A 52 ans, Roger Miller, dit Milla, est ambassadeur itinérant. Mais il n’est jamais loin des terrains de foot ou de ce qui gravite autour. Tout ce qui touche au ballon rond n’est pas étranger au héros du Mondial 1990, le plus illustre des Lions indomptables. Il en parle aujourd’hui comme il marquait des buts hier. Spontanément.
Jeune Afrique/l’intelligent : L’Afrique du Sud va organiser le Mondial 2010 de football. Vous avez appuyé cette candidature. Pourquoi ?
Roger Milla : D’abord parce que les Sud-Africains ont eu l’idée de faire appel à moi. Ils m’ont contacté quand ils étaient en lice pour accueillir la Coupe du monde 2006. J’ai aimé l’idée. Le Cameroun a été le premier pays à disputer un match face aux Bafana Bafana après la fin de l’apartheid. À l’époque, pour nous, Africains, mettre pour la première fois les pieds dans ce pays représentait quelque chose d’extraordinaire. J’en garde un souvenir ému. Nous sommes un certain nombre d’anciens joueurs à avoir soutenu cette candidature sud-africaine, nous avons été reçus et encouragés plusieurs fois par Nelson Mandela…
J.A.I. : Si les Marocains avaient fait appel à vous avant les Sud-Africains, est-ce que vous auriez accepté ?
R.M. : Oui, sans doute, car j’ai aussi beaucoup d’amis au Maroc. Ce pays aurait mérité mieux, mais l’Afrique du Sud a gagné à la régulière, son dossier était bien meilleur.
J.A.I. : Les Marocains ont reproché à Sepp Blatter, le président de la Fédération internationale de football association, la Fifa, d’avoir ouvertement fait campagne pour l’Afrique du Sud…
R.M. : Le vote a été collégial, le Maroc a perdu par 10 voix contre 14. Blatter n’est pas seul en cause. D’ailleurs, les quatre membres africains du comité exécutif ont donné leurs suffrages au Maroc. Il faut arrêter de polémiquer gratuitement. Nos amis marocains avaient un beau projet, mais en Afrique du Sud tout est déjà en place, les infrastructures existent, les stades aussi, et ils sont prêts à accueillir la Coupe du Monde dès demain s’il le faut. C’est ce qui a fait la différence, et rien d’autre.
J.A.I. : Le Cameroun a failli être disqualifié des éliminatoires du Mondial 2006, pour avoir porté une tenue « une pièce » (short + maillot) en janvier, pendant la CAN tunisienne. Avez-vous compris cette sanction ?
R.M. : J’étais en Tunisie pendant la Can 2004. S’il avait fallu, nous étions prêts à aller acheter des maillots dans les souks de Tunis et à les floquer au nom des joueurs, pour échapper à une sanction. Mais nous avions reçu des assurances de la Confédération africaine de football, organisatrice de la compétition, reconnaissant que la tenue était réglementaire. Cela avait dissipé nos doutes. Et la sanction, sur laquelle les instances mondiales sont heureusement revenues, était disproportionnée. Car rien dans les lois du jeu n’interdit à une équipe de jouer dans une tenue « une pièce ».
J.A.I. : Cette affaire a provoqué un grand remue-ménage dans les instances du football camerounais…
R.M. : Je crois que la fédération n’a rien à se reprocher, et ses dirigeants peuvent être fiers du travail qu’ils ont accompli depuis leur nomination. Ils ont été très bons et ont mérité la confiance qu’on a placée en eux. Pour la première fois, ils ont réussi à attirer de gros sponsors autour de l’équipe nationale et à faire venir un équipementier renommé. Je leur tire mon chapeau.
J.A.I. : Pensez-vous que le Cameroun pourra un jour aborder une grande compétition sans être perturbé par des problèmes de primes, d’organisation ou des querelles de personnes ?
R.M. : Il faudrait laisser la fédération gérer son domaine, le football, et arrêter de mélanger les genres en permanence.
J.A.I. : Wilfried Schaeffer, l’entraîneur des Lions indomptables, semble fragilisé par l’accumulation de contre-performances : élimination au 1er tour du Mondial 2002, élimination en quart de finale de la CAN 2004. Peut-il continuer à diriger la sélection ?
R.M. : C’est un Allemand, et moi je fais confiance aux Allemands. Ils n’abandonnent jamais. C’est un très bon entraîneur, et il n’y a pas de raison d’en changer. Trop de manipulateurs – et peut-être surtout parmi les anciens joueurs – gravitent autour du football camerounais et empêchent l’équipe nationale de travailler dans la sérénité.
J.A.I. : Pourrait-on imaginer un Camerounais diriger l’équipe nationale du Cameroun ?
R.M. : Jean-Paul Akono a été sacré champion olympique à Sydney avec le Cameroun. Mais cela ne l’a empêché d’être débarqué. On chasse les Camerounais quand ils font du bon travail. Dans ces conditions, je préfère qu’on fasse appel à des étrangers qu’on laisse en paix à partir du moment où ils font du bon boulot. Tant qu’un Camerounais ne fera pas l’unanimité absolue, on devra s’en remettre à des étrangers.
J.A.I. : Et vous, est-ce que, un jour, vous pourriez devenir sélectionneur ?
R.M. : Non. Je me connais, je suis trop impulsif. Et je connais mes frères camerounais, ça ne pourrait pas coller… Je ne supporterais pas les ingérences dans mon travail. Je préfère rester comme aujourd’hui, à côté des jeunes, les conseiller comme un grand frère, leur faire partager mon expérience.
Propos recueillis par Samy Ghorbal, L’Intelligent