Le football camerounais se meurt. Faute certainement de cette race de dirigeants qui ont eu une vie sacrifiée tout entière à leurs clubs respectifs et au football. Morts ou vivants, Le Messager ouvre une série sur les dix présidents les plus emblématiques du football camerounais. Martin Omgba Zing, Ferdinand Koungou Edima, Emmanuel Ngassa Happy, Pierre Semengué, Serge Tsemo, Tsopny Kopa, Claude Zoudja, (…), Paul Morand Mbous. Ils avaient un seul souci : faire rayonner leurs équipes respectives et servir le football, loin des considérations mercantiles de nos jours.
A la lisère de soixante ans aujourd’hui, Paul Morand Mbous, ancien identificateur itinérant qui arpentait les sentiers d’Eséka peu après l’indépendance du Cameroun, a bâti sa réputation dans le football. Ses premières amours avec ce sport-roi remontent aux années 69-70 dans le Dragon de Yaoundé où il a été très tôt conseiller. Ce fut le début d’une grande aventure sportive qui allait se poursuivre dans Dynamo club de Douala qui l’a fasciné deux ans plus tard. Sympathisant au départ de cette équipe enthousiaste créée en mi-octobre 1956 au quartier Ndog Bati II sur le même site où l’Union des populations du Cameroun (Upc) avait vu le jour, 8 ans plus tôt (le 10 avril 1948), Paul Morand devient conseiller du président Georges Yemi de 1972 à 1975.
«Ma disponibilité permettra que je sois vice-président du Dr Tonje Tonjé avec droit de succession», raconte nostalgique Paul Morand Mbous qui avoue que Dynamo plus tard connaît une baisse de régime au point d’être menacée de relégation à 9 journées de la fin du championnat. «Tout simplement parce que le président Dr Tonjé Tonjé ne maîtrisait pas le milieu sportif», affirme celui qui achèvera le mandat du président en 1976. Il y avait été désigné au cours d’une réunion de Dynomo tenue au Collège de Joseph Nliba Nguimbous et à laquelle prenaient part tous les dignitaires du club : Dieudonné Ntamack, Joseph Sack, Simon Ngann Yon, Dr Tonjé Tonjé. Devenu président général, Paul Morand Mbous va exploser, la Dynamo avec, après certes un détour en deuxième division en 1977.
Enigmatique et discret
Ceux qui le connaissent vantent ses mérites de dirigeant engagé et passionné de football et de “sa” Dynamo. «Paul Morand Mbous est un grand homme, un grand sportif qui nous considérait tous comme ses enfants. C’est aussi un grand rassembleur. On se permettait aussi beaucoup de choses à côté de lui» témoigne Louison Ndjoga, ancien stoppeur de Dynamo de Douala. Humain. Très humain alors, ses anciens collaborateurs avouent qu’il avait le cœur à la main. «Lorsque l’un de nous avait un problème, quel qu’il était, le président Mbous essayait toujours au moins à hauteur de 50 % de le résoudre», renchérit Louison Ndjoga. Il a ainsi réussi à gagner la confiance de tout son entourage qui lui vouait par la suite un culte.
A l’aveuglette ? Jules Isaac Sinkot, ancien capitaine de Dynamo club de Douala ne le pense pas. «Le président Mbous détient le record de longévité et de succès dans Dynamo. Il était au four et au moulin. Il puisait sa force dans le fait qu’il ne faisait confiance à personne. Il était rusé. Le football amateur étant dur, complexe et ayant beaucoup de tournures, il s’assurait de tout et surveillait tous ceux à qui il confiait des responsabilités», révèle l’ancien Lion, Sinkot. Discret, on le lui reconnaît comme l’une de ses principales caractéristiques. «Il a dirigé Dynamo dans la pure discrétion totale au point qu’on ne savait jamais quel était l’apport des membres influents de l’équipe tels que Clément Obouh Fegue, Dg de la Snec ; Youssoufa Daouda, ministre sous Ahidjo. Et Dieu seul sait qu’ils contribuaient», se souvient Louis Pierre Kovacs Mbeng, entraîneur de Dynamo de 1978 à 1984.
