit pas.
J’aimerais te rappeler qu’à l’origine la CAF avait
envisagé de faire de la Coupe d’Afrique l’épreuve de
sélection pour la représentation africaine à la Coupe
du monde. On aurait pris les quatre demi-finalistes et
une cinquième équipe dont le mode de désignation
restait à définir. Ton pays comme tous les autres que
tu as nommés s’y étaient farouchement opposés,
intervenant même auprès de la FIFA pour revendiquer la
phase éliminatoire telle qu’elle a été décidée.
Franchement la bande des cinq, Angola, Côte d’Ivoire,
Ghana, Togo et Tunisie, a-t-elle failli à sa mission.
Chacun ne s’est-il pas battu jusqu’au bout, avec ses
atouts et ses faiblesses, produisant un bien meilleur
football que celui vu au Caire depuis le début de
l’année. Ils ont souvent traité d’égal à égal avec
leurs adversaires, n’affichant ni complexe, ni
inhibition.
Je me souviens de ces équipes africaines qui sortaient
de la Coupe du monde sans que quiconque se soit aperçu
de leur présence. Crois-tu que ce soit le cas cette
année ? Même le Togo nous a surpris par sa qualité de
jeu auquel personne ne s’attendait. Les Eperviers se
sont surpassés pour se montrer dignes de leurs
prédécesseurs dont tu es. T’ont-ils fait honte ? Bien
sûr que non.
Moins qu’un autre tu as le droit d’avancer que
d’autres auraient fait mieux. Ceux qui ont porté les
couleurs de l’Afrique méritaient d’aller en Allemagne,
un point c’est tout. De grâce ne t’abaisse pas à ce
rôle de procureur a posteriori qui n’est pas le rôle
pour lequel tu as été taillé. Respecte ceux qui sur le
terrain ont mérité de prendre leur place, toute leur
place.
Il n’est pas juste de dénier aux autres la place que
certains aimeraient peut-être voir affectée à vie à
tel ou tel au nom de je ne sais quoi. Tu es trop
intelligent pour tomber dans ce piège. Laisse ce genre
de propos à ceux qui continuent de penser que
l’Afrique est condamnée à demeurer le parent pauvre de
la planète. Et, comme je le dis souvent, l’Afrique est
multiforme. Elle n’est pas une comme le prétendent
ceux qui ne la connaissent pas. Et il n’y a pas un
football africain, comme il n’y a pas un football
européen etc., etc. Le football africain se nourrit de
ses diversités et s’enrichit de ses différences.
Laisse aux autres le soin de penser que le Cameroun et
le Ghana, c’est la même chose, ou encore l’Angola et
l’Algérie. En Afrique, et tu en conviendras, il y a
des tas de sortes de football. Chacun y a sa place. Et
de grâce, pas d’exclusive. Que les meilleurs
continuent de porter les espoirs du continent.
Pas de polémique entre nous, monsieur l’ambassadeur.
Je te rappelle au moins à tes devoirs de diplomate.
Je vais, pour conclure, te faire part de mon sentiment
: dans quatre ans, en Afrique du Sud, le continent
aura plusieurs équipes capables d’aller en
demi-finales, voire en finale ; La Côte d’Ivoire, le
Ghana, le Nigeria, l’Egypte et ton cher Cameroun.
D’autres peut-être. Ma conviction est que le cru 2006
est loin d’être un mauvais cru. Le rendement n’a pas
été exceptionnel, mais la qualité a voisiné le bon
parfois le très bon.
Tchin, tchin.
Amicalement à toi.
par Gérard Dreyfus