Juin 1982, la Coupe du monde de football se joue en Espagne. Le Cameroun y participe et termine la compétition sans concéder la moindre défaite. Au bout de trois matches d’un premier tour au cours duquel seul Graziani, l’Italien, réussit à battre Nkono. Ce 23 juin là, le gardien camerounais qui est aussi le capitaine de son équipe, s’incline de justesse et à la suite d’une glissade.
Il est déjà considéré comme l’un des meilleurs gardiens du tournoi, et si le Cameroun termine invaincu, c’est en grande partie à son gardien qu’il le doit.
Ses réflexes étonnent, son sang-froid surprend, sa décontraction agace. Le 15 juin, contre le Pérou, au stade Riazor de la Corogne, « Tommie » démontre l’étendue de sa classe. Il arrête un tir de l’attaquant péruvien Barbadillo avec une main, se passe le ballon dans le dos et le reprend avec l’autre main. La légende est en marche. Nkono reçoit le titre de meilleur joueur africain de l’année 1982.
Deux mois plus tard, le 8 août, au Giant’s Stadium de New York, le Brésilien Tele Santana, entraîneur de la mythique équipe de Zico et autres Socrates aligne le Camerounais dans les buts de la sélection mondiale qui affronte l’Europe, dans un match organisé par la FIFA, au profit de l’UNICEF. Suprême récompense et totale reconnaissance pour un footballeur dont le parcours était déjà impressionnant en Afrique, mais presque totalement inconnu en dehors, malgré un premier titre de meilleur joueur africain de l’année en 1979.
Car à 19 ans, en 1974, Thomas Nkono trône déjà dans les buts du Canon de Yaoundé, tout récent champion d’Afrique 1973. Il enlève son premier titre national un an plus tard. Vladimir Beara arrive bientôt au pays. L’ancien gardien de but yougoslave et nouvel entraîneur des Lions est ce qui peut arriver de mieux au jeune Thomas. Il sera son premier professeur. Le seul qui, en janvier 1976, le met en réserve afin qu’il ait le temps de « simplifier et de mûrir son jeu ». La concurrence avec Joseph Antoine Bell, le gardien de l’Union de Douala est déjà à l’ordre du jour.
En 1975, « prêté » au Tonnerre de Yaoundé, Nkono remporte la première Coupe des coupes. Le stade d’Abidjan défait, crie au scandale. Le « prêt » de joueurs est illégal en Afrique à cette époque. Qu’importe, le 3 décembre 1978 à Conakry, Nkono est le héros d’une finale en Coupe des clubs champions. Grâce à lui, le Hafia ne reviendra pas dans ce match retour (0-0), après avoir perdu à Yaoundé. L’envoyé spécial du mensuel français « Mondial » dit de Nkono « qu’il est dans la lignée des plus grands : Yachine, Banks ou Schilton « .
Au plan national, le Canon de Nkono, Abega, Manga, Mbida… domine le championnat et aligne les titres. En 1979 et 1980, les verts et rouge enlèvent deux autres trophées africains. Leur gardien de but est seul à ce poste à être désigné meilleur joueur du continent. Normal donc que le « Mundial espagnol » ne soit une révélation qu’en dehors du continent. Les médias internationaux courent alors assez peu l’Afrique. Les chasseurs de talents n’y voient que les buteurs.
L’arrivée de Nkono à l’Espanol est donc un événement. Le deuxième club de Barcelone est le premier en Europe à engager un gardien de but noir Africain. Nkono met ainsi fin au mythe selon lesquels les gardiens africains seraient incapables de réussir au plus haut niveau. Il gardera les buts de l’espanol de Barcelone pendant près d’une décennie, sans jamais être remplaçant. En 1987, contre toute attente, l’Espanol manque un coup. Après avoir éliminé les Allemands de Moenchen-gladbach (1-0 ; 4-1), les Tchécoslovaques de Vithovice (2-0 ; 0-0), enfin les Belges de Bruges (0-2 ; 3-0), l’Espanol manque sa finale face au Bayer Leverkusen. Le 18 mai, Nkono encaisse trois buts et ne repousse aucun tir aux buts, lors du match retour face à des Allemands perdant à l’aller (0-3).
Pour Nkono, les rêves d’une Coupe européenne s’envolent. Ceux d’une victoire en Coupe d’Afrique des Nations sont déçus par trois fois (1982, 1986 et 1990). Il peut tout juste se consoler d’avoir les deux premiers matches du triomphe camerounais en 1984. Mais reste encore une Coupe du monde à jouer en 1990 en Italie ; le Cameroun atteint les quarts de finale. Le 1er juillet à Naples, Lineker bénéficie de deux pénalties pour battre Nkono et des Camerounais euphoriques (2-3). Les lauriers sont pour Milla, mais aussi pour ce gardien dont la classe séduit un jeune italien.
Gianluigi Buffon, le gardien de but international italien, avouera plus tard : » c’est en voyant jouer Nkono, que j’ai eu envie de devenir gardien de but « . A 35 ans, Nkono a presque tout gagné. Même s’il figure encore sur la liste des 22 au mondial américain en 1994. A sa suite, Bell, Songo’o et autres Alioum Boukar sont entrés dans des championnats européens. Lui choisit une dernière expérience en Amérique du Sud. La Bolivie l’accueille et le célèbre. Décembre 1997, fin de parcours. Le footballeur devient manager. « J’aide les jeunes à monnayer leur talent » explique t-il. L’équipe nationale lui ouvre encore ses portes. Il entraîne les gardiens de but, est membre du staff des lions indomptables du Cameroun, et signale la présence en Espagne d’un bon joueur, qui deviendra l’un des piliers de l’équipe : lauren Etame Mayer, l’actuel joueur d’Arsenal…
Les aventures de « Tommie » et des lions indomptables se poursuivent, et nul doute qu’ils seront encore très attendus lors de la prochaine coupe du monde, en Corée et au Japon.
Paul Yange
PS: avec le decret ministériel nommant les nouveaux responsables sportifs, le chemin de Tommy et des Lions Indomptables vient de se séparer. Bon vent Tommy.