Véritable armoire à glace, Massing est le joueur camerounais du mondial 90 dont Claudio Caniggia, l’attaquant argentin, garde certainement un vif souvenir. Car dans les arrêts de jeu de ce match d’ouverture Argentine-Cameroun (0-1) du mondial italien, c’est l’imposant défenseur et baroudeur de la charnière centrale des Lions qui stoppa ce dernier, alors qu’il filait seul en slalomant vers les bois camerounais, gardés par Thomas Nkono. L’ hardiesse du très charismatique défenseur a été telle qu’il laissa sur le carreau son adversaire, perdit sa godasse, avant d’être expulsé sur le coup par le central français de la rencontre, Michel Vautrot.
Et si l’officiel d’Outre-mer est resté à ce jour un personnage mal aimé des Camerounais, il ne l’est pas moins pour l’ex dossard « 4 » des Lions, qui ne semble toujours pas l’avoir pardonné, même avec du recul. Benjmain Massing, était en même temps, le prototype de défenseur dont tout entraineur de football rêve d’avoir, car véritable gageure défensive. Massing Benjamin, c’est aussi une franchise dans les propos, ne disant que ce qu’il pense, surtout sur la gestion qui se fait de l’équipe nationale depuis les époques où il était dans les Lions, à celle de nos jours. Mais, cela n’empêche en rien qu’il reste collé aux valeurs patriotiques, et notamment de ce drapeau pour lequel il a servi, et pour lequel il continue de croire, par le truchement de Samuel Eto’o et ses coéquipiers, qui défendront l’étoffe vert-rouge-jaune dès le 12 juin prochain au Brésil.
Comment ce passe votre sélection à l’équipe nationale dans les années 80 ?
J’arrive à l’équipe nationale le biais d’un jeune homme qui évolue dans le championnat national de première division dans la zone du Nord-ouest, dans le club de l’OMCBP de Bamenda. Je suis sélectionné par Claude Leroy, qui est conscient de mon talent. Et il m’appelle pour la première fois à l’équipe nationale en 1985. Après cette sélection, il en a eu beaucoup d’autres. Et j’ai dû m’accrocher pour gagner ma place parce que c’était vraiment assez prisé. Et au fil du temps, j’ai fini par accrocher une place au poste de défenseur central de l’équipe nationale du Cameroun.
Donc, fort de votre travail, vous n’êtes pas surpris de vous voir retenu enfin pour la coupe du monde 90 ?
A cette époque là, je ne me jette pas des fleurs, mais, j’étais sans doute le meilleur défenseur du pays à ce poste. J’évoluais déjà dans une équipe professionnelle (US Créteil en France, ndlr) au moment où je suis appelé pour rejoindre l’équipe nationale, et j’étais, à 80%, sauf cas de blessure, sûr d’être sélectionné. C’était en même temps une occasion rêvée, puisque c’était ma première fois de jouer à ce niveau-là, et de flirter avec des joueurs de ce niveau. Pour moi, c’était un rêve.
Un rêve qui prend corps au fur et à mesure que vous avanciez avec vos coéquipiers dans ce mondial 1990. Parlez-nous justement de cette coupe du monde. Comment l’avez-vous vécu, de la préparation jusqu’en quart de finale où vous vous êtes arrêté ?
En réalité, c’est un travail de longue haleine. Les entraineurs se sont succédés. Chacun a travaillé à son niveau. Ça a commencé avec la coupe des nations de 88 lorsqu’avec Claude Leroy, on gagne la coupe des nations au Maroc. Après cette belle performance, nous sommes qualifiés pour le mondial de 90. Nous étions une équipe soudée de joueurs qui évoluaient ensemble depuis un bon moment, on se connaissait, les automatismes passaient. Nous avons abordé la seconde coupe des nations de 90 avec un complexe de supériorité, mais, nous n’avions suffisamment pas récupérer. On avait beaucoup de matches dans les jambes, et on a attaqué directement la compétition après un stage de deux mois, et on n’a pas faits bonne prestation lors de cette coupe des nations en Algérie. Mais, comme le travail ne se perd pas, on l’a récupéré plus tard en coupe du monde.
