Ce soir, sur le plateau de Canal+, le Ballon d’Or 2006 sera officiellement décerné. Cet épisode va clore un mois où tout le monde a pu s’exprimer, annoncer son sentiment sur le joueur qui méritait le titre et où d’innombrables rumeurs ont circulé, la plus importante étant que le vainqueur serait Fabio Cannavaro. Autant le dire, pour nous Camerounais, le nom de l’heureux récipiendaire n’aura que peu d’importance, nous serons d’avantage intéressés par le classement de Samuel Eto’o Fils.
Avec Thierry Henry, le Blaugrana aura été régulièrement cité par les observateurs qui ne votent pas. On le sait, notre « Pichichi » aura souffert de deux absences : sa blessure contre Brême qui lui a coûté le début de l’actuelle saison et surtout la Coupe du Monde que les lions Indomptables avaient ratés. Or, on le sait, les années de Coupe du Monde, le Ballon d’Or est fortement influencé par cette compétition. Mieux, depuis sa création, ses vainqueurs, dès lors qu’ils étaient éligibles, avaient gagné la Coupe du Monde (Charlton en 1966, Rossi en 1982, Matthäus en 1990, Zidane en 1998 et Ronaldo en 2002). La seule exception est le Ballon d’Or de Cruyff en 1974, mais les « Oranges mécaniques » du maestro ont tellement marqué cette époque qu’on peut se demander si le jury n’avait pas estimé qu’ils avaient été les vainqueurs de cœur. Pour les autres Coupes du Monde, celles de 1958, 1962, 1970, 1978, 1986 et 1994, les vainqueurs étaient inéligibles, en raison du caractère européen qu’avait encore ce trophée et c’est la raison pour laquelle Müller ou Belanov ont pu avoir des récompenses qui seriant revenues aujourd’hui à Pelé et Maradona, tout comme Romario l’aurait remporté en 1994. Le SEF, comme il est affectueusement appelé dans le Toli, n’a pas accroché le trophée suprême du football cette année, puisqu’il n’a même pas pu le disputer. Mais doit-on pour autant le condamner, lui qui a tout gagné en club et qui a accroché deux titres de meilleur buteur (CAN et Liga) ?
Le Ballon d’Or, récompense individuelle dans un sport collectif, se voulait juste en mettant le palmarès parmi les critères de désignation. Quitte à faire de vrais mauvais choix. Sur ce point précis, Eto’o, tout comme Ronaldinho ont un bon bilan avec le doublé, le camerounais ayant même réussi l’une de ses performances les plus abouties à Paris en finale de la Ligue des Champions. Or, l’un comme l’autre ont perdu leurs chances lors du rendez-vous allemand, Ronnie ayant sombré avec toute l’équipe brésilienne. On sait que ce sont les six derniers mois de l’année qui coûtent toute possibilité de se livrer à la lutte pour le Ballon d’Or au SEF et pourtant, j’ai choisi le contre-pied des bons analystes du football.
Son absence devrait lui valoir le Ballon d’Or. Qu’a apporté la Coupe du Monde 2006 ? L’une des compétitions les plus fermées et l’une des moins attrayantes de l’histoire. Elle n’a révélé aucun joueur, n’a mis aucune vedette en position de briller, et a produit l’un des plus laids champions du Monde, mélange de densité physique et de volonté de réduction des espaces, chantre de la destruction, plutôt que des balles actions. Samuel Eto’o ne s’est pas fourvoyé dans cette compétition piège, ce qui aurait dû être un avantage. Tout comme son absence se fait durement ressentir au Barça depuis sa blessure. Ses courses, ses décrochages, sa mobilité, les espaces qu’il ouvraient manquent au jeu qui est moins léché et est devenu très dépendant de la forme de Ronaldinho et Deco. Il ne se passe plus un week-end sans que le jeu de Samuel ne fasse de nouveaux adeptes. Il est évident que son impact sur le jeu du Barça est devenu plus important depuis son absence sur blessure, et à ce titre, il mérite ce titre honorifique. Tout comme Pavel Nedved l’avait obtenu en 2003 lorsqu’on avait vu à quel point il avait manqué à la Juve en finale de la Champions League.
Mais, au-delà de toutes ces considérations, à titre personnel, dans sa course au Ballon d’Or, Samuel a gagné. Parce que 2006 aura permis de le considérer enfin comme un joueur de dimension mondiale qu’il est assurément depuis plusieurs années, parce qu’il aura réussi à changer son image, quittant le costume réduit de diva capricieuse qu’on lui avait confectionné jusque là, mais surtout parce qu’en tant que Camerounais, il est le premier joueur de classe mondiale qu’on produit.
Certains objecteront que Roger Milla l’était déjà, mais sans faire injure à Monsieur l’ambassadeur, il l’aura été le temps d’un tournoi, la Coupe du Monde 1990. Et son âge, les danses après les buts, sans compter le caractère rafraîchissant des Lions Indomptables dans ce qui restera comme la plus laide Coupe du Monde de l’histoire, auront contribué à faire sa légende.
Samuel Eto’o se construit semaine après semaine et doit être sur les cinq dernières saison le meilleur buteur cumulé du championnat espagnol. Et surtout, le natif de Nkon change les références collectives sur le joueur africain. On a coutume de parler de la puissance des grands attaquants d’Afrique, à l’image d’un George Weah, le dernier attaquant africain de classe mondiale. Samuel n’est pas un monstre physique, est à « taille humaine », mais dompte le ballon, comme savent le faire les Sud-américains. Il casse les codes, joue sur la qualité du contrôle, la rapidité d’exécution gestuelle et doit être l’un des joueurs les plus rapides balle au pied. Sans compter un coffre qui lui permet d’être le premier défenseur à la perte de balle, ce qui permet un pressing haut de la part de son équipe. 2006 aura permis à tous ceux qui suivent le football de voir à quel point il est complet, même comme le jeu de tête est toujours loin d’être son point fort. Et, à titre personnel, 2006 m’aura permis de le voir rééditer ses performances barcelonaises sous le maillot camerounais le temps d’un tournoi en Egypte. Donc, si je votais, il serait à coup sûr mon vainqueur. Si je votais…