Il a été de ceux qui ont transformé le poste de défenseur central des Lions Indomptables. La paire qu’il a formé pendant plus de huit ans avec Rigobert Song a tenu en haleine les meilleures attaquants du continent africain. Très discret depuis sa retraite sportive, le double champion d’Afrique 2000 et 2002 fait un diagnostic de la situation des Lions Indomptables et fait des propositions pour un avenir meilleur. Il a cependant fallu du doigté pour le convaincre de se confier. Entretien vérité avec le leader charismatique « Baresi ».
Vous êtes un ancien Lion Indomptable des années 2000, avec tout ce que vous avez remporté comme titres. Quelle appréciation faites-vous de la prestation des Lions Indomptables à la dernière Coupe du Monde ?
Quand on me pose certaines questions sur le football camerounais, ça me fait rigoler. Ce n’est pas aujourd’hui que le football camerounais va mal. Ça date de longtemps. Les défaites récentes font que les gens se rendent compte que le football va mal. A l’époque, les victoires masquaient les tares du football camerounais. Aujourd’hui, le mal est visible et tout le monde le voit. Il y a des choses à faire et beaucoup à faire d’ailleurs pour que notre football puisse aller de l’avant.
Que faut-il, selon vous, faire pour que ce football camerounais se relève ?
Il y a beaucoup de choses, sur le plan administratif, de l’organisation et techniquement. Tout le monde se focalise sur l’équipe nationale en oubliant que l’équipe nationale commence par le football de base, le football des jeunes à organiser. C’est le socle. Il faut bien se demander par qui va-t-on remplacer ceux qui jouent à l’équipe nationale aujourd’hui. Il va falloir reconstruire par le football des jeunes sans avoir forcément besoin que les résultats suivent immédiatement comme avant. Il faut commencer par cette base et se dire qu’on se donne quatre voire six ans pour que ce football puisse retrouver son niveau d’hier.
Quand vous avez regardé les Lions jouer au Brésil, comment vous êtes-vous senti ?
J’ai eu très mal. On a été déçu. Mais, il ne faut pas lancer la pierre aux joueurs. Ce n’est pas que je les dédouane complètement. Ils ont leur part de responsabilité aussi, parce que c’est eux qui sont sur le terrain. Mais, les premiers responsables de cette situation, ce sont les dirigeants, ceux qui dirigent le football camerounais. Vous ne pouvez pas me dire qu’une équipe se qualifie sept à huit mois avant la compétition et pendant tout ce temps on ne parvient pas à discuter pour arrêter les différentes primes. Et on attend la veille de la compétition pour évoquer la question des primes. Cette affaire des primes a suffisamment affecté les joueurs et je pense que ce sont les dirigeants qui sont les premiers responsables de ce qui est arrivé en Coupe du Monde.
A la suite de cette débâcle des Lions, le chef de l’Etat a demandé qu’on lui fasse la lumière et des propositions pour la relance du football camerounais ; Avez-vous été approché pour cela ?
C’est le premier supporter des Lions. C’est un monsieur qu’il faut féliciter, parce que même à notre époque il était toujours présent. Et avant que les joueurs ne partent c’est encore le Gouvernement qui est intervenu pour que les joueurs partent au Brésil. Il est de son droit de demander des comptes, parce que l’image qu’on a laissée n’a pas été bonne et c’est notre pays qui a été mal vu de par le monde, qui a vu ce qui s’est passé.
Le problème est-il celui des clans, des dirigeants ou de l’environnement de cette équipe ?
J’entends dire que le championnat camerounais est professionnel. Je dis non. Et ces dirigeants ont à faire à des joueurs qui sont dans un environnement professionnel dans de grands clubs, qui voient les choses autrement. Et lorsqu’ils se retrouvent dans cet amateurisme, ils sont gênés. En 2000 ou 2002, nous avions encore cet amour pour le pays. Rien que chanter l’hymne nationale de notre pays, nous ajoutait un plus. Je sais d’où je viens, parce que j’ai d’abord joué au pays et je pouvais m’accommoder à cet amateurisme. Aujourd’hui, c’est un peu différent, parce qu’il y en a qui n’ont pas joué au pays et une fois arrivé ici, ils trouvent que rien n’a changé. On ne peut pas continuer comme ça. Il faut que les gens qui dirigent ce football changent pour qu’on aille de l’avant.
Qu’est-ce qui faisait la force des joueurs de votre époque, qui ont gagné deux Coupes d’Afrique et finalistes de la Coupe des Confédérations 2003 ?
Si je prends mon cas particulier, je dois dire qu’il y avait de grands talents à l’époque. Et quand on est appelé à jouer pour son pays, on essaye d’oublier tous les problèmes personnels pour donner le maximum de soi. Je dirais aussi qu’à l’époque, beaucoup parmi nous jouaient ici au pays avant d’être appelés en équipe nationale. Ce qui est le contraire aujourd’hui. Nous avons joué le football au quartier d’abord avant de jouer au championnat et certains stades faisaient 15 à 20 000 spectateurs pour un match. Et quand vous regardez le championnat d’aujourd’hui, vous voyez des matchs avec 200 spectateurs au stade. Je pense qu’il y a beaucoup à faire pour retrouver le football d’antan.
Depuis que vous avez quitté l’équipe nationale, avez-vous gardé des contacts dans cette sélection ?
Je n’ai pas d’ennemi. Même quand je jouais. Je suis ami avec tous ceux qui ont joué avec moi, les aînés aussi. On s’appelle constamment. Je suis toujours en contact avec tous ces joueurs.
S’il faut trouver un médicament pour guérir ce grand malade qu’est le football camerounais, que proposeriez-vous ?
J’ai eu honte pour mon pays de voir ce que produisaient les joueurs en Coupe du Monde. Peut-être que les joueurs faisaient des efforts et ça ne donnait rien. Au regard de l’environnement de cet équipe, il y a beaucoup à faire. Il faut commencer par le football de base. Il faut mettre sur pied des projets à long terme.
Pour revenir à ce qui s’est passé avant la Coupe du Monde, les joueurs ont refusé de prendre le drapeau. Comment avez-vous perçu ça ?
Je n’étais pas au Cameroun. Et chacun dit ce qu’il pense. Mais, personnellement, je ne refuserais pas de prendre le drapeau de mon pays. Je ne veux pas rentrer dans ce débat, parce que je ne sais pas ce qui a précédé cela. Je n’aime pas dire des choses que je ne connais pas.
Que devient Raymond Kalla aujourd’hui après le football ?
Je suis resté la même personne. Je suis là. Je ne connais que le football. Je ne peux pas vous dire que je suis médecin. Aujourd’hui, je fais dans le management. Et il y a quelques années, j’ai passé mes diplômes d’entraîneur de football.
Et pourquoi n’entraînez-vous pas ?
Pour le moment, je prends un peu de recul pour deux ou trois ans encore. Entraîner nécessite du temps. Pour le moment, je passe du temps avec ma famille.
Quel est votre avis sur la débat qui a cours où on dit qu’il faut laisser le football être géré par les footballeurs ?
Le football pas seulement aux footballeurs. Vous voyez que dans notre championnat, ce sont les présidents de clubs qui souffrent en mettant de leur argent sans rien avoir en retour. C’est vrai que certains parmi nous ont été en Europe et ont du vécu. Et donc, il faut les associer.
Mais, ces anciens footballeurs sont divisés avec une multitude d’associations et évoluent en rangs dispersés. Quelle est la position de Raymond Kalla à ce sujet ?
Je ne vois pas pourquoi on devrait se batailler entre nous. Il y a un syndicat de footballeurs qui existe où il faut adhérer pour aller tous dans la même direction pour discuter et sauver notre football. Qu’on arrête de se lancer les pierres.
Seriez-vous prêt si on vous sollicitait pour apporter votre expertise pour relever ce football sur le plan technique ou administratif ?
Je dois vous dire que le Cameroun m’a beaucoup apporté et tout donné. J’ai eu la chance de jouer dans cette équipe nationale et d’apporter à mon pays des lauriers. J’ai pu signer des contrats à l’étranger pour avoir joué avec cette équipe nationale. Si aujourd’hui je suis appelé à rendre tout ce que j’ai reçu de ce pays, donner aussi la possibilité aux jeunes qui ont choisi le football d’avancer, je ne vais pas réfléchir.
Quels conseils donnez-vous aux jeunes qui veulent progresser dans le football ?
Le métier de footballeur est très difficile. Il faut des sacrifices énormes. Etant ici au pays, j’ai tellement galéré ; j’habitais Bonabéri et j’allais à pied m’entraîner à la Base Elf avec espoir d’avoir 50F à la fin de l’entraînement. Parfois les dirigeants ne donnaient pas ces 50F et j’étais obligé de retourner à pied avec toute la fatigue et sans être sûr de trouver à manger à la maison. Il fallait se sacrifier. Je n’allais pas en Boîte de nuit, je n’avais pas de « petites », comme les jeunes footballeurs d’aujourd’hui le font. Tout cela a payé, parce que j’ai eu la chance de jouer en Europe. Et aujourd’hui, je peux sortir quand je veux, aller où je veux, m’amuser quand je veux, faire ce que je veux parce que je n’ai pas fait cela étant jeune et j’ai des possibilités pour le faire. Je demande aux jeunes de ne pas mettre dans leur esprit l’argent quand on veut jouer au football. Celui qui le fait ne réussira pas. Sauf qu’en se sacrifiant, il faut aussi savoir que dans le football, il y a aussi le facteur chance, parce qu’on peut être bon sans réussir, être mauvais et avoir la chance d’évoluer. La meilleure des choses est de beaucoup travailler aux entraînements, être discipliné et avoir une bonne hygiène de vie.
Propos recueillis par Achille Chountsa