Après plusieurs mois sans la moindre nouvelle, Sylvain Monkam rompt le silence. L’ex préparateur physique des Lions Indomptables et instructeur FIFA dans la formation en préparation physique a analysé les clés du succès de l’Équipe Nationale d’Allemagne au mondial. Dans un entretien exclusif accordé à notre rédaction, il a décrypte les éléments ayant favorisés le sacre de la National Manschaft. Selon lui, la préparation des allemands pourra permettre aux clubs et sélections africaines de s’améliorer lors des prochaines échéances internationales. Interview…
Bonjour Coach, on n’a pas eu de vos nouvelles depuis quelques temps. Qu’est-ce qui explique ce silence ?
Si vous n’avez pas de mes nouvelles, c’est parce qu’il vaudrait peut-être mieux rester dans la discrétion et travailler, que d’être en permanence devant les médias, pour plus animer des antagonismes interpersonnels, que travailler véritablement pour le développement de notre football. En fait, je termine actuellement la rédaction d’un rapport sur le thème La Mannschaft : d’une préparation habile à une victoire méritée. C’est l’opportunité pour moi de faire un décryptage technique de la préparation et de la gestion de la compétition de l’équipe d’Allemagne pendant la Coupe du Monde. Je voudrais que les analyses et les principales conclusions de ce rapport permettent tant aux dirigeants qu’aux techniciens du football, d’appréhender les contours et les fondement des résultats et des performances de cette équipe adroitement conspirée par un managérat de pointe, mené par Joachim Low à l’intérieur d’un staff étoffé par de véritables spécialistes de chaque domaine de l’entraînement et avec une collaboration affinée des dirigeants assez lucides et inspirés du football Allemand. Ce sont donc des conclusions qui peuvent à la fois guider les dirigeants et les techniciens dans leur regard et leur approche de la préparation de leurs équipes à de grandes échéances internationales et continentales. Il me semble essentiel pour les dirigeants d’avoir également une bonne perception des choix et des exigences des staffs techniques, pour pouvoir affiner au mieux leur collaboration.
Quels sont les premières conclusions de ce rapport ?
Dans la première partie de mes conclusions, je présente, une analyse diagnostic de toutes les étapes essentielles qui ont guidées la préparation de cette merveilleuse équipe, singulièrement depuis le tirage au sors jusqu’à la fin de la phase de préparation terminale. Pour ce faire, je me suis au préalable penché sur le feedback de l’histoire de la participation de l’équipe Allemande aux dernières grandes compétitions. Au cours de celles-ci, la National Mannschaft avait souvent terminé dans le dernier carré, avec un jeu débridé et essentiellement performant dans les phases de poule. Elle semblait limitée face à des organisations adverses impressionnantes dans la maîtrise collective du ballon, dominatrice dans l’entrejeu, plus efficace à la récupération du ballon et surtout capable d’un sans-faute technique dans la remontée collective du ballon et les animations offensives. J’ai pu ainsi déceler que cette analyse avait fondamentalement guidé le choix du projet de jeu défini par Joachim Low pour la participation de cette équipe à la Coupe du Monde, ainsi que dans les étapes de la construction tactique de son équipe. On bâtit une équipe à partir d’un point de départ et avec des objectifs précis, clairement identifiés, biens définis et connus de tous. J’ai également relevé que pour être plus en phase dans ses choix et ses décisions par rapport au projet de jeu, Joachim Low avait fait le choix de l’utilisation des technologies nouvelles dans le décryptage du jeu des équipes adverses et de l’équipe Allemande elle-même. Ce qui a fait en sorte que lors de ses débriefings, le tacticien allemand pouvait comparer plusieurs fois par match la position géométrique de son équipe au moment des temps forts, quand l’équipe se montre offensive, s’ouvre des occasions et marque des buts. Il a également pu d’avantage cerné le comportement de son équipe en fonction de la réaction de l’équipe adverse. Ce sont des données qui sont aujourd’hui essentielles dans le sport de haut niveau et qui peuvent ensuite être intégrées avec d’autres informations telles que l’historique des matchs joués ou les statistiques recueillies pendant les séances d’entraînements pour la construction du jeu de l’équipe. Tous ces éléments ont guidés toutes les étapes d’avant la phase terminale, à savoir entre autres la définition du projet de jeu qui est la base du projet technique, la présélection des joueurs et leur suivi dans les clubs, le choix des sites de stages et la programmation des matchs amicaux…
Dans la seconde partie, je fais une analyse détaillée de la structuration et des contenus de la préparation physique de la Mannschaft pendant la phase terminale, avec un regard attentif sur les tests physiques et l’évaluation médicale préalable des joueurs avant toute préparation, le suivi diététique de l’équipe en fonction des différentes phases de la préparation. J’ai également relevé dans la préparation de cette équipe, la nécessité d’individualiser le réentraînement en fonction de l’état physique et de santé de chaque joueur, de spécialiser l’entraînement tactique en fonction du projet de jeu et de gérer au mieux les charges d’entraînement, de compétition et la récupération pour pouvoir affûter et maintenir à un haut niveau les performances des joueurs et surtout prévenir et éviter autant que possible les blessures.
