Comment et pourquoi un petit club peut-il semer la panique à la FIFA et à l’UEFA en portant son affaire devant la justice civile ? Le FC Sion, qui attend jeudi une décision du Tribunal arbitral du sport, pourrait être l’autre grand révolutionnaire du sport après Jean-Marc Bosman. Décryptage.
Le FC Sion fait trembler le monde du football. A la base, il s’agit pourtant d’un simple litige comme la FIFA en traite 3500 chaque année. Mais l’affaire a pris une tout autre dimension lorsque le club suisse, sanctionné par l’instance mondiale pour avoir signé six joueurs alors qu’il était frappé d’une interdiction de recruter, s’est tourné vers la justice civile. Exclu en conséquence de la Ligue Europa par l’UEFA, alors qu’il avait gagné sa place en barrages face au Celtic, Sion a saisi le tribunal du canton de Vaud, où siège l’UEFA. Un recours rarissime qui a fait bondir les plus hautes instances. Marco Villiger, directeur des services juridiques de la FIFA, a ainsi une émis la crainte de voir une situation de « chaos ». « Si tout le monde consultait les tribunaux locaux, aucune compétition internationale ne pourrait avoir lieu », s’est-il inquiété. A l’UEFA, Michel Platini est également dans l’embarras. « Si les tribunaux civils prennent le pas, le sport explose! », a-t-il mis en garde sur RTL.
Pourquoi un tel sentiment de panique ? Parce que, comme l’arrêt Bosman en 1995, une affaire a priori anodine pourrait remettre en cause tout le système en place. Généralement, les litiges se règlent devant le Tribunal Arbitral du Sport, une juridiction sportive « autorisée » par l’Etat. Piermarco Zen-Ruffinen, spécialiste du droit du sport, nous en explique le principe. « La juridiction arbitrale a ceci de particulier qu’elle n’est pas publique et qu’il y a des litiges dont on ne veut pas nécessairement que tout le monde soit au courant, dit-il. On prête aussi à cette justice arbitrale le fait qu’on a affaire à des juges spécialisés qui connaissent bien les us et coutumes en la matière ». Pour le monde du sport, le message est clair : « Je veux que ça reste dans la maison du sport. Je ne veux pas que la justice étatique s’en mêle », résume le juriste. Le recours au TAS est usuel. C’est même un « arbitrage obligatoire » : « Si vous voulez faire du sport, joueurs, entraîneur ou club, vous devez vous engager à aller uniquement devant le TAS et à ne pas aller devant la justice étatique. Vous n’avez pas le choix ».
« Le sport n’est pas au-dessus des lois »
L’UEFA, qui ne s’est pas pliée aux mesures de la justice civile suisse, attend une décision finale du TAS… Mais c’est justement sa légitimité qui est au coeur débat. « On a des instances disciplinaires qui sont indépendantes », défend Michel Platini. Un constat largement décrié, notamment par Christian Constantin, le président du FC Sion à l’origine de l’affaire. « Le TAS, pour nous, n’a de tribunal que le nom, dénonce-t-il dans France Football. C’est un instrument dont la FIFA et l’UEFA sont les principales partenaires. Tout est fait pour que le TAS leur donne raison. C’est une pseudo-justice ». C’est d’ailleurs parce qu’il estime n’avoir aucune chance d’avoir gain de cause que le club suisse s’est tourné vers la justice civile et qu’il ne s’arrêtera pas à la décision rendue jeudi. Un avis que n’est pas loin de partager M. Zen-Ruffinen : « Depuis que la FIFA s’est soumise au TAS, ça a déséquilibré le système. Elle a trop de moyens de pression ». Un problème qui réside dans le fonctionnement même du TAS selon lui : « La fédération nomme un arbitre, l’athlète ou le club en nomme un autre. Qui va trancher ? Le président. Et qui nomme le président ? Et bien c’est un président de chambre du tribunal arbitral. Donc il suffit que vous placiez le votre et vous allez gagner à chaque fois 2 à 1 ».
Le football, et le sport en général, peuvent-ils se placer au-dessus des lois ? Clairement, sur le papier, non. Pourtant, c’est ainsi qu’il se comporte aujourd’hui. « Le sport ne supporte pas ou ne veut pas qu’il y ait une intervention de la justice étatique », explique encore Piermarco Zen-Ruffinen. D’ailleurs, il rappelle que « l’organisation du sport, comme l’organisation de toute autre activité dans la société, a une liberté dans la mesure où la loi étatique la lui donne ». Elle ne peut donc, moralement, se soustraire à la justice civile. Le spécialiste s’étonne d’ailleurs de la crainte viscérale de la juridiction étatique qui s’est emparée des fédérations sportives. « Si vous êtes sûr que la juridiction arbitrale fonctionne tout aussi bien, on devrait arriver aux mêmes solutions, avance-t-il. Pourquoi on ne veut pas ? Non seulement on ne veut pas mais on sanctionne ceux qui le font. C’est peut-être qu’on a des intérêts à défendre… ». « Ce sont des méthodes qui ne sont pas vraiment compatibles avec le droit, insiste-t-il. J’exerce un droit, c’est-à-dire celui qui est d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial, c’est un droit qui est garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, et on me dit : ‘tu exiges ça, je te sanctionne’. C’est un peu fort ». Mais les fédérations n’ont pas intérêt à ce que ça change…
Quelles conséquences ?
A long terme, si le FC Sion obtenait gain de cause, les conséquences pourraient être considérables pour le sport. Il faudrait déjà réintégrer les Suisses en Ligue Europa. Un casse-tête pour l’UEFA. Plus grave pour l’instance européenne, Sion fournirait ainsi le mode d’emploi, avec les cours de justice cantonales de Suisse, pour contester le principe du « fair-play financier » (un club dépensant plus qu’il ne gagne pourrait être exclu de la Ligue des champions) qui sera bientôt mis en oeuvre. La menace d’un nouvel arrêt Bosman plane aussi. Au quotidien, les conséquences seraient aussi nombreuses. « Un club qui a un budget de première division, qui est relégué mais qui refuse de descendre ? Que fait-on ? », s’interrogeait ainsi Platini. Pour M. Zen-Ruffinen, « le risque existe ». Mais il n’y voit qu’un inconvénient à court terme. « Le jour où tout le monde sait, sans l’ombre d’un doute, que la justice sportive fonctionne aussi bien que la justice civile, on n’aura pas besoin d’aller devant la justice civile. Si on vous offre toutes les garanties nécessaires, pourquoi vous iriez chercher ailleurs ? », répond-il. La révolution est peut-être en marche.
Professeur de droit à l’Université de Neuchâtel, Piermarco zen-Ruffinen a notamment publié un ouvrage sur les relations entre la justice et le sport en 2002 (« Droit du sport »). Il est aussi avocat et ancien vice-président de la Swiss football League. Père de l’avocat du FC Sion, il n’est aucunement impliqué dans l’affaire du club suisse. Il nous a accordé cet entretien en toute impartialité et transparence.
Dossier réalisé par Anthony PROCUREUR / Eurosport