Dimanche 19 août 2007. Stade Molyko de Buea. Pendant que mon micro était tendu vers lui, il parlait à la manière d’une mitraillette. Très courtois et haut en verbe comme à son habitude, Alain Robinson Wabo ne cherchait pas ses mots. Il ne parlait pas comme Sédar Senghor ou encore Aimé Césaire. Mais ce jeune homme à l’allure athlétique parlait comme un technicien de football. Un vrai technicien. Un entraîneur qui maîtrisait le jargon de son football qu’il aimait passionnément. « Système de jeu en baricentre », « attaque fourmie » « attaque crabe », « attaque criquet », « défense en V ou W », « intégration tactico-technique », etc. J’étais fasciné, séduit.
Je me rendrais compte d’ailleurs que je n’étais pas le seul. Tous les autres journalistes courraient après « Capello », son petit nom. « Il sent les choses. Il sait disséquer un match et le rend digeste pour les auditeurs et lecteurs », soufflaient les confrères, en guise d’explication.
« Je suis fatigué de déposer des dossiers à la Fécafoot »
L’ex-entraîneur de Mount Cameroon qui officiait à l’époque à Télé Star du Gabon était en vacances au pays. Il profitait pour venir voir son ancien club, Mount Cameroun (avec qui il remporta la Coupe du Cameroun en 2002) qui jouait à domicile à Buéa et qui s’était fait exploser ce jour là par l’ogre Cotonsport lors d’une demi-finale épique de Coupe du Cameroun. Qu’importe ! Alain Wabo me parlait des autres techniciens camerounais qui exerçaient aussi au pays d’Omar Bongo : Eugène Ekéké qui était à Franceville, Emmanuel Kundé qui est à l’US Bitam, ou encore de Mba Jama et Atta Julius qui jouaient à l’US Bitam, de Zeh Zanga qu’il cochait à Télé Star.
Ce qui m’a le plus surpris ce jour là, c’est sa philosophie de vie. Je m’étonnais qu’il n’ait pas déposé sa candidature à la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) pour être dans la liste des prétendants à la succession de Arie Haan qui venait de quitter le banc des Lions indomptables. Imprévisible, il rétorqua avec la rhétorique qu’on lui connaît. « Gars, je suis fatigué de déposer des dossiers à la Fécafoot », a-t-il lancé, dépité. En effet, à l’époque, les ministres des sports ne nommaient à la tête des sélections nationales inférieures que des techniciens de l’Institut de la Jeunesse et de Sport. Or, beaucoup de gens reprochaient à Alain Wabo de n’avoir pas de diplôme, d’avoir appris le métier de technicien sur le tas. Il me confiait alors qu’il a profité de son séjour gabonais pour rentrer à l’école. Il en sortira nanti d’un diplôme d’entraîneur de deuxième degré à Libreville au Gabon, sous la supervision des moniteurs de la Fifa.
Coach à 21 ans !
L’interview fut publiée avec le titre avec le titre «Alain Wabo : je suis fatigué de déposer des dossiers à la Fécafoot ». Du feedback que je reçu, j’ai su que le « papier » avait fait des gorges chaudes. Quelques semaines plus tard, il me dit au téléphone un brin mystérieux : « le ministre (des sports) m’a convoqué ». Sans plus. Des jours plus tard, c’est par voie de presse que j’appris que Alain Robinson Wabo était entraîneur national des Lions Junior.
De passage à Douala (il habitait Buea), il m’appela au téléphone. « Il faut qu’on se voit. On doit « couper » une bière ensemble », me glissa-t-il. Dans son for intérieur, il semblait convaincu que l’interview que je lui avait faite avait contribué à relancer le débat sur sa candidature.
Depuis lors, on se verra de moins en moins. Je le comprenais. Il voyageait par monts et par vaux, soit pour les prospections, soit pour les compétitions. J’étais fasciné par son courage, mais surtout par sa grande gueule, lui qui est entré dans le métier par effraction, mais qui attirait les braqueurs des projecteurs. Or, on ne lui connaît pas un passé de footballeur professionnel. Il n’était pas passé par la prestigieuse INJS. Alors qu’il n’avait que 21 ans, il se forma « sur le tas » à New-Bell, son quartier d’enfance à Douala. Il était convaincu de son talent. Il le transmettait d’ailleurs à son entourage. Nous sommes en 1993. Il veut être comme son modèle, « Cappelo « . Mais son mentor, tel qu’il m’a semblait percevoir, était plutôt Bonaventure Djonkep.
