L’ancien milieu de terrain, désormais à Fulham, va disputer sa première Coupe d’Afrique des Nations. Il raconte son enfance, ses premiers pas et sa fierté d’être aujourd’hui un Lion Indomptable. « Tout a commencé à Anguissa. Le nom de mon quartier à Yaoundé porte mon nom de famille. Au Cameroun, lorsque votre famille a eu un poids tribal important par le passé, il est fréquent qu’elle reste ensuite gravée comme le nom d’un lieu. C’est mon cas. Je suis le troisième d’une famille de cinq enfants, une famille très modeste, même si je n’ai jamais souffert de ma condition.
On avait à manger tous les jours et si on tombait malade, on avait la chance d’avoir les hôpitaux publics pour nous soigner. On apprend à se satisfaire du minimum. La pauvreté, je l’ai vue, côtoyée, mais il y a toujours une belle solidarité qu’on retrouve sur tout le continent. La liberté de notre enfance, on la trouve dans les ruelles et dans le football. Comme 80 % des joueurs africains, tout commence dans la rue. C’est notre centre de formation. On n’avait pas de ballon en cuir, on en confectionnait ou on récupérait des ballons de fortune qui s’envolaient au moindre coup de pied.
Avant de devenir un Lion Indomptable, il faut apprendre à dompter ces ballons. Ce sont des moments magiques que je n’oublierai pas. Je me régale sur des pelouses en Europe, mais ce qui me manque, c’est l’odeur du goudron, du bitume, de la poussière qui s’élève à la moindre frappe. C’est une sensation très particulière.
« ON M’APPELAIT LE 6 PROPRE »
J’ai commencé avec mes potes et mes oncles passionnés de ballon, Barnabé et Féfé. Ils disaient à mes parents : “Le fils a un truc !” Eux voulaient que je fasse des études de médecine. Gamin, je me suis fait une réputation lors des tournois de quartiers. Je jouais numéro 10, on me surnommait Ronaldinho ou Robinho. En club, j’ai commencé assez tard à l’Olympique Yaoundé. Je n’ai jamais eu vraiment de club de cœur. Dans la capitale, c’est souvent le Canon ou le Tonnerre. Mais comme beaucoup d’Africains, on est tous branchés Liga et accros au Clasico. On est Barça ou Real, je suis un des rares à être les deux.
Le football africain, on le suit surtout à travers les stars qui évoluent en Europe. J’ai toujours adoré Alex Song et Yaya Touré, des exemples à mon poste.
C’est en 2013 que ma vie a basculé lors du tournoi G7 talents. Maxime Nana, un célèbre agent, m’a détecté. Il m’a emmené au Cotonsport de Garoua. Là-bas, on m’appelait “le 6 propre”, je prenais la balle devant ma défense, je dribblais. C’est aussi là-bas que je me suis endurci. À Garoua, dans le nord du pays, on jouait sous des températures de 35 à 40 degrés. Dès lors, je me suis dit que je pouvais tout affronter. Et puis je suis parti à Reims. Mon enfance s’est un peu terminée là.
Je reviens souvent à Anguissa, où je reçois beaucoup de sollicitations. Quand j’étais à l’OM, je me suis rendu à Douala pour communier avec une association de supporters du club. Un très grand moment de convivialité. Et quand je rentre au pays, je fonce chez mes parents pour me régaler d’un okok (plat à base de feuilles, épinards, sucre, huile de palme). C’est meilleur que le caviar ! Ça m’a donné de la force pour percer. Pour mon premier match à Yaoundé, il fallait que je sois à la hauteur. Au stade, j’ai vu mes parents avec les larmes aux yeux. Ç’a été ma plus grande émotion… »
Nabil Djellit