Depuis février 2009, Rigoberte M’Bah joue au football dans un des meilleurs clubs français du championnat féminin, à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), actuellement cinquième du classement. Mais, contrairement à ses coéquipières, cette Camerounaise de 27 ans vit en situation irrégulière. Jeudi dernier, alors qu’elle sortait du cabinet de son kinésithérapeute, la jeune femme a été interpellée par la police et placée en centre de rétention, où elle est restée six jours, la cour d’appel de Douai (Nord) ayant décidé lundi de sa libération.
Pour son avocate, Emmanuelle Lequien, la situation est très claire : le club est coupable de ne pas avoir régularisé la situation de sa cliente. Coupable même d' »esclavage moderne », a-t-elle affirmé mardi à la sortie du tribunal de Douai. Interrogée lundi par Le Parisien, elle explique que « le club d’Hénin-Beaumont n’a jamais fait aucune démarche pour qu’elle soit régularisée, car il avait tout intérêt à maintenir ma cliente dans un état d’isolement et de dépendance, et empêcher ainsi qu’elle aille jouer ailleurs ». Elle ajoute : « Il s’agit d’un comportement scandaleux qui relève de l’exploitation pure et simple. Ma cliente ne reçoit que 50 euros par semaine, alors qu’elle participe à tous les matchs et à quatre entraînements par semaine. On va chercher des champions africains, et après on les traite comme des esclaves et quand on n’a plus besoin d’eux, on les expulse de France. »
Bernard Dumortier, le président du club d’Hénin-Beaumont, rejette toute responsabilité dans cette affaire et affirme que « les allégations de son avocate sont un tissu de mensonges. Lorsque la joueuse est arrivée au club, elle était licenciée à la Fédération française de football et nous ignorions qu’elle était en situation irrégulière. Quand nous l’avons appris, nous l’avons aidée à monter un dossier, qui a été refusé. Puis nous avons monté, en mars-avril 2010, un second dossier de régularisation, que nous avons donné à son comité de soutien ».
LA FFF N’EST PAS « LE GENDARME DE LA RÉGULARITÉ »
De même, les accusations d’exploitation formulées par l’avocate de Rigoberte M’Bah offusquent le président. « Nous sommes un club amateur, sans argent. Aucune de nos joueuses ne touche de salaire et nous avons même considéré qu’il était de notre devoir de lui octroyer par exemple une avance sur les primes de match. Nous lui avons prêté, via un sponsor, un logement que nous avons meublé et nous lui payons le transport de Lille à Hénin-Beaumont ! Ce que raconte l’avocate la déshonore. »
Le club a-t-il tout fait pour essayer de faire régulariser la Camerounaise ? Sur la question, sur la qualité des conditions de vie de la footballeuse ainsi que sur de nombreux éléments du dossier, le comité de soutien de Rigoberte M’Bah et les dirigeants du club s’opposent violemment (lire l’article de La Voix du Nord). De son côté, la Fédération française de football, qui a attribué une licence amateur à la jeune femme durant l’été 2008, se met à l’abri derrière ses textes, expliquant qu’elle n’est pas « un gendarme de la régularité ». « L’attribution d’une licence amateur n’est pas soumise à l’obligation de justifier la régularité de son séjour en France, contrairement à une licence pro, liée à la signature d’un contrat de travail. » La licence du pays d’origine et une pièce d’identité suffisent souvent à obtenir le droit de fouler les terrains amateurs.
En réalité, l’histoire de Rigoberte M’Bah est emblématique de celle de centaines de jeunes footballeurs africains venus tenter leur chance en Europe. Début 2008, Yan Faucon, alors entraîneur du modeste club de Brive (Corrèze) en troisième division féminine, cherche des joueuses pour renforcer son effectif. En surfant sur Internet, il finit par entrer en contact avec des intermédiaires camerounais qui cherchent à vendre le talent de leurs pépites. Le secrétaire général de Brive, Robert Baldassari, soutient la démarche mais déchante vite. « C’était une escroquerie. On a envoyé plusieurs milliers d’euros pour soi-disant payer les billets d’avion, mais les filles ne sont jamais venues. On s’est fait avoir et j’ai demandé à Yan de mettre un terme aux échanges. »
LE FN RÉCUPÈRE L’AFFAIRE
Licencié à cause des mauvais résultats du club quelques mois après, Yan Faucon, qui a fini par entrer directement en contact avec Rigoberte M’Bah et d’autres footballeuses, concrétise l’opération. Armée d’un visa touristique, la jeune femme arrive à Brive en mai 2008. Elle loge alors au foyer des jeunes travailleurs et commence à jouer dans le nouveau club monté par Yan Faucon. Ce dernier veut en faire une éducatrice auprès du district de foot de Corrèze pour s’occuper des équipes de jeunes filles. « A l’époque, le président de la République disait que les gens qui pouvaient apporter quelque chose allaient avoir des papiers. Rigoberte, qui a été élue meilleure joueuse du Cameroun, me semblait avoir ce profil », explique celui qui l’a fait venir en France. Mais la préfecture refuse la régularisation.
Six mois plus tard, la Camerounaise file à Hénin-Beaumont. « Je suis surpris que le club n’ait toujours pas réussi à régulariser sa situation, poursuit Yan Faucon. Une amie de Rigoberte est partie à Saint-Etienne, qui est parvenu à lui trouver des papiers. » Le secrétaire général de Brive se dit, lui, guère étonné. « Ce genre de problèmes est courant. Les filières africaines envoient leurs joueurs en Europe comme du bétail et les petits clubs français ne sont souvent pas assez regardants là-dessus. »
Le cas de Rigoberte M’Bah a d’autant plus de répercussions qu’il a pour toile de fond la vile d’Hénin-Beaumont, mairie de gauche où le Front national a obtenu le score historique de 47,62 % des voix lors du deuxième tour des municipales de 2009. Lundi, Steve Briois, secrétaire général du FN et conseiller municipal dans la ville du Pas-de-Calais, s’est fendu d’un communiqué, dénonçant le « laxisme judiciaire » et « la culture d’impunité ». « Cette affaire démontre aussi que les socialistes en usant d’arguments pseudo humanitaires sont les complices de cette nouvelle forme d’esclavagisme que constitue l’utilisation d’immigrés clandestins souvent isolés et déracinés à des fins bassement mercantiles ou commerciales ».
Eugène Binaisse, le maire divers gauche d’Hénin-Beaumont, regrette la situation et sa récupération politique. « Cette affaire embête tout le monde. Elle met l’accent sur notre ville et elle n’en a pas besoin. Le club de football est un club autonome et doit prendre en charge le montage du dossier de Rigoberte M’Bah. » Il ajoute : « La récupération politique est le fonds de commerce du Front national, c’est sa façon de toucher un certain public. C’est vrai que dans cette affaire, tout n’a pas été fait comme ça aurait dû être fait mais dans le domaine du football, rien se fait tout à fait comme ailleurs. » Jeudi, le tribunal administratif de Lille décidera ou non de l’expulsion de la footballeuse.
Imanol Corcostegui