À un mois de la Coupe du monde au Qatar, Rigobert Song, le sélectionneur du Cameroun, est l’objet de critiques venant d’une partie de la presse et de l’opinion publique. Il faut dire que l’ancien défenseur est contesté depuis le jour de sa prise de fonction, en février dernier.
On a déjà vu des sélectionneurs virés juste avant une grande compétition. À titre d’exemple récent, on peut citer l’Espagnol Julen Lopetegui, débarqué de la Roja juste avant le début du dernier Euro. Henryk Kasperczak, lui, avait carrément été écarté en pleine CAN par le Sénégal, en 2008. Cela ne sera pas le cas pour Rigobert Song, mais depuis sa nomination, il est la cible de critiques récurrentes, formulées par des supporters convaincus qu’il n’est pas à sa place sur le banc des Lions indomptables, un endroit sensible au Cameroun. Et sur les réseaux sociaux, comme dans les discussions informelles, certains de ses compatriotes ne se privent pas pour exprimer leur avis sur le sélectionneur et ses compétences.
« Samuel Eto’o l’a désigné surtout parce que Song l’avait soutenu lors de la campagne pour l’élection à la présidence de la fédération. Ils n’ont pourtant jamais été très amis. Ici au Cameroun, il y a des personnes qui pensent que Song n’aurait jamais occupé ce poste s’il ne s’était pas prononcé en faveur d’Eto’o, qui lui a renvoyé l’ascenseur », estime Jacques, un supporter de l’équipe nationale.
L’ancien défenseur de Lens et de Liverpool avait été choisi après que Samuel Eto’o, le président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot), avait obtenu la tête du Portugais Antonio Conceição – un renvoi qui a au passage coûté environ 1,5 million d’euros aux contribuables – contre l’avis du ministre des Sports, Narcisse Mouelle Kombi, lequel souhaitait conserver le technicien lusitanien.
« Rigo est très bon pour motiver les joueurs, car il avait une mentalité de guerrier sur le terrain. Humainement c’est quelqu’un de bien, mais pour le travail tactique, la mise en place d’une séance, il est beaucoup moins à l’aise… » Un ancien international camerounais
La tournée en Corée du Sud a laissé des traces
Un mois plus tard à Blida, les Lions se qualifiaient pour la Coupe du monde en battant l’Algérie (2-1, 0-1 à l’aller), une performance donnant un peu plus de crédit à Eto’o, pas peu fier de son choix. Mais comme tout va très vite en football, et accessoirement au Cameroun, où les affaires de la sélection nationale font partie du débat public, les dernières prestations de la bande à Onana ont réveillé le scepticisme qui avait entouré l’arrivée de Song.
La poussive victoire face au Burundi (1-0) sur le terrain neutre de Dar Es Salam (Tanzanie) en juin dernier, lors des qualifications pour la CAN 2024, avait d’ailleurs provoqué une mémorable intervention – opportunément filmée – d’Eto’o dans le vestiaire. Le Big Boss, équipé d’un micro-cravate, avait froidement recadré les joueurs, pendant que Song fixait avec insistance le bout de ses pompes. Et lors de la récente tournée en Corée du Sud en septembre, le Cameroun s’était fait plier par la terrifiante équipe d’Ouzbékistan (2-0), au terme d’un match complètement raté, avant de perdre face à la sélection locale (1-0).
« Rigobert est très populaire, notamment en raison de son passé de joueur, mais il y a pas mal de gens qui estiment qu’il n’est pas l’homme de la situation, que son passé d’entraîneur (il avait entraîné brièvement la sélection A’, NDLR) ne justifie pas sa présence à ce poste, et il y en a effectivement qui auraient voulu que le Cameroun se présente au Qatar avec un autre coach, ce qui n’arrivera évidemment pas », explique le journaliste Jean-Bruno Tagne, l’ancien directeur de campagne de Samuel Eto’o lors de l’élection à la présidence de la fédération.
