Samuel Eto’o a réussi à faire limoger Antonio Conceição, le sélectionneur des Lions indomptables, pourtant soutenu par le ministre des Sports, et à le remplacer par Rigobert Song. Une véritable offense pour le ministre, alors que les coéquipiers d’Aboubakar vont affronter l’Algérie à la fin du mois de mars pour une place en Coupe du monde.
Les amateurs de petites (ou grandes) embrouilles à la camerounaise ne sont jamais déçus. Pendant des années, ils ont été gâtés avec les mémorables affaires de primes, marquées par des menaces de grèves, des palabres nocturnes à n’en plus finir et des valises de billets de banque apportées en urgence par un obscur porte-flingue du gouvernement pour calmer les Lions affamés. Mais le football camerounais a le sens du spectacle et sait se diversifier pour ne jamais tomber dans la routine. Cette fois-ci, pas d’histoire d’argent, du moins en apparence, mais un vrai conflit de mâles à l’ego surdimensionné, avec d’un côté Samuel Eto’o, le nouveau président de la FECAFOOT, et de l’autre Narcisse Mouelle Kombi, le ministre des Sports et de l’Éducation physique. Et dans ce concours du plus « sévèrement burné » , pour reprendre l’expression chère à la marionnette de feu Bernard Tapie, c’est l’ancien attaquant du FC Barcelone et de l’Inter Milan (40 ans, 118 sélections et 56 buts) qui l’a emporté, humiliant au passage son adversaire, obligé d’officialiser en personne le départ de Toni Conceição.
Eto’o sans Conceição
Au Cameroun, comme dans d’autres pays africains, la nomination et le renvoi d’un sélectionneur sont traditionnellement annoncés par le ministère des Sports. Narcisse Mouelle Kombi avait choisi le Portugais en septembre 2019 pour remplacer le Néerlandais Clarence Seedorf, et le ministre n’avait même pas attendu que Seidou Mbombo Njoya, alors président de la fédération, soit rentré d’un déplacement en province pour se faire photographier avec Conceição. Payé 50 000 euros par mois, l’ancien entraîneur de Belenenses (Portugal) et du CFR Cluj (Roumanie), qui a conduit son équipe à la troisième place de la CAN 2021, avait pourtant reçu des assurances du membre du gouvernement juste après la compétition. « Certes, un joueur comme Eric Maxim Choupo-Moting avait déclaré qu’il ne jouerait plus en sélection sous les ordres du Portugais, et cela avait un peu plus renforcé Eto’o dans ses convictions. Mais Kombi voulait conserver le coach, estimant que son bilan était plutôt positif, et que changer, alors que le Cameroun doit affronter deux fois l’Algérie en mars, n’était pas une bonne idée » , explique le journaliste sportif Raphaël Nkoa (CMR-TV).
Sauf que Samuel Eto’o avait une autre idée en tête, consistant à virer Conceição, qu’il n’a jamais apprécié, et installer sur le banc des Lions son vieux complice Rigobert Song. « Eto’o et Song, ça n’a pas toujours été simple : ce sont deux fortes têtes, avec chacun beaucoup d’ego, et quand ils étaient en sélection, il y a eu des conflits, intervient une source proche de la FECAFOOT. Mais Eto’o a toujours respecté Song pour son exemplarité, son esprit de compétiteur. C’est pour cela qu’il a voulu en faire le sélectionneur. Il est convaincu qu’il saura avoir le discours pour motiver les joueurs. Ce n’est pas un hasard s’il a été nommé sélectionneur-manager ». Au Cameroun, où le choix de Song fait débat, certains rappellent utilement que l’ancien défenseur de Metz et Lens avait soutenu Eto’o lorsque celui-ci faisait campagne pour accéder à la présidence de la fédération. « Cette nomination est parfois perçue comme un renvoi d’ascenseur » , résume Nkoa. Le CV de technicien de Song, ancien sélectionneur de l’équipe A’ avant d’être propulsé sur le banc des moins de 23 ans, avait donné l’occasion à Félix Zogo, secrétaire général du ministère de la Communication, de flinguer Eto’o en direct sur une chaîne de télévision. « Tout ce qu’il a touché depuis qu’il a quitté les terrains a été un échec. C’est lui qui avait ramené Seedorf » , une expérience aussi foireuse sportivement que coûteuse financièrement, puisque le Néerlandais palpait 96 000 euros par mois, dont une partie revenait à son adjoint Patrick Kluivert, qui fut l’immense directeur du football que l’on sait au Paris Saint-Germain. « Et pour le nom qui est sorti (Song), rappelez-moi quels sont ses acquis en tant qu’entraîneur ? » , avait ajouté ce taquin de Zogo.
Une opération validée par Paul Biya
Eto’o, trop occupé à activer ses réseaux politiques, n’avait pas jugé opportun de répondre aux flèches mouillées d’acide décochées par Zogo. Quelques jours plus tard, le ministre des Sports avalait son chapeau en annonçant la nomination de Song et le renvoi de Conceição. Si ce dernier a été prié de faire ses valises et Song de préparer sa trousse, ses crayons et ses cahiers, c’est surtout parce que le principe de ce changement a été validé par Paul Biya, le chef de l’État, et sa garde rapprochée. Même s’il n’est pas dans la forme de sa vie, le président de 89 ans a toujours gardé un œil attentif sur la sélection, qui fait partie du patrimoine national. « Tout le monde sait très bien ici que rien n’a pu se faire sans l’accord de Biya. Eto’o a su jouer habilement de son carnet d’adresses, et il a eu gain de cause. En revanche, le ministre a vécu cela comme une humiliation personnelle. Ses relations avec Eto’o n’étaient pas bonnes, cela ne risque pas de s’arranger, suppose un ancien international. Est-ce qu’Eto’o voudra avoir le contrôle de la sélection, comme certains le pensent, et qu’il sera le véritable coach ? Ou se contentera-t-il de donner son avis sur un ou deux aspects tactiques ? Je ne veux préjuger de rien, le plus important est qu’ils agissent dans l’intérêt du football camerounais et de la sélection. »
Rigobert Song sera notamment épaulé par Sébastien Migné, l’ancien sélectionneur du Congo, du Kenya et de la Guinée équatoriale, Augustine Simo et Hamidou Souleymanou, deux anciens Lions, alors que Raymond Kalla, qui a plusieurs fois formé avec « Rigo » en sélection une défense centrale parmi les meilleures d’Afrique, a été bombardé team manager. Tout ce joli monde a signé un contrat de deux ans, éventuellement renouvelable, mais il passera un premier gros test face aux Algériens, les 25 et 29 mars à Douala et Blida. « Tout le monde va jouer gros : Song, mais aussi Eto’o. Et je peux vous assurer que si le Cameroun est éliminé, j’en connais un qui ne manquera pas de rappeler au président de la FECAFOOT quelle est sa part de responsabilité » , ricane un dirigeant de club. Mais à qui peut-il bien penser ?