Vous vous mettez dans la préparation pour la coupe du monde, qui n’est pas de tout repos, puisqu’émaillée par des revendications de primes d’une part et des dissensions entre joueurs d’autre part…
Je crois que c’était un problème qui n’émanait pas du hasard. C’est la volonté de ceux qui sont aux affaires. Ce sont eux qui essayent de tirer les ficelles, ou de toujours tirer la couverture de leur côté. Parce qu’en réalité, il ne devrait pas se poser de problèmes à ce niveau-là. Nous voyons comment ça se passe dans les autres pays. Les primes sont connues à l’avance, et du coup, s’il y a contestation, il y a une table ronde entre les joueurs, les dirigeants et l’Etat. Et après consensus, on ne devrait plus avoir de problèmes ; mais lorsque les gens pensent que l’argent qui est destiné aux footballeurs devrait rentrer dans leurs poches, ça va toujours donner ce que nous vivons dans notre équipe nationale. Mais, il faut que l’Etat soit conscient de ce que les uns ne peuvent pas travailler, et c’est les autres qui gagnent. C’est un phénomène que nous décrions depuis longtemps, et jusqu’aujourd’hui, il n’a jamais été éradiqué.
La tempête passe, et le 7 juin 1990, vous descendez sur le terrain pour livrer votre premier match contre l’Argentine de Maradona. Parlez nous de comment vous avez géré la pression de ce match, des bons et des mauvais moments dans le match.
Il faut dire que c’était un moment inoubliable, un moment de fête, parce qu’en réalité, ce match était nul autre qu’une fête. Chacun a joué sa partition, et s’est retiré au moment où il n’avait plus à faire sur le terrain. Moi particulièrement, j’avais pensé que c’était un match à travers lequel je devais prouver toutes mes qualités. Je crois que je me suis vraiment amusé, jusqu’au moment où je suis expulsé par Monsieur Vautrot qui a eu certainement de bonnes raisons pour me donner ce carton rouge.
Aujourd’hui, avec un peu de recul, est-ce que vous lui avez pardonnez de vous avoir expulsé dans ce match ?
Je crois que je ne trouverais pas une excuse ou un pardon pour Monsieur Vautrot, parce qu’il faut l’avouer, si je devais le juger, je dirais simplement qu’il s’est trompé comme tout être humain. Ou alors, s’il avait des appréhensions, oui peut-être. Mais, je crois que sur le plan du jeu, si c’avait été un autre arbitre, j’aurais pu terminer ce match.
Mis à part cette expérience amère, y aurait-il une anecdote ou une insolite qui vous aura marqué pendant cette compétition ?
Au moment où nous devions entrer sur le terrain, le meilleur joueur du monde, Diego Maradona, au lieu de venir s’aligner comme tout le monde, il est d’abord allé refaire sa coiffure. Il avait son coiffeur dans le vestiaire qui l’a talqué avant qu’il ne revienne nous rejoindre sur le terrain. Ça m’a vraiment fait rigoler parce que, je me suis dit, celui-là, où se croit-il. En train d’aller en boite de nuit ou bien…
Vous aussi avez sollicité une photo avec Maradona ?
Incontestablement, c’est quelqu’un que tout le monde a admiré. Moi je le sais; je l’ai admiré, mais ce jour-là, ce n’est pas en admirateur que je le regardais, mais en adversaire.
Et en adversaire, mission vous avez été donnée par le sélectionneur de l’empêcher de jouer par tous les moyens, n’est-ce pas ?
Oui, ça avait toujours été ma mission. Pas seulement d’arrêter Maradona, mais d’arrêter tous les attaquants dont j’étais responsable du marquage. Et je les marquais jusqu’au bout, en les empêchant de marquer. Et ça été le cas aussi pour Maradona.
Vous avez certainement réalisé avec le temps ce que vous avez donné au football camerounais à cette coupe du monde de 90. Est-ce que vous voyez l’équipe nationale actuelle capable de réaliser cet exploit pour Brésil 2014 ?
L’équipe a les moyens de faire bonne prestation. Mais est-ce que les moyens d’accompagnement suivent ? Les joueurs font ce qu’ils peuvent sur le terrain. Et maintenant, ce qui doit accompagner l’effort, est-ce qu’il va suivre ? C’est tout cet ensemble qui donne une bonne prestation. Maintenant, on peut travailler, et si le joueur du match, on a le moral sapé, on va croire que tu n’a rien fait, ou que tu es un mauvais joueur. Pendant qu’il est encore temps, qu’on puisse élaguer au maximum les problèmes extra qu’on veut liés à la prestation des joueurs, pour qu’ils ne restent qu’avec l’essentiel.
Est-ce que vous avez pris des dispositions particulières pour soutenir cette équipe pendant le mondial ?
Je suis en contact régulièrement avec certains de mes jeunes frères dont je ne veux pas citer les noms. Et je ne manque pas de leur donner quelques conseils à titre personnel. On se voit en dehors des stades, et à l’occasion, on ne manque pas de discuter cinq minutes par rapport à leur prestation, des autres, ou alors de l’ensemble du groupe. A ce niveau, je donne ma modeste contribution.
Entretien avec Armel Kenné à Edéa