Depuis l’annonce officielle par le président de la Confédération africaine de football du retrait de la CAN 2019 à leur pays, beaucoup de Camerounais n’ont pas encore repris leurs esprits, certains croyant encore au miracle. Tristesse, désolation, trahison, honte, humiliation, injustice sont quelques mots qui reviennent le plus souvent. Même si la plupart des réactions sont à la condamnation sans réserve de la CAF, d’autres avis sont plus nuancés.
Par Jean Marie NZEKOUE, éditorialiste
Avec le recul, on se rend compte que le débat sur l’organisation de cette compétition aura été de bout en bout un vaste théâtre d’ombres, de non-dits où certains acteurs avançaient le visage masqué. Au-delà du verdict final, les circonstances ayant entouré le retrait de la compétition au Cameroun sont de nature à susciter quelques questions embarrassantes concernant les principaux acteurs de ce qui apparait de plus en plus comme une tragi-comédie.
La CAF a-t-il joué franc jeu ?
Dans son communiqué, le comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF) fonde son argumentaire sur les rapports successifs des différentes missions d’inspection concernant l’état d’avancement des chantiers et l’environnement sécuritaire. Dans l’un ou l’autre cas, il relève que « toutes les conditions de conformité n’ont pas été respectées ». Il constate par ailleurs un « écart existant entre les exigences et obligations du Cahier des charges de la CAN et la réalité du terrain » et rejette toute possibilité de report avant de trancher : la prochaine édition de la CAN 2019 ne se tiendra pas au Cameroun. Apparemment, les arguments avancés semblent pertinents compte tenu des retards enregistrés sur certains chantiers. Mais il aurait été plus objectif de reconnaitre que certains chantiers avancent, que le Cameroun dispose déjà de 3 stades fonctionnels (Yaoundé, Bafoussam, Limbe) et deux grandes enceintes en voie d’achèvement (Olembe et Japoma).
On peut aussi s’interroger sur la duplicité d’un exécutif adepte du double langage. Reçu récemment en audience à la Présidence de la République, le président de la CAF a exclu tout plan B pour l’organisation de la CAN 2019. Le temps d’endormir davantage la vigilance des autorités camerounaises. Pourtant, une autre déclaration d’Ahmad selon laquelle la décision définitive de la CAF interviendra après l’élection présidentielle au Cameroun pouvait déjà leur mettre la puce à l’oreille. Par ailleurs, la décision de retrait qui intervient six mois (au lieu de trois) avant le délai butoir fixé au mois de mars amène à s’interroger sur les vrais raisons derrière cette précipitation.
On aura remarqué que le communiqué de la CAF ne dit pas clairement quelles sont les mesures concrètes en vue de compenser l’énorme préjudice subi par l’Etat du Cameroun et les opérateurs économiques sur le double plan financier et moral. Tout comme il n’indique pas la compétition dont hérite désormais le Cameroun.
Le Cameroun a-t-il su jouer sa partition ?
Le Cameroun en tant que pays organisateur, avait pour mission d’assurer une préparation optimale de la compétition à travers la réalisation de nombreuses infrastructures : stades, terrains d’entrainement, routes, hôtels, hôpitaux, transport, télécommunications, etc. Les principaux chantiers prévus par le cahier des charges ont été lancés. Certains sont achevés et d’autres en voie. Mais pays des Lions a eu tort de se focaliser uniquement sur les infrastructures sportives. Au moment où s’effectue la pose de la toiture aux stades d’Olembé et de Japoma, les voies d’accès à ces joyaux sont dans un état déplorable. Les voiries urbaines des villes d’accueil sont truffées de nids de poule, notamment à Bafoussam, Yaoundé et Douala. On sait pourtant que l’organisation d’un événement de cette envergure est vouée à l’échec en l’absence d’un système de transport public de masse (bus rapides, train urbain, tramway, métro…) Certains pays comme la Côte d’ivoire, le Sénégal et le Maroc l’ont compris et se sont déjà engagés dans cette voie. Ayant déjà engagé environ 1000 milliards de dépenses dans d’autres secteurs, le Cameroun ne perd rien à suivre leur exemple en s’investissant dans des projets favorisant la mobilité urbaine et interurbaine.
