Chez la plupart des Camerounais, le décès de Diego Armando Maradona vient raviver des vieux souvenirs enfouis dans le subconscient collectif. Avec en pointe de mire le scénario improbable du match d’ouverture de la Coupe du monde de 1990 en Italie. Objectivement, il n’y avait aucune comparaison possible entre l’équipe nationale de football d’’Argentine et celle du Cameroun. Tout les séparait en effet, aussi bien au niveau du classement sur l’échiquier mondial qu’à celui du palmarès global. Et pourtant, les Argentins sont encore loin d’oublier l’humiliation infligée par les Lions indomptables à leur sélection.
Pour beaucoup d’observateurs, en commençant par les bookmakers et autres parieurs, le choc supposé n’en était pas un, tant le rapport de force semblait disproportionné entre l’équipe d’Argentine, champion du monde en titre, et celle du Cameroun qui en était à sa deuxième participation en coupe du monde. Pour schématiser, le match opposait en réalité une superstar, Maradona alors le meilleur joueur au monde, et un « ramassis » de joueurs anonymes, venus de la lointaine et mystérieuse Afrique, et déjà fort satisfaits et honorés de se retrouver là, sous les regards du monde entier.
Certains membres de la délégation camerounaise étaient d’ailleurs les premiers à douter de la capacité de leur sélection à résister face à l’ogre argentin. Et les jongleries d’avant-match de Maradona, si adroit balle au pied, n’auguraient rien de bon. Une fois le coup d’envoi donné, la confrontation fut plus difficile et indécise que prévue. Contre toute attente, Maradona et les siens eurent un mal fou à déployer leur talent pourtant immense. Face à des Lions indomptables déterminés malgré l’infériorité numérique ( 9 joueurs contre 11), le meilleur joueur du monde avait progressivement perdu de sa superbe. Encadré de toutes parts par des farouches cerbères (Massing dans l’au-delà peut en témoigner !) ; le prodige argentin était profondément perturbé. Tout le long du match, il n’y aura ni de « main de Dieu », ni de « but du siècle » à l’instar de celui marqué à la finale de la Coupe du monde de 1986 au Mexique. Agacé et frustré, Maradona va assister à la défaite de l’équipe dont il était le porte-flambeau emblématique. On peut regretter le fait que le footballeur de haut vol qu’il était n’ait jamais reconnu publiquement le mérite des vainqueurs du jour mais son tweet émouvant à l’occasion du décès de Stephen Tataw est une sorte de reconnaissance qui est venu apporter du baume au cœur des Camerounais qui y ont vu la manifestation d’un fair-play exemplaire.
L’exploit des Lions de 1990 n’est pas resté sans suite. Portés par la vague, quelques joueurs camerounais auront l’opportunité d’évoluer dans des clubs professionnels d’Amérique latine, un phénomène très rare pour l’époque. C’est le cas de François Omam Biyik, le bourreau des Argentins, qui ira monnayer ses services au Club América du Mexique (1995-1997) et surtout d’Alphonse Tchami, certainement , le plus « maradonien » des Camerounais. Il eut en effet le rare privilège pour l’époque de côtoyer de près Maradona au sein de son équipe de cœur, le Boca Juniors, l’un des deux plus grands clubs d’ Argentine avec River Plate. A titre de rappel, l’ancien joueur d’Unisport de Bafang avait été transféré du club d’Odense (Danemark) vers Boca Juniors, le club emblématique du « Pibe de Oro ». Pendant deux ans, de 1995 à 1997, l’ancien lion indomptable va s’illustrer comme l’un des meilleurs atttaquants et buteurs aux côtés d’un certain… Maradona. Une performance qui n’a pas été suffisamment relevée par les médias camerounais et qui prend tout son relief depuis la disparition de l’icône argentine.
Au-delà du talent intrinsèque de d’Alphonse Tchami, on peut supposer que les bons résultats de l’équipe du Cameroun en Italie avaient contribué à améliorer la visibilité du football camerounais à l’international. Même si les sélections nationales du Cameroun et de l’Argentine n’ont pas grand-chose en commun, l’ironie du sort aura voulu qu’elles soient plus rapprochées aujourd’hui par le malheur qui les frappe à quelques mois d’intervalles. Le sort aura voulu en effet que Stephen Tataw et Diego Armando Maradona, les deux capitaines qui avaient échangé les fanions trente ans plus tôt en mondovision, se retrouvent la même année dans l’au-delà. Pour peut-être y disputer un autre match à plusieurs inconnus.
Au-delà des rappels anecdotiques, leurs mémoires méritent toute notre déférence.
Jean Marie NZEKOUE
Editorialiste, auteur de «L’aventure mondiale du football africain » (2010)