Song sera sur le banc camerounais au Qatar, mais Pierre Lechantre n’est pas spécialement étonné que son ancien joueur soit visé par des critiques plus ou moins virulentes. « Le remercier juste avant la Coupe du monde, cela m’aurait semblé très peu probable, mais dans le football, tout peut arriver, y compris au Cameroun : la preuve, on m’avait viré à deux matchs de la fin des qualifs pour la Coupe du monde 2002, alors que nous avions besoin d’un point en deux matchs », ricane l’ancien coach des Lions, champion d’Afrique en 2000.
« Rigo est très bon pour motiver les joueurs, car il avait une mentalité de guerrier sur le terrain. Humainement, c’est quelqu’un de bien, mais pour le travail tactique, la mise en place d’une séance, il est beaucoup moins à l’aise… Ce qui est évident, c’est que le climat autour de la sélection n’est pas hyper serein. Mais ici, on a l’habitude : avant une Coupe du monde ou une CAN, il y a souvent des problèmes. S’il devait se passer quelque chose, cela ne viendrait pas d’Eto’o, mais de bien plus haut. Moi, je pense que Song sautera si la Coupe du monde se passe mal », intervient un ancien international sous couvert d’anonymat.
Eto’o vise la finale
Depuis l’Allemagne, où il réside après y avoir effectué l’essentiel de sa carrière professionnelle (Hanovre, Eintracht Francfort, Mönchengladbach, Kaiserslautern), l’ancien attaquant international Mohammadou Idrissou (39 sélections, 6 buts), réputé pour sa franchise, prend beaucoup moins de pincettes. « Moi, et je ne suis pas le seul, je suis persuadé que c’est Eto’o qui fait les listes, que c’est surtout Sébastien Migné, l’adjoint, qui s’occupe de la partie tactique, de la préparation des séances et que Rigo est là pour motiver les joueurs, mais qu’il ne décide pas grand-chose. Comme Samuel se mêle de tout, autant qu’il aille au bout de sa logique : qu’il entraîne directement l’équipe.
Car si Song est viré à un moment ou à un autre, vous ne pouvez pas mettre à sa place un jeune coach, qui n’aura pas les mains libres. Soit ils choisissent un ancien qui connaît parfaitement le Cameroun et l’Afrique, genre Claude Le Roy, soit Samuel s’occupe de tout. À un moment, il faut être clair » , s’emporte Idrissou. Lors de la publication de la liste pour les matchs en Corée du Sud, les absences de Michaël Ngadeu (La Gantoise, Belgique) et surtout d’André-Franck Zambo Anguissa, auteur d’un début de saison épatant avec Naples, avaient interpellé la presse et les supporters.
Ce dernier avait en effet critiqué la méthode Eto’o après le match contre le Burundi, en déclarant que « le président fait ce qu’il veut, mais nous infliger cette pression n’est pas bénéfique pour la cohésion de l’équipe » . Pour Idrissou, l’absence de ces deux joueurs, justifiée par Song – « ils ont besoin de se reposer » – n’avait pas de sens. « Je me fous de savoir qu’il y a des problèmes personnels entre Eto’o et Zambo Anguissa, pour telle ou telle raison. Quand on prépare une Coupe du monde, et surtout deux mois avant, on prend les meilleurs, c’est tout. Vous avez vu le Brésil ou l’Argentine se priver de leurs meilleurs joueurs, vous ? Pas moi ! »
Si le journaliste Jean-Samuel Biyong (CRTV) se veut plus nuancé sur le tandem Eto’o-Song – « je pense qu’ils se concertent sur la liste des joueurs, mais il est évident que le président a son mot à dire quand on connaît Samuel » -, la réelle influence du sélectionneur est diversement commentée au Cameroun.
Le président de la Fécafoot, qui vise ouvertement la finale de la Coupe du monde « et met une pression très forte sur les joueurs, alors que le Cameroun ne fait pas partie des favoris » , selon Lechantre, n’a pas trouvé en Idrissou, son ancien coéquipier en sélection nationale, un allié de premier plan. « C’est n’importe quoi de dire ça. Vous avez vu le groupe du Cameroun (Brésil, Serbie, Suisse, NDLR) au premier tour ? Cela sera sans doute très difficile d’en sortir, alors la finale… »