Intervenue seulement en août 2017, la création du Comité d’Organisation de la Coupe d’Afrique des Nations 2019 (COCCAN 2019) et la mise en place par le ministre des sports des commissions pléthoriques a davantage complexifié la situation d’autant plus que la multiplication des interlocuteurs administratifs a créé des goulots d’étranglement notamment au niveau de la passation des marchés ou du désintéressement des entreprises adjudicataires. Autant de choses qui font dire que malgré des efforts visibles, le Cameroun n’a pas réussi à tenir tous ses engagements. Ce n’est pas la faute à quelqu’un d’autre mais aux personnes en charge du dossier.
Quid des « pays amis » ?
Depuis l’arrivée d’un nouvel exécutif à la tête de la CAF, on soupçonnait son président de rouler pour le royaume chérifien dont le soutien aurait été décisif pour son élection-surprise. Les multiples sorties fracassantes de l’intéressé laissant croire que « le Cameroun ne sera jamais prêt » ont laissé croire qu’il avait une autre idée derrière la tête. Pour taire les rumeurs persistantes au sujet d’une éventuelle relocalisation au Maroc, le président de la fédération de football de ce pays avait déclaré la main sur le cœur : « il n’y a qu’un seul pays qui a été désigné pour abriter la Can 2019 et c’est bel et bien le Cameroun » avant d’annoncer son soutien à ce « pays frère » pour que la compétition continentale se déroule dans les meilleures conditions. Ces assurances n’étaient donc que de la poudre aux yeux. Le Maroc qui possède de nombreuses entreprises au Cameroun dont 4 banques commerciales n’a donc pas tenu parole puisqu’il est un candidat sérieux pour la CAN 2019. La décision de retrait qui aurait été prise à l’unanimité laisse supposer que le Cameroun n’avait aucun ami au sein du comité exécutif. Ce qui est bien grave pour notre diplomatie. Cela prouve une fois de plus que les Etats n’ont pas d’amis mais des intérêts à défendre.
Lions : une qualification hypothéquée ?
Avec son statut de pays organisateur, le Cameroun était qualifié d’office pour la CAN 2019. On peut comprendre la légèreté et le laxisme avec lesquels se sont disputés les matchs contre les Comores ou le Malawi. Même la récente défaite face au Maroc n’a inquiété personne puisque la qualification était acquise. Malheureusement, la donne a changé avec le retrait de la CAN au Cameroun. Deuxièmes désormais dans leur groupe qualificatif, les Lions indomptables doivent batailler dur pour se repositionner et arracher leur ticket. Sinon, le Cameroun risque de perdre à la fois l’organisation et la participation.
Can 2021 au Cameroun. Quelle garantie ?
Autant le communiqué rendu public par le président de la CAF précise les causes du retrait de la Can 2019 au Cameroun, autant il reste muet pour la suite de l’affaire. Se contenter d’affirmer que « le comité exécutif s’engage à accompagner le Cameroun dans l’organisation d’une autre Can » ne veut absolument pas dire que l’édition de 2021 déjà attribuée à la Côte d’Ivoire lui sera retirée au profit du Cameroun. En l’absence de garantie solide sur une base contractuelle, le Cameroun aurait tort d’accorder foi aux nouvelles promesses de la part d’une institution dont le président n’à jamais respecté les précédentes paroles données. Avant de prendre acte de la décision de la CAF, la partie camerounaise serait en droit d’exiger par exemple un engagement écrit et paraphé par tous les membres du comité exécutif de la CAF. A lire ce qui s’écrit dans les réseaux sociaux, la réaction des autorités ivoiriennes est imprévisible. Les promesses diplomatiques n’engagent que ceux qui y croient.
Incontestablement, le retrait de la CAN 2019 au Cameroun est un coup dur dont on n’a pas encore mesuré suffisamment les multiples répercussions. Mais avant de crier à l’injustice, au complot ou à la trahison, il semble plus indiqué de se regarder dans la glace en se posant la question essentielle : qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Car à voir la manière dont certaines personnalités se sont approprié de cette compétition au point de vouloir la privatiser, il est urgent de faire un audit détaillé des préparatifs pour voir ce qui a plombé la machine. Si nous voulons organiser une autre CAN, il faut tirer toutes les leçons qui s’imposent. En sortant par exemple l’organisation des griffes de l’administration publique pour la confier aux professionnels de l’événementiel. Il est évident que si le Cameroun n’a pas pu s’apprêter en 4 ans (2014-2018) ce n’est pas en 2 ans qu’il pourrait le faire, en l’état actuel des choses. Les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Jean Marie NZEKOUE, éditorialiste, auteur de « L’Aventure mondiale du football africain » (2010)