Fidèle à ses dreadlocks des années 90, Jean-Claude Pagal les a jalousement conservé jusqu’à ce jour. Et 24 ans après sa première participation à une phase finale de coupe du monde, le très athlétique milieu récupérateur des Lions de l’époque dont le look capillaire a contribué a forgé un caractère ressasse ces souvenirs d’antan. « JC » était alors le seul binational de l’époque ayant accepté de faire la croix sur sa patrie adoptive qu’était la France pour se mettre au service du vert-rouge-jaune.
Sa fougue et son engagement avaient fait de lui l’incontournable baroudeur du milieu, dont même son acolyte et concurrent au poste, Cyrille Makanaky, ne daignait contredire les qualités.
Certain de ses aptitudes athlétiques, Pagal en 1994, c’était aussi une personnalité avec du cran, capable de demander des comptes à un entraineur lorsqu’il ne le sélectionnait pas. Indéniable modèle pour l’entrejeu camerounais, Pagal revient sur son histoire au mondial 90, non sans témoigner son soutien à l’équipe actuelle qui prépare le mondial 2014. Aussi, se montre-il favorable à l’affaire des 150 millions de F Cfa exigée par les joueurs en guise de prime de qualification pour « Brésil 2014 ». Entretien.
Comment faites-vous pour vous retrouver en équipe nationale du Cameroun pour le mondial 1990 ?
Simplement qu’il y a certains joueurs en France avec lesquels on s’est rencontrés. J’étais en contexte avec Roger Milla, ensuite Cyrille Makanaky. On a parlé un peu, et à travers eux la sélection a été assez aisée. Bien longtemps en 1988, Claude Leroy m’envoie une lettre en me disant que je suis encore jeune, et que je peux encore attendre pour les sélections. Et l’idée des sélections ne m’avait pas encore traversé à l’époque, parce que je ne connaissais pas encore véritablement le Cameroun, car, ayant grandi de l’autre côté, c’était difficile de vouloir jouer directement à l’équipe nationale.
Vous aviez pourtant le choix entre la France et le Cameroun, pourquoi avoir opté pour le Cameroun en fin de compte ?
C’est grâce à ma mère, qui me parlait tout le temps du Cameroun et de mon oncle qui s’appelait « Tcha-Tcha boy », très doué. Elle a su me faire rêver. Elle avait raison d’ailleurs de vouloir que je joue pour le Cameroun. Maintenant, il se trouve que des gens comme Makanaky avec qui j’ai joué à Lens, sont venus, ils ont parlé au Président Etotoké, qui s’est déplacé pour me voir, et par la suite, je suis venu en sélection au Cameroun.
C’était inespéré pour vous, le mondial 90 ? Est-ce que vous vous y attendiez si jeune que vous étiez à 21 ans ?
J’ai toujours rêvé de jouer la coupe du monde et de la gagner. Mon rêve était de faire quelque chose d’extraordinaire avec l’équipe du Cameroun. Malheureusement, on n’a pas été au bout de mon rêve. C’est bien d’écrire une histoire du football en arrivant en quart de finale cette année-là, mais c’est aussi bien de la gagner.
Milieu récupérateur que vous étiez à l’époque, comment vous sentiez-vous ? Et avec quels coéquipiers aimiez-vous évoluer dans ce compartiment du jeu ?
J’aimais principalement jouer avec Louis Paul-Mfédé (de regretté mémoire, ndlr). Pour moi, c’était notre Diego Armando Maradona. C’était pour moi, et il le restera, un des meilleurs joueurs camerounais. Il était exceptionnel. Roger Milla, lui c’est un réalisme infini, c’est un truc très particulier. Et c’est avec le temps qu’on peut le comprendre, c’est quelqu’un d’assez fabuleux comme joueur. Il y a Omam Biyick qui avait un truc de très plaisant, il y a Kana-Biyik, qui est pour moi le meilleur stoppeur que j’ai pu connaitre, même s’il n’a jamais voulu jouer à ce poste. Makanaky lui était mon pote, celui avec qui j’avais du plaisir à vivre. Bref on avait une équipe de joueurs très doués.
L’histoire s’arrête en quart de finale, et pour y arriver, l’équipe a dû cravacher dur. Mais comment s’était déroulée votre préparation ? Faisiez-vous face aux difficultés de primes comme c’est le cas en ce moment avec la génération actuelle ?
En 1990, on a fait notre préparation, je crois, en Tchécoslovaquie. C’était très intéressant, on était en altitude, mais pas trop. On a passés une bonne période là-bas, l’entrainement était intensif. Certains disaient qu’on ne s’entrainait pas. Mais, on a soufferts, physiquement, c’était monstrueux, et le travail a finalement payé… Aujourd’hui, les gens parlent de grands matches de préparation à gauche et à droite, je ne sais pas à quoi ça sert. Honnêtement, quand on est prêts, on est prêts. Il y a au maximum un match qu’il faut jouer pour se rassurer, mais si on est pas très bon, on va se permettre d’affronter certaines équipes qui sont déjà au niveau européen, les meilleures, pour prendre des 5-1 (face au Portugal le 5 mars 2014, ndlr). On ne sait pas ce qui nous est réservé la prochaine fois (face à l’Allemagne le 1er juin 2014, ndlr). Il faut un peu calmer la mesure.
Qu’est-ce qui vous aura le plus marqué pendant cette coupe du monde en terme d’insolite ou d’anecdote ?
Le staff technique voulait virer Bell pour qu’il rentre, et les joueurs se sont réunis pour faire obstruction. Ensemble, on a dit qu’on avait commencés l’aventure ensemble, et qu’on devait la finir ensemble. Je crois ça c’était très beau. Et aussi, quand on est venu le chercher dans l’avion pour qu’il ne descende pas avec nous, on s’est tous mis derrière pour dire qu’on était un groupe et qu’on devait tous avancer ensemble. A la fin, on était unis, on était capables de mettre tout le monde dans un même régime de foi et de rêve.
Vous êtes sans doute au courant de l’affaire des 150 millions de F Cfa exigés par chaque joueur en guise de prime de participation au mondial de 2014. Comment réagissez-vous à cette information ?
En 1990, on va à la coupe du monde, on nous donne 6 millions de F Cfa. Aujourd’hui, le Cameroun est capable de générer de l’argent par le football. Et si on leur en donne, c’est un mérite. C’est leur argent, c’est eux qui ont joué pour le gagner. Si Eto’o demande 2 milliards et que tous les joueurs sont d’accord avec lui, ils ont raison de le faire. Nous on ne l’a pas eus. Si les gens comme Eto’o demande cet argent, qu’on le leur donne, ils le méritent. Il ne faut pas qu’ils jouent et que certains qui sont des professeurs d’université viennent toucher leur argent. Ce qui est à nous, donnez nous ce qui nous appartient. Je pense qu’ils ne demandent même pas assez.
Entretien avec Armel Kenné