Ce rapport montre également que la préparation à une Coupe du Monde nécessite, une adaptation des méthodes d’entraînements physiques et intégrées, qui jusqu’à lors pendant des phases de qualification, étaient limitées à des actions de gestion de la récupération et d’affûtage des qualités de performances des joueurs. Le préparateur physique doit être au faîte du projet de jeu de l’équipe, pour pouvoir harmoniser si besoin est l’activité en match des joueurs dans leurs différentes équipes avec leurs activités en sélection. Les joueurs ne jouent pas toujours aux mêmes postes en sélection et dans leurs équipes. Par contre, avec des méthodes d’entraînement de haut niveau, il est fondamental de disposer d’outils modernes d’entraînement technico-tactique et de préparation physique de haut niveau et de matériel médical et de soins en physiothérapie de pointe. Ils permettent de contrôler et de suivre les joueurs à l’entraînement et en compétition, dans la mesure où ils doivent supporter des charges importantes d’entraînement, pour pouvoir gérer efficacement la récupération et espérer des joueurs en meilleure forme en compétition. Il faut dire qu’à ce niveau de compétition, une excellente condition athlétique est essentielle et des joueurs à 100% indispensable pour faire face à une forte intensité dans les efforts, élément essentiel permettant de faire la différence lors des actions de jeu, dont chacune est importante dans les événements comme la Coupe du Monde de Football.
Dans la troisième partie, j’ai fait une analyse du jeu de l’équipe d’Allemagne à chacun de ses matchs, en scrutant à la fois la composition et la structure de l’équipe et de celui de son adversaire. J’ai également essayé dans cette étude, de déceler comment elle s’animait, sur les plans offensifs et défensifs, ainsi que dans le jeu de conservation de balle. J’ai identiquement tenté de discerner comment se développait souvent la transition du ballon entre les différents compartiments de jeu, pour tenter de contrarier les adversaires. Je me suis interrogé sur quels étaient les circuits préférentiels, comment s’organisaient les coups de pieds offensifs et défensifs, quels étaient les points forts et les points faibles, les joueurs influents et leur personnalité, tout ceci afin de donner une impression générale du jeu de la Mannschaft par rapport à un adversaire donné.
Toutes ces données permettent de comprendre que Joachim Low, pour déjouer les équipes adverses et trouver des solutions à l’opposition était capable de modifier à plusieurs reprises la stratégie de jeu de son équipe dans un même match, d’un match à l’autre pendant toute la compétition. Il avait également pris la peine de choisir des joueurs capables de s’adapter à cette flexibilité tactique. Cela montre bien le fait que, comme je l’ai dit dans la Thèse de Doctorat, les stratégies de jeu ont beaucoup évolué et sont même devenues pour tous les entraîneurs reconnus et fins stratèges, des instruments redoutables à la performance de leur équipe. Je pense même que dans le futur, les équipes qui se limitent à une stratégie de jeu, ne pourront gagner une compétition de ce niveau.
En Afrique, nous avons pu remarquer comment l’équipe d’Algérie était également capable d’avoir une flexibilité dans son comportement tactique et elle a été une des plus représentative du continent. En utilisant une seule stratégie de jeu comme la France, il faudrait pour être performant, que chaque joueur soit le meilleur du Monde à son poste et ce n’est pas le cas. Aussi, il faut dire qu’à force de réflexions, d’analyses diagnostics et de mise en œuvre des dispositifs de jeu différents dans leurs équipes, les staffs techniques participent dans cette optique à l’évolution des systèmes de jeu et au développement du football.
Il est aujourd’hui essentiel pour tous les entraîneurs-tacticiens et de haut-niveau de nos sélections, de cerner au mieux tous les paramètres de la performance et du jeu des équipes adverses, pour pouvoir mettre en place une organisation structurelle et une animation de jeu efficace, pour espérer contrarier ou déjouer les adversaires et obtenir un bon résultat en match. Toutefois, il ne suffit pas d’avoir des informations sur l’adversaire, il faut mettre en place des stratégies et des tactiques de jeu pendant les séances d’entraînement, mieux pendant les phases de préparation à la Coupe du Monde et moins pendant la Coupe elle même. Il est indispensable pendant les phases de préparation d’anticiper, sur la mise en place efficace de différents systèmes de jeu à utiliser en match, dans les cycles d’entraînement pendant la préparation. Il faut également pendant la formation des joueurs, les initier aux différentes stratégies de jeu dans la construction de l’équipe. Cette démarche permettra sans doute, d’avoir pour l’équipe beaucoup de solutions aux problèmes que pourraient leurs poser des adversaires en cours de match ou en compétition.
L’analyse de la performance tactique de l’Allemagne montre bien la flexibilité tactique de Joachim Low et l’intelligence de jeu des joueurs pendant chacun des matchs, leur aisance technique dans les animations offensives et défensives, les capacités à se projeter très vite vers l’avant et à revenir constituer le bloc défensif sans perdre d’intensité dans les efforts, ce après une longue saison.
J’ai pu également relever que tout cela passe surtout par la gestion de fortes personnalités et le bien vivre ensemble menée depuis belle lurette par Joachim Low, afin que ses choix et sa communication avec les joueurs soient clairs précis, compris et acceptés par tous et n’engendre aucunement de problèmes dans le groupe.
Quel est l’intérêt de tout ce travail ?
Mon but est de pouvoir partager cette expertise ainsi que les principales conclusions techniques qui en découlent avec les Fédérations Africaines de Football en général, à travers leur Direction Technique Nationale. Ceci permettrait de créer une plateforme de réflexion sur les exigences techniques et organisationnelles de la préparation d’une équipe de haut niveau pour participer efficacement à une grande compétition internationale et la nécessité de favoriser la fluidité relationnelle entre dirigeants et techniciens, afin de limiter au mieux les ingérences extra-sportives.
En Afrique en général, des problèmes d’organisation, que ce soient administratifs ou techniques peuvent empêcher les sélections nationales de briller sur la scène internationale. Il est utile d’avoir un cahier de charge qui nous serve de guide et que ce rapport, qui peut être amélioré ou adapté en fonction du public, devienne au final un outil technique et pédagogique vérifiable pour aider en la compréhension des stratégies de préparation d’une équipe de haut niveau, notamment par les dirigeants et les cadres techniques. Ces conclusions pourront à mon sens booster la qualité de nos préparations, la gestion de la compétition de nos équipes et donner un coup de pouce aux performances de nos clubs, lors des compétitions de football de haut niveau. Nous devons prendre conscience de ce besoin de professionnalisme à tous les niveaux en termes d’entraînement et de gestion administrative de nos équipes, pour la promotion et le développement du football. Nous devons également pouvoir apprendre de nos erreurs en faisant à chaque fois un feedback diagnostic de nos participations aux grandes compétitions
Ce rapport fera l’objet d’une présentation devant des techniciens du football où je serais invité et ouvrira certainement un débat sur la préparation des équipes africaines lors des grandes compétitions internationales.
Qu’est ce que ce travail peut apporter au développement du football camerounais, voire africain ?
Les principales conclusions de ce rapport peuvent avoir des conséquences sur l’entraînement, la préparation physique notamment dans les sélections nationales et en amont sur la formation de nos joueurs. Il contribuera ainsi au final au développement de notre football. Il faut relever que les performances de l’équipe d’Allemagne sont à l’image du développement de leurs clubs, de leurs centres de formations et de leur football.
Au regards des stratégies mises en place pour la préparation de la Mannschaft au mondial 2014, nous pouvons attester avec force à titre d’exemple, qu’une mauvaise périodisation de l’entraînement lié à un problème extra-sportif comme nous le vivons souvent en Afrique, peu conduire à un dés-entraînement des joueurs si le repos (retour en famille pour se ressourcer) est prolongé, ou à un surentraînement si les sessions d’entraînement ne sont pas individualisées, ou s’ils ne prennent pas en compte la spécificité liée au poste sur le terrain en compétition et à la différence entre l’activité par rapport au poste en club et en sélection. Il en est de même de l’âge des joueurs, du niveau et des caractéristiques physiques à l’arrivée en sélection, ainsi que les antécédents de blessures et de charge de compétition souvent beaucoup plus importante pour les uns que pour les autres. Certains joueurs peuvent décréter des « blessures » pour se reposer. Pour cela, il est indispensable particulièrement pour le préparateur physique de bien connaitre individuellement chaque joueur avant toute compétition et leur suivi sur l’année (qui ne peut se limiter à la technique et à la tactique) reste dans cette optique une activité incontournable. Nous pouvons aussi relever qu’à l’exemple de la préparation de la Mannschaft, les tendances actuelles dans l’entraînement de haut niveau et singulièrement en période de compétition, l’approche intégrée de l’entraînement avec ballon et la complexité du jeu en construction, doit être au centre de la méthodologie d’entraînement. On a ainsi pu noter que les séances d’entraînements collectifs réunissent tous les ingrédients du match, non seulement en termes techniques ou de dispositifs tactiques, mais également au niveau de l’intensité physique et même du bien vivre ensemble. La gestion de l’intensité de la séance en fonction du temps, de l’espace et de l’effectif de l’opposition, se rapproche aussi le plus possible de la réalité en match, en termes de distances de types de course, d’efforts, de temps de récupération et de capacité à résister à la perte de vitesse.
Aussi, l’entraînement individualisé en sélection ou dans les clubs, doit respecter les qualités et capacités propres à chaque joueur. Les entraîneurs doivent pouvoir les optimiser en les programmant intelligemment dans les cycles d’entraînement et de formation. Cette individualisation de l’entraînement concerne aussi le travail physique aux postes avec des ateliers différents, qui respectent les habiletés du poste mais aussi les types d’efforts, les distances et même les charges liées à l’opposition de l’adversaire.
À l’image de la préparation de la Mannschaft, nous préconisons un entraînement individualisé physique en fonction des caractéristiques du joueur, de ses points forts ou faibles et de son ou ses différents postes dans le projet de jeu de l’équipe. Ainsi, du fait de la grande flexibilité relevés aujourd’hui dans les schéma tactiques des grandes équipes et de la nécessité d’adapter à chaque fois, l’activité du joueur en fonction de la mutation aux différents postes qu’il occupe sur le terrain en match. Tout cela participe également à la mise en valeur de l’importance du bien vivre ensemble dans la performance collective de nos jours, un travail méthodique au niveau de la formation des jeunes joueurs, doit être mis en place, voire optimisé.
Vous avez passé un séjour à Naples il y a quelques temps. Quel était l’objet de ce séjour et qu’est ce qu’il pourrait apporter à vous et au Cameroun ?
Je suis parti à Naples officiellement pour passer des Vacances, mais officieusement je voulais reprendre contact avec le staff technique de l’équipe du SSC Napoli, afin d’avoir de nouveau un échange technique particulièrement avec les préparateurs physiques sur certains domaines de l’entraînement physique et intégré au projet de jeu de l’équipe, notamment la gestion du travail de début de saison, la prévention des blessures, la gestion de l’échauffement d’entraînement et d’avant match. J’ai été bien reçu par le team Manager de l’équipe et le Directeur du Centre de formation et également par Faouzi Ghoulam le Latéral gauche avec qui j’ai des contacts. Il faut relever que la démarche pour avoir un contact avec l’équipe professionnelle doit faire l’objet d’une demande. (Dépôts du CV et attendre la réponse de BENITEZ). La réponse en elle-même est arrivée le Lundi 04 Août, alors que je devais rentrer en France le 06 Août, jour où l’équipe devait jouer à Genève contre le FC Barcelone. Ayant joué le Samedi contre le POAK de Slovénie, il n’y a pas eu de séance d’entrainement ni le Lundi 04 Août, ni le Mardi 05 Août.
J’ai tout de même conduit un travail technique avec le Directeur du Centre de Formation avec qui nous avons décrypté le match contre le POAK de Slovénie, avec un accent particulier sur l’analyse comparative de l’échauffement d’avant match des 2 équipes et sur les points forts et les points faibles de la stratégie de jeu mise en place par BENITEZ ce jours (http://www.zerottonove.it/napoli/ , http://www.zonacalciofaidate.it/?idcnt=28051). Nous sommes actuellement entrain de travailler sur la constitution d’une fiche technique d’observation des joueurs sur un seul match.
Je pense que ce contact avec la SSC Napoli a tout de même été très fructueux tant sur le plan personnel que professionnel. J’ai le feu vert de BENITEZ pour revenir quand je veux échanger avec le staff technique et je vais rapidement m’organiser pour y repartir. Ces types d’échanges sont importants pour continuer à progresser dans mon travail, à découvrir et analyser de nouveaux concepts d’entraînement et de préparation physique aux cotés de grandes personnalités du football mondial. C’est la deuxième fois que je vais à Naples et l’année dernière déjà j’étais à Nice. Il me semble également important pour nos entraineurs nationaux, nos préparateurs physiques, médecins et kinésithérapeutes, de devoir vivre ce genre de contacts, d’échange et d’expériences, afin d’être au faîte de l’évolution dans leurs domaines spécifiques respectifs. Je suis disposé à apporter plus de précisions à nos responsables s’ils me le demandent.
James Kapnang avec Sylvain Monkam Tchokonté via internet