Deux années après la mise en place du football professionnel au Cameroun, la ligue et les clubs ont du mal à s’accorder. Pour comprendre cet imbroglio, Camfoot a donné la parole à Pierre Laurent TAMO, Expert Comptable Diplômé Agréé CEMAC, ayant travaillé auprès de la ligue du football professionnel au Gabon.
« Notre professionnalisme est d’avantage dans les mots que sur les actes concrets ».
Pensez-vous qu’en deux mois on peut mettre sur pied une société anonyme à objet sportif comme exigé par le président de la ligue professionnelle de football du Cameroun (LFPC)?
Permettez-moi de préciser au préalable les étapes indispensables de la constitution d’une société et chacun pourra se faire son opinion sur la question:
La première étape consiste à organiser une assemblée générale constitutive où les actionnaires se réunissent et désignent les premiers administrateurs qui devront conduire le projet.
Ensuite le notaire rentre en jeu pour : la rédaction des statuts, la déclaration de souscription et de versement du capital, l’immatriculation de la société au registre du commerce, la publication dans le journal d’annonces légales….
Troisièmement, à partir d’un contrat de bail enregistré ou d’un titre de propriété, le Centre des Impôts le plus proche établira un titre de patente, délivrera une carte de contribuable…
Enfin, d’autres formalités telles que : la validation de la nomination du président du Conseil d’administration, la désignation d’un commissaire aux comptes…devront être réalisées.
Au regard de ces éléments, je pense qu’il est difficile pour un club amateur de pouvoir en deux mois se muer en société anonyme.
J’aimerais apporter une autre précision. Au Cameroun, la constitution d’une société est régi par l’Acte Uniforme OHADA portant droit de sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique. Or cet acte parle uniquement de la Société Anonyme classique. Donc la mise sur pied d’une Société Anonyme à Objet Sportif (SAOS) telle que demandée par le président de la LFPC devra faire l’objet d’un texte de loi à voter par l’Assemblée Nationale du Cameroun avec des contours à définir.
A titre d’illustration, la SAOS a vu le jour en France en 1984 à travers une loi votée par les députés. Elle vise à introduire les nouveaux investisseurs dans le capital des clubs sans que ces derniers perdent leur esprit associatif. C’est ainsi que l’ouverture du capital était limité à 2/3, les dirigeants n’étaient pas rémunérés, il était interdit de distribuer des dividendes….
Compte tenu des limites que nous venons de citer, la SAOS n’a pas fait long feu. C’est ainsi qu’une autre loi, celle du 28 décembre 1999 a permis de créer la Société Anonyme Sportive Professionnelle (SASP). A travers cette loi, tous les inconvénients précédemment cités ont été corrigés (ouverture totale du capital, rémunération des dirigeants, distribution de dividendes…). En France à ce jour la quasi-totalité des clubs de L1 et L2 ont ce statut à l’exception d’Auxerre, Ajaccio et Bastia. Et cela marche à merveille, regardez le PSG avec les qataris!
En conclusion au delà du délai de deux mois accordés par le président de la LFPC pour la transformation des associations de football en SAOS qui s’avère relativement court, il faut également souligner que cette forme a présenté de nombreuses limites dans son pays d’origine. Or n’oublions pas que le Cameroun a aussi ses spécificités.
Si la société anonyme à objet sportif n’est pas adaptée pour le contexte camerounais, quel système le serait selon vous ?
La réponse à votre interrogation doit être la résultante d’une étude préalable réalisée auprès des différents clubs engagés en Mtn Elite One et Two. Il faudrait connaître comment chaque équipe fonctionne actuellement, son patrimoine, son style de management, ses us et coutumes….C’est à partir de cet état de lieu précis du fonctionnement des clubs que nous pourrons indiquer la forme la plus adaptée pour notre championnat. Regardez par exemple le championnat espagnol. A cause des spécificités locales, tous les clubs ne fonctionnent pas en mode société. Quatre clubs ont un mode de fonctionnement particulier : le FC Barcelone, le Réal Madrid, Osasuna, Atlétic Bilbao. Ces clubs sont dirigés par des socios (membres supporters).
Donc dans les conditions actuelles, je suis dans l’impossibilité d’apporter une réponse claire à votre question.
Pour l’Expert Comptable que vous êtes pouvons-nous parler de professionnalisation sans une transformation préalable des associations sportives en société ?
Pour le moment il faut signaler que la professionnalisation du championnat camerounais est encore sous la forme d’implémentation. Notre professionnalisme est d’avantage dans les mots que sur les actes concrets.
Le Football professionnel est avant tout un business et qui dit business dit cadre juridique. Comme nous l’avions démontré plus haut, nous n’avions pas de cadre juridique propice. Et même quand ledit cadre juridique sera mis en place, rien ne nous garanti que nous entrerions de plain pied dans le professionnalisme tel que pratiqué dans les pays qui nous inspirent. Une fois le cadre juridique créé il doit falloir s’intéresser à la vie quotidienne des clubs. Les clubs camerounais sont-ils constitués comme des véritables équipes de football professionnelles ? Permettez-moi de douter à ce niveau.