Alain Robinson Wabo prit alors des cours par correspondances pour se former au métier. Entraîneur de football, il bénéficiera de plusieurs stages en Europe. Il entraînera plusieurs clubs de D1 et D2. Il dirigera aussi plusieurs clubs africains. Avec Renacimiento, il explose les compteurs : « Capello » remporte le titre de champion de Guinée Equatoriale pendant trois années consécutives (2004, 2005 et 2006).
« A quoi sert-il de se justifier ?»
Au lendemain de la défaite des Lions Indomptables 0 but contre 1 face aux Eperviers du Togo à Accra au Ghana samedi 28 mars 2009, son nom est évoqué par les prétendants à la succession de Otto Pfister. N’avait-il pas concédé qu’une seule défaite (face au Ghana à la finale de la CAN Rwanda 2009) en 10 matches avec les Lions Juniors dans des conditions particulièrement rudes ? En effet, il était sans salaire. Il n’en faisait pas mystère. Il le confessait d’ailleurs sur les plateaux de télé. « Il n’est pas fonctionnaire. On proposera un texte pour régler le cas des entraîneurs nationaux de son genre », rétorquait Thierry Edjoa. Suffisant pour que certains joueurs le vouent aux gémonies. On l’accuse de corruption. Wabo réserveraient 5 places dans sa liste des 21 joueurs qui lui permettraient d’avoir une « bière » des parents des joueurs sélectionnés. Impassible, il laissait passé les accusations, tel de l’eau sur le dos d’un canard. « A quoi sert-il de se justifier », me dit-il un jour.
38 ans, 15 ans de carrière
Même après son limogeage à la tête des Lions Junior, il continuait d’avoir espoir qu’il rebondirait « quelque part ». Depuis le 30 mars 2010, il remplaça officiellement Gérard Mbimi à la tête de Tiko united, un club qu’il connaît bien pour l’avoir révélé au public.
Lorsque j’ai appris la nouvelle de sa mort ce lundi 25 octobre 2010, j’ai couru à l’Hôpital Général où il était annoncé. Mais, j’appris plus tard que son corps reposait plutôt à la garnison militaire. Sa veuve, Guylaine, que j’ai eu au téléphone, ne répondit à mes interrogations que par des pleurs. Thomas, son chauffeur, sera plus disert : « il était malade. La semaine dernière, il m’avait envoyé à Douala acheter un… paquet de médicaments à la pharmacie. J’avais dépensé plus de 50. 000 Fcfa. Ça n’allait toujours pas. Un guérisseur traditionnel lui a même fait des tisanes pour boire. Ça n’allait pas toujours ».
Alain Robinson Wabo nous a quitté ce lundi 25 octobre 2010, vers 5h du matin. Son père jette un pavé dans la marre : « Lorsque je l’ai vu, ses plantes de pied étaient toutes blanches. C’était comme s’il était mort depuis Buea avant qu’on ne le transporte à Douala ». Rideaux !
On n’entendra plus les expressions « baricentre », « attaques fourmies », « attaques crabes » et « défenses V ou en W », qui charmaient les hommes de média et par ricochet le grand pubic. Malgré son verbe haut, « Capello » est resté impuissant devant la mort. On retiendra aussi qu’il a réussi à se tailler un siège confortable dans la corporation des techniciens camerounais.
Il n’avait pas fini de développer ses théories. Fauché par la mort à 38 ans, il cumulait déjà 15 ans de carrière.
« Capello », que la terre de nos ancêtres te soir légère !
Eric Roland Kongou, à Douala
PARCOURS
Les clubs de D2
– As Bamendjou : avec qui il accède en D2.
– Les clubs de D1
– Stade Bandjoun
– Aigle de Nkongsamba,
– Mount Cameroon de Buea
– Tiko United (avec qui il accède en D1 en 2007)
– Panthère du Ndé
Les clubs africains
– Renacimiento (Guinée Equatoriale)
– Télé Star (Libreville, Gabon)
Palmarès
– 2002 : Vainqueur Coupe du Cameroun
– 2003 : Mount Cameroun : 8ème de finale de la Coupe des clubs
vainqueurs de Coupe
– 2004, 2005 et 2006 : Champion de Guinée Equatoriale avec Renacimiento.
– 2006 : Phase de poule de la Ligue africaine des champions en 2006.
– 2009 : Vice-champion de la Coupe de la CAN Junior au Rwanda
– 2009 : Participation à la Coupe du monde Junior en Egypte