L’animation au sein du » Tout puissant de l’Ouest « , c’est leur affaire. Ils s’apprêtent à faire monter l’ambiance, ce 23 mars 2003, dans les travées du stade municipal de Bamendji, à Bafoussam. On attend impatiemment de regarder un match de D1 comptant pour la 9è journée, avec l’espoir que cette fois-ci, Racing de Bafoussam obtient sa première victoire à domicile. Caïman de Douala en fait d’ailleurs les frais (0-1), au terme d’une rencontre palpitante et harassante.
Le ton monte, les voix se confondent dans une arène pleine comme un œuf. C’est le moment indiqué pour le club de supporters du Racing, » Armée cinglée « , de sortir des tripes l’une des mélodies les plus sulfureuses de son répertoire artistique.
Les hommes et les femmes, membres du groupe, esquissent des pas de danse au rythme des tambours et balafons. Ils s’enlacent, s’agrippent, se tiennent par l’épaule, dans un geste simple et fraternel qu’ils n’oublieront jamais, puis, se balancent doucement, ensemble, et se mettent à chanter comme ils n’ont jamais cessé de le faire depuis plusieurs décennies.
C’est ça l’armée cinglée de Racing. Créée en 1979 pour mettre une forte ambiance dans les stades, chaque fois que son club fanion doit défendre les couleurs du » village « , elle a, au fil du temps, conquis les sommets d’un genre qui n’était pas du tout connu, ou tout simplement qui s’expérimentait dans les tréfonds d’une ville pleine de richesses culturelles d’où son nom de » Armée cinglée « , d’ailleurs. L’accoutrement est expressif. La victoire du Tpo en rajoute à un climat déjà bouillonnant où le spectateur, emporté, finit au principe : un signe d’adhésion.
Mais, il ne tiendra pas longtemps, puisqu’il est inconnu dans le bataillon. Parce qu’on n’y accède pas comme dans un marché, où tout le monde entre et sort quand il veut. L’armée cinglée, au-delà de sa racine traditionnelle, est un groupe organisé. Une bonne centaine de membres qui discutent aussi de l’avenir de la structure dans un local, non loin du carrefour Auberge. Un lieu plein d’histoire, qui a bâti sa réputation autour de tous les genres de négoce : la consommation de la bière est la chose la mieux partagée là-bas, celle du sexe aussi. Et il y a en a pour tous les goûts.
Sans doute la raison pour laquelle, il y a quelque temps, plusieurs observateurs s’accordaient à dire que faire partie de l’ » Armée cinglée » était un véritable chemin de croix. Qu’une personne, à elle seule, devait ingurgiter un casier de douze bouteilles de bière aussitôt qu’elle rencontrait les autres membres du club. » C’est un gros mensonge « , rétorque aujourd’hui madame Tekam née Jeannette Magne, connue sous le nom de » Mama Racing « , qui pense que le club des amis de Racing a aussi évolué pour répondre à une préoccupation sociale : » Nous y avons institué une tontine pour assister les membres en détresse « .
A 73 ans, cette femme a la particularité d’être aimée de tous. Une mère, une vraie, qui a presque toujours une noix de kola à offrir à un congénère. Elle se plait à la distribuer, sans distinction. En tout cas, il y a près de cinquante ans qu’elle le fait. Elle y a d’ailleurs laissé toute sa fortune, au point d’être aujourd’hui la risée de son voisinage. Un jour viendra, dit-elle, où elle brandira aussi sa part de médaille. On aura alors l’impression qu’elle l’a usurpée. Mais, ce sera la récompense d’un sacrifice consenti et qui, pour le moment ne retient l’attention de personne. Elle aura tout simplement engrangé des points supplémentaires, comme l’ » armée cinglée « , qui n’est plus seulement attachée au Tpo, mais qui, de temps en temps, est sollicitée au stade Ahmadou Ahidjo de Yaoundé pour galvaniser les Lions Indomptables du Cameroun. Son prix de l’excellence africaine pour l’animation, reçu en 1995, n’est pas le fruit du hasard.
Michel Ferdinand