Pour mieux illustrer mon propos, je tiens à rappeler les quatre principales sources de financement des clubs professionnels : nous avons dans l’ordre les droits de retransmissions audiovisuels, le sponsoring, le billettage (vente des billets de stade ndlr) et les produits dérivés. Vous constateriez que sur ces quatre éléments cités, on ne parle ni de dons, ni de subventions. Or en regardant les sources de financement actuel de nos clubs, les principales ressources sont les subventions de l’Etat et ce qu’on appelle abusivement subvention Mtn, qui n’est pas une subvention car les clubs arborent les maillots avec le logo de cette société de téléphonie. Ceci étant, les clubs sont rémunérés pour une action commerciale qu’ils réalisent.
On ne peut pas parler de professionnalisme quand on reste tributaire des revenus qui proviennent des autres et dont on n’a aucune maîtrise… Nous pourrions parler de professionnalisme au Cameroun quand les équipes seront à même de générer par eux-mêmes des revenus. Je puis vous dire qu’ils ont ces possibilités. Si vous prenez le cas d’un club comme l’Union de Douala qui a fait un recrutement que ses dirigeants ont qualifiés de triple XL, avec à la clé le recrutement d’un joueur vedette en provenance du Ghana, j’ai nommé Zakaria Awudu dont le montant du transfert s’élèverait à vingt-un millions, avec un salaire de huit cent milles francs le mois. Ceci est un exemple d’acte de marketing qui devrait contribuer à générer des ressources. Si Union avait pensé fabriquer des produits dérivés à l’effigie de ce joueur, ceci aurait permis d’amortir le coût du transfert. Naturellement, à condition que le joueur soit sur le stade exactement ce que l’on nous a annoncé dans les médias…
Le transfert record de Cristiano RONALDO de Manchester United au Real Madrid en été 2009 pour un montant record de 94 millions d’euros a été amortis en partie par les produits dérivés !
Mais quand je regarde le fonctionnement de nos clubs, je ne vois pas beaucoup qui sont à mesure de générer leurs revenus propres. Tant que nous resterions dans la logique d’aide ou de subventions les choses n’avanceront pas. Vous ne pouvez pas vous développer en comptant sur les aides.
Je répondrais clairement à votre question en disant que le professionnalisme ne passe pas forcement par la transformation en société. Nous avons parlé du cas du championnat espagnol où des clubs mythiques comme le FC Barcelone ou le Real Madrid sont des associations. Le plus important c’est le mode de financement. La forme sociétaire facilite la levée des fonds. Mais les associations peuvent aussi avoir des fonds importants. Si nous restons dans le cas du championnat espagnol, les socios en plus de la cotisation annuelle payent un droit d’entrée (pour tout nouveau membre).
Si nous revenons à Union de Douala qui se définit comme le club au million de supporters. Supposons que parmi ces supporteurs, 50 soient capables de mettre 10 millions chacun par saison pour le club. On arrive facilement à 500 millions. Et le budget du club qui s’élève à 380 millions sera largement couvert sans attendre les subventions et autres…Vous conviendrez également avec moi que personne ne peut accepter investir à fond perdu !
Vous avez travaillé dans le cadre de la professionnalisation du championnat gabonais. Quelle différence établissez-vous entre le professionnalisme gabonais et celui du Cameroun ?
Je dirais d’entrée de jeu que le Gabon est organisé différemment. Dans le staff qui travaille d’arrache-pied pour l’implémentation du football professionnel au Gabon, on note d’anciens dirigeants du FC Barcelone, des hommes rompus à la tâche qui maitrisent les mécanismes du football professionnel. S’il faille faire un détour dans le professionnalisme camerounais, on ne saurait parler d’une expertise étrangère impliquée dans le processus de professionnalisation de notre championnat. C’est aussi parce que sur place nous avons des ressources qualifiées. Regardez Patrick MBOMA et tout son savoir qu’il déroule sur canal plus, ne peut il pas jouer un rôle majeur dans le professionnalisme de notre football ?
Le football professionnel a vu le jour au Gabon après la coupe d’Afrique 2012 qui a donné lieu à la construction des infrastructures et la mise sur pied d’un comité d’organisation. A partir delà un élan a été pris et les gabonais ont fait usage de tous les moyens qu’ils avaient en leur possession pour maintenir la flamme. Au Gabon l’Etat a alloué dans le cadre du premier championnat professionnel plus de dix milliards de francs pour assurer les salaires aux joueurs, le transport, l’hébergement….Je vous laisse faire la comparaison…
En guise de comparaison, malgré le fait que le championnat professionnel gabonais ait démarré après celui du Cameroun, il semble mieux embarqué.
Si vous aviez un conseil à adresser aux dirigeants de la ligue professionnelle de football au Cameroun que leur diriez-vous ?
Je vais d’abord saluer les efforts de nos dirigeants qui ont malgré toutes les difficultés, la bonne volonté de professionnaliser notre championnat. La seule chose que je peux demander au Général Pierre SEMENGUE, président de la LFPC c’est d’élargir son champ de conseil afin d’avoir d’autres avis pour une meilleure implémentation de notre football professionnel.
Entretien mené par James Kapnang