Michel Zen-Ruffinen a remis vendredi au comité exécutif de la FIFA un rapport accusant Sepp Blatter d’avoir pris deux décisions «constituant un acte criminel selon le droit pénal suisse». L’affaire pourrait se finir au tribunal.
«Je pourrais tenir encore sept heures!» Il est 21 h et Battling Sepp Blatter fanfaronne comme un boxeur acculé dans les cordes. Son secrétaire général, Michel Zen-Ruffinen, qui vient pourtant de l’accuser de corruption, n’en peut plus de tant de langue de bois. «Il faut arrêter de prendre les gens pour des c…», pense-t-il. Il le dira plus tard, la conférence de presse sitôt achevée, à l’Hôtel Dolder où il a convié les journalistes les moins pressés. Le jour le plus long de l’histoire de la FIFA est loin d’être achevé.
Tout avait débuté un tour d’horloge plus tôt. 9 h 15, ouverture de la séance extraordinaire du comité exécutif. «L’ambiance était tendue, raconte Michel Zen-Ruffinen. Moi-même, je ne savais pas si on allait me laisser parler.» D’entrée, Blatter dégaine son avocat. «Il est venu interpréter les lois suisses, les relations entre président et secrétaire général», se marre Issa Hayatou, rival de Blatter dans la course à la présidence. A la fin, on lui a dit: «Bon, on a compris, au revoir.»
Zen-Ruffinen parle et là, fini la rigolade. «Un vent a glacé l’assistance», poursuit Hayatou. Trois heures durant, le président fait face ou esquive. «Il a essayé de détruire les pièces du dossier mais il ne nous a pas convaincus», dit encore le Camerounais.
Les sept vice-présidents demandent à Blatter de les suivre dans la pièce attenante à la salle du congrès. Ils sont cinq à demander sa démission: le Camerounais Hayatou, l’Italien Matarrese, le Suédois Johansson, le Coréen Chung et l’Ecossais Will. Seuls l’Argentin Grondona et le sulfureux Warner (Trinidad) restent fidèles à Blatter. Dans l’ancien bureau de Joao Havelange, le Haut-Valaisan mesure toute la différence qui le sépare de son prédécesseur. Le dauphin du monarque absolu n’est qu’un roitelet vacillant sur son trône. Et pourtant… «Il a dit qu’il allait demander au comité exécutif. Il s’est levé, est revenu dans la grande salle et a parlé de tout autre chose», ajoute un Hayatou presque amusé par le souffle de son rival.
16 h 30, l’heure des premiers forfaits. Johansson, Chung et Koloskov forment un charter direction Kloten. Blatter obtient le report des résultats de l’audit mené sur sa gestion. Il semble avoir gagné. Il tente de le faire croire à la presse, tout sourire, puis mordant lorsqu’il dénigre «Monsieur Propre». Haussement d’épaules de Zen-Ruffinen. «Après les révélations remises dans mon rapport aux membre du comité exécutif, les résultats de l’audit deviennent secondaires», assure-t-il alors que la nuit est définitivement tombée sur le Dolder.
La nuit, mère de toutes les conspirations. Il ne faut pas deux heures pour que le rapport confidentiel tombe dans les mains de l’envoyé spécial de l’AFP. 1 h 23: la bombe de Zen-Ruffinen atterrit dans les rédactions. Des faits, des chiffres, des noms. D’abord ces 100 000 dollars, indûment versés sur ordre du président à «un membre du comité exécutif depuis le mois d’août 2000». A choisir parmi le Russe Koloskov, opposé à Blatter, et le représentant des îles Salomon, Wickham… Zen-Ruffinen écrit ensuite que l’arbitre nigérien Lucien Bouchardeau a reçu un chèque de 25 000 dollars pour apporter des informations sur Farah Addo, le délégué qui avait mis en cause Blatter lors du scrutin le portant à la présidence en 1998 à Paris.
Troisième accusation: la société FIFA Marketing, censée suppléer la faillite d’ISL, est un gouffre financier à «100 millions de francs suisses par an». Quatrième accusation: l’offre du groupe Kirch concernant les droits TV des Coupes du monde de 2002 et 2006 était inférieure de 100 millions de dollars à celle émise par la société américaine AIM. Zen-Ruffinen s’étonne également de «l’abandon d’une créance de 9,474 millions de dollars sans raison valable au profit de la CONCACAF», et accuse le président «d’user et d’abuser du projet «Goal» pour ses intérêts personnels en s’en servant (…) pour mener campagne».
Comme Jacques Chirac, à qui l’on prédisait «l’Elysée ou la Santé», le président du foot mondial pourrait être réélu à la fin du mois à Séoul puis traîné devant les tribunaux. A la différence près que Blatter sait qu’une réélection ne signifie pas amnistie et encore moins immunité.
Et Zen-Ruffinen? A l’heure où il quitte le Dolder pour rejoindre son Valais, Hayatou traîne avec nonchalance dans le bar, où rôde Gerhard Aigner, secrétaire général de l’UEFA. Tirent-ils les ficelles? Après tout, eux seront toujours là après le vote de Séoul. Zen-Ruffinen, lui, prend tous les risques. Même s’il prétend ne se faire «aucun souci concernant (son) avenir», et assure n’avoir reçu aucune garantie d’être recasé à Nyon au siège de l’UEFA. «Je ne démissionnerai pas, qu’il le sache. Si je travaillais dans une banque, j’aurais changé de banque. Mais la FIFA est unique, magique.» Et son chef un grand prestidigitateur.