[…]Un jour d’octobre, « le doyen » des membres du Comité Exécutif entre dans mon bureau. Ondoua François veut «une avance d’argent à retenir sur ses jetons de présence aux prochaines sessions du Comité Exécutif ou de l’Assemblée générale ». Je suis halluciné. Où est-il allé chercher l’idée qu’on puisse se faire prépayer des frais de sessions qui ne sont même pas encore envisagées, quoique statutaires ? Je lui explique mon impuissance à accéder à sa demande et lui propose, si nécessaire, de financer de ma poche ses soins médicaux. Que ne ferais-je pour « ménager» un élu !
A ma grande surprise, sa réaction est fulgurante. Lui qui tout à l’heure était à peine audible, retrouve d’un coup son tonus pour me dire ce qu’il pense du Directeur Général que je crois être.
-Tu me prends pour un mendiant ? J’ai consacré toute ma vie au football. Je me suis ruiné. J’en suis tombé malade. Et aujourd’hui un enfant de rien du tout vient m’expliquer que je ne dois pas avoir des prétentions sur ce qui m’est dû ? Je le ferai savoir au Comité Exécutif ». Je suis estomaqué par cette diatribe aussi imprévisible qu’injustifiée. Le doyen est saisi de logorrhée.
– Le Blanc qui était ici comblait tous mes désirs, et toi, qui n’as même pas l’âge de mon fils, tu m’opposes les règlements ! Qui donc a rédigé ces textes si ce n’est moi ? Je ne veux plus de ton argent. Si je viens à mourir, je ne veux pas de représentant de la Fécafoot à mes obsèques. Ni d’oraison funèbre. Ni de fleurs. Ni d’hommage. Ni… (Il étouffe). Rien ! ».
Ondoua François est comme transfiguré. Le temps se couvre. Mon bureau devient morphinique. Puis peu à peu « le doyen », retrouve son calme et ses esprits ; il se lève et sort. Son visage est raviné […].
[…]Le premier clash frontal avec un élu, je le vis le 07 octobre 2006, un mois à peine, après mon entrée en fonction. C’est le jour du match Cameroun – Guinée Equatoriale des éliminatoires couplées pour la coupe d’Afrique des nations et la coupe du monde 2006. Une spécificité camerounaise veut que pour les rencontres internationales, la Fécafoot finance l’émission des billets d’accès au stade, et les mette à la disposition du ministère des sports pour leur vente.
Pour sa part, le ministère des Sports émet des cartons d’invitation de la loge présidentielle et les tribunes d’honneur. En tant qu’organisatrice des événements, il coule pratiquement de source que les instances dirigeantes de la Fécafoot devraient être les premières bénéficiaires de ces invitations. Au Ministère des Sports on a une toute autre lecture de cette évidence.
La plupart du temps, les recettes sont retenues par la tutelle, sous des prétextes qui ne resurgissent qu’à l’occasion des matches internationaux. Ils traduisent cependant à suffisance la mauvaise foi qui caractérise les rapports entre les deux institutions. Comment expliquer que l’on n’attende que la survenue d’une rencontre internationale pour songer à réparer le véhicule de service du sélectionneur national ou à acquitter la facture de consommation de l’eau servant à l’arrosage de la pelouse ?
J’use de tonnes de diplomatie pour faire plier son Secrétaire Général, Amadou Paul, et obtiens douze billets pour la loge présidentielle. J’ai beau lui expliquer que les membres du comité exécutif sont trente et un, il reste inflexible, arguant que les membres du Gouvernement sont plus nombreux et prioritaires. J’achète alors (eh oui !), pour un million sept cent soixante quinze mille francs, des billets destinés aux joueurs de la sélection nationale et à leurs épouses, aux encadreurs des Lions indomptables, aux administrateurs et aux personnels de la Fécafoot. Je me retrouve en train de procéder à des arbitrages pour ne pas susciter de frustrations chez les administrateurs : les douze billets de la loge présidentielle pour le président et ses six vices et, à tout hasard, aux six premiers membres du Comité Exécutif qui se présenteront à mon bureau. Nul n’étant tenu à l’impossible, les autres devront se résoudre à occuper des places dans les tribunes d’honneur […].
[…]Je décide de donner une allure de neuf à ce cadre que j’occupe tout de même onze heures sur vingt quatre dans la journée. Je change le tapis au sol, à six cent mille francs. Je fais capitonner les portes à deux cent cinquante mille francs. J’appelle un électricien qui redonne vie à la climatisation, pour cent vingt mille francs. J’achète une table de bureau soldée à un million quatre cent mille francs. Je fais refaire les rideaux et en fait poser de nouveaux dans tous les bureaux du siège exposés au soleil, à hauteur de deux millions de francs. Voilà la dépense qui me vaut le défilé des administrateurs de la Fécafoot, alertés par des journalistes qui vocifèrent contre mon goût effréné du luxe et mes acquisitions dispendieuses. Ils évaluent les dépenses à vingt millions de francs.
La palme de la sournoiserie et du double langage revient à Essomba Eyenga. Venu se rendre compte par lui-même de ce bureau cossu tant décrié par la presse, il