Mystique en plus ? Isaac Sinkot s’en offusque. «C’est trop dire. Le président Mbous a essayé de réunir la grande famille Bassa. Il était obligé de sillonner toute la région où il a eu la chance de rencontrer les gardiens de la tradition qui ne manquaient pas de le bénir d’où sa force. Le président Mbous est quelqu’un qui respecte notre coutume et notre tradition, c’est différent de faire la magie». Au fait, personne de son sillage même pas lui n’accepte le côté mystique de Paul Morand Mbous et de Dynamo club de Douala. «Ce sont les gens qui donnent cette valeur à Dynamo et à son président. Notamment, ceux qui ont toujours voulu savoir d’où venait la force de l’équipe. Mais le président Mbous y a développé un mystère au point que les gens se sont limités à croire que Dynamo faisait la magie et que son président (Mbous) était l’incarnation. Et pourtant, nous n’avions que la foi que les autres n’avaient pas», témoigne Louison Ndjoga qui reconnaît néanmoins qu’étant Africains, on ne saurait nier en bloc le côté mystique, comme ce cas relaté par Kovacs Mbeng : «En route pour un match contre Union de Njombé, nous avions trouvé plus de 15 œufs cassés. Le président Mbous a fait descendre tous les joueurs du car qui a traversé ce tronçon à vide. Les joueurs sont entrés dans la brousse et ont rejoint le car plus loin». Cela ressemble fort bien à Paul Morand dont d’inopinées traversées des aires de jeu chaque fois que Dynamo était menée avaient fini par inquiéter de nombreux spectateurs.
Le prix des efforts
Si Jules Isaac Sinkot affirme que «le président Paul Morand Mbous avait mis beaucoup de moyens dans la Dynamo», il ne trahit là aucun secret de cet ancien acheteur de produits (cacao-café) qui était sous contrat d’exclusivité avec les Sacheries du Cameroun. «J’étais le distributeur exclusif des sacs de jute des Sacheries du Cameroun qui en produisaient 11 millions par an. J’avais 5 francs cfa par sac en dehors de ma marge bénéficiaire quand c’est moi-même qui vendais le sac», relate Paul Morand Mbous qui a englouti presque tout dans la Dynamo de Douala ainsi que le reconnaît Louison Ndjoga : «il mettait tout à notre disposition. Par saison nous avions chacun 3 à 5 paires de chaussures. On ne se plaignait vraiment pas».
Au bout de tous ces efforts et sacrifices, «Paul Morand Mbous n’a malheureusement pas eu le retour de l’ascenseur», regrette Jules Isaac Sinkot dont le souhait n’a pas été de voir le président Mbous accepter de jouer les derniers rôles dans Dynamo et de recevoir des ordres de ceux qu’il a formés. «Il devait rester ce mythe là», fulmine-t-il. Et pourtant, l’intéressé n’en fait pas un drame et ne regrette rien. «On ne regrette pas le sort», aime-t-il à dire. Paul Morand Mbous a sa satisfaction ailleurs. «J’ai donné la joie et l’enthousiasme à mon peuple Bassa à qui j’ai permis de s’épanouir, 19 ans après l’indépendance et à la première sortie protocolaire du premier ministre Paul Biya en 1979», s’en vante le plus heureux des dirigeants sportifs de cette année. Face à Pwd de Bamenda Dynamo club de Douala, remporta la coupe du Cameroun de football. Il se souvient de Félix Tonye Mbock plus que auréolé sur son siège de Minjes après la belle victoire (3-1) de Dynamo. Mais surtout de cette phrase de Ahmadou Ahidjo au moment de lui serrer la main : «M. le président, ces gens là croyaient que quoi ?», non moins piquante que cette autre en 1981 à Garoua, après la victoire de Dynamo sur Union de Douala (2-1) : «M. le président, j’espère cette fois-ci que vos supporters ne feront pas de casses», en souvenir de 1979 où près de 5 000 personnes avaient crée la confusion à Yaoundé.
Cette race de dirigeants se raréfie de nos jours où les gens prennent les équipes pour s’en servir. «A notre époque, se rappelle Mbous, c’était une question d’honneur et de l’image de marque de la tribu parce que les équipes s’identifiaient aux tribus et aux régions». «Peuple» pour parler de Dynamo trouve ici son explication, même si l’homme qui a forgé cette estime n’est aujourd’hui que l’ombre de lui-même. Sa villa inachevée faute de moyens à Ndog Bong Douala n’affiche que quelques tableaux décoratifs, de livres et des albums-photos. Chevalier du mérite camerounais (1994), ce père de quatre enfants n’entend pas quitter cette Dynamo de Douala. Après son retour peu glorieux en 1992 puis son départ quelques années plus tard, Paul Morand Mbous est depuis 2001 le 1er conseiller du président Henri Sack, le fils de l’un de ses meilleurs bras droits de l’époque. Un rôle que certains trouvent ingrat.
Noé Ndjebet Massoussi