Le 03 octobre 2014, le président Paul Biya a signé un décret portant création, organisation et fonctionnement du Comité national de préparation des coupes d’Afrique des nations de football 2016 et 2019. Au terme dudit décret, ce sont 17 départements ministériels qui étaient impliqués dans cette vaste machine qui avait pour but d’aboutir au succès des Can 2016 et 2019.
Début 2018, Le Jour a approché plusieurs acteurs impliqués dans l’organisation de la Can 2019 pour connaître des blocages dans l’évolution des travaux. « La Can féminine 2016 et la Can 2019 font partie d’un package. La bonne organisation de l’une conditionnait l’autre, c’est pourquoi le Cameroun a organisé la première compétition en pensant à la seconde », expliquait d’entrée Samuel Zona Nkomo du service de communication du ministère des Sports. Depuis 2014, ce fameux comité a fonctionné à la petite semaine et c’est sur le fil que la Coupe d’Afrique des Nations féminine a pu être organisée au mois de décembre 2016 après un report de deux mois. La Can masculine qui s’annonçait était d’une autre texture et mobilisait d’autres moyens. Chacun a-t-il joué sa partition ?
17 ministères impliqués
Au rang des ministères impliqués, certains avait un rôle central. En amont du processus, se trouvait le Ministère de l’Economie, du plan et de l’Aménagement du Territoire (Minepat). « Notre rôle est de rechercher les financements de monter des dossiers pour pouvoir trouver de l’argent pour la construction des infrastructures relatives à la Can, l’exécution des travaux et l’utilisation de l’argent ne nous concerne pas », nous indiquait Alex Mimbang, le chef de la division communication au Minepat. Le Minepat a-t-il donc fait le job dans les délais ? « Mais oui répondait Mimbang, vous n’avez qu’à voir quand les contrats ont étés signés » .Le 02 novembre 2016, Louis Paul Motaze, alors ministre de l’Economie et le vice-président d’Eximbank-Turk, Alaaddin Metin ont paraphé un accord de financement de 114 milliards pour la complexe du complexe de Japoma, dans la banlieue de Douala dont le coût total des travaux est estimé à 140 milliards de Fcfa. Le 17 août 2016, le Minepat avait déjà contracté, au nom du Cameroun, un autre prêt de 139 milliards auprès de la banque italienne Intesa Paolo pour la construction du complexe d’Olembe à Yaoundé chiffré à 163 milliards de Fcfa.
Si on prend en compte le fait que la Can 2019 a été attribuée au Cameroun en Septembre 2014 et que le Comité susmentionné a été créée un mois plus tard, le Minepat a donc pris deux ans pour mobiliser les quelque 252 milliards dont le pays avait besoin pour construire ces deux grands stades. « Ce n’est pas trop quand on considère qu’il faut convaincre les partenaires et bien ficeler les dossiers », se défendait Alex Mimbang. Pour le cas spécifique des grands stades, les financements turcs et italiens étaient dont disponibles depuis Septembre 2016 mais les travaux n’ont démarré que plusieurs mois après. Pourquoi ? « Il fallait trouver la contrepartie camerounaise. Pour le cas du stade d’Olembe par exemple elle était de 15% et les italiens exigeaient cet argent pour commencer les travaux ; ceci a quelque peu retardé le début effectif des travaux », expliquait Alex Mimbang.
La contrepartie camerounaise c’est de l’argent frais à verser au projet. Et c’est l’affaire du ministère des finances. Ici aussi, on se défend d’avoir agi dans les délais. Les 07 septembre et 27 décembre 2016, Alamine Ousmane Mey, alors ministre des finances, a signé deux conventions de prêt avec BGFI Cameroun (24 milliards) et Uba Cameroun (24,5 milliards) pour boucler le financement de la construction de ces infrastructures majeures. « Cet argent va surtout servir à l’indemnisation. Mais comment expliquer que depuis qu’il est disponible, les indemnisations ne sont pas encore payées pour le stade dOlembe par exemple », s’indignait un cadre du Minfi. « Il faut compter avec cette mentalité bien camerounaise qui veut que personne ne fait avancer un dossier tant qu’il n’y voit pas son intérêt, le ministère des finances est là pour contrôler et s’assurer que l’argent est effectivement utilisé à ce à quoi il est destiné », ajoutait- il.
Bidoung hors-jeu
A la vérité, si le pays n’a pas brillé par une grande célérité pour mobiliser les financements, il a encore traîné la patte pour se mettre à l’ouvrage même si au ministère des sports on tente de relativiser cet écart. Outre les deux grands stades, plusieurs marchés étaient prévus dans divers domaines concernant d’autres infrastructures sportives, hôtelières et de transport. Les ministères comme ceux du tourisme, de l’urbanisme et habitat, des travaux publics et des transports étaient fortement impliqués.Le portail de la diaspora camerounaise en Belgique. Ils ont transmis leurs dossiers à la présidence mais là encore les contrats ont mis une éternité à être signés. Les entreprises auxquelles étaient attribués ces marchés ne pouvaient pas engager les travaux sans signer ces contrats à partir desquels elles pouvaient prétendre à des avances ou des décomptes.
L’entreprise canadienne « Corporation Commerciale Canadienne » (Ccc) par exemple, chargée de la réhabilitation du stade de la Réunification et de son annexe, qui a son financement propre, a longtemps attendu la contractualisation pour démarrer les travaux. Lors d’une conférence de presse organisée le 18 juillet 2017, le ministre des sports, Bidoung Mkpatt, indiquait que « La contractualisation avec les entreprises adjudicataires était en cours ». S’il est, par décret présidentiel daté du 11 août 2017, le président du Comité d’organisation (Cocan), Bidoung était loin d’avoir les pleins pouvoirs dans cette affaire. « On s’est dit qu’il s’est suffisamment fait de l’argent lors de la Can féminine 2016 et on la mis à l’écart. Tout se décidait à la présidence de la République », nous indique un cadre du ministère de la Communication. « La présidence a freiné plusieurs dossiers transmis par les ministères concernés. Beaucoup accusent le ministère des marchés publics mais au fond tout passait par la présidence pour validation », précise notre source.
« Dans le dossier Can 2019, le ministère des marchés publics a plus subit les décisions des cadres de la présidence », appuie un autre cadre en service au Minmap. Un exemple résume cette lourdeur. « Les appels d’offres pour la rénovation des Hôtels Mont Febe à Yaoundé et Sawa à Douala ont longtemps traîné à la présidence de la République », souligne un entrepreneur engagé sur l’un des chantiers de la Can. Le 08 août 2017, le Secrétaire Général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh a à la surprise générale attribué un lot de rénovation de 04 stades entraînement et de construction d’un hôtel quatre étoiles à Garoua pour un coût total de 26 milliards de Fcfa à Prime Protomac.
Le style Biya
Prime Protomac c’est l’entreprise américaine dirigée par l’américain d’origine camerounaise Ben Modo. Elle a lamentablement échoué dans une tentative de construction de 05 stades équipés en gazon synthétique pour la Fécafoot. Comment a-telle pu ainsi rebondir pour décrocher ce juteux contrat ? « C’est surtout grâce à la diplomatie américaine », soutient son promoteur. camer.be. « C’est faux, rétorque un entrepreneur qui a déposé une offre pour ce marché. Des gens à la présidence avaient déjà fait ce choix, nous n’étions là que pour faire le nombre », ironise-t-il. « C’était une occasion unique pour les cadres de la présidence de s’en mettre plein les poches. Beaucoup pensaient que c’était leur dernier coup avant le départ du président Biya et ils ne voulaient pas le manquer », glisse une source proche du palais d’Etoudi.
Tout ramène donc à la forteresse d’Etoudi. Outre les marchés qu’elle a tardé à valider, l’institution a pris tout son temps pour créer le fameux Comité d’organisation (Cocan) chargé de l’organisation pratique de la compétition. « Au niveau du ministère des sports le document était prêt depuis longtemps, il a été transmis à la présidence qui elle aussi attendait l’approbation de la Caf », souligne Samuel Zona. Là encore, le président Biya a pris tout son temps et ses services n’ont transmis le projet de texte qu’il y a quelques mois. Les scribes de Paul Biya aiment à le présenter comme le maître des horloges. L’info claire et nette. Cette curieuse divination opère efficacement quand il s’agit d’abreuver un peuple camerounais asservi de prêches ineptes. La donne est toute autre quand on se projette à l’international où Paul Biya ne peut se prévaloir du même loisir de l’indolence et de l’apathie. Dans la grande arène mondiale, ces tares se payent cash. Le président a donc passé la commande, aura-t-il pour une fois la décence de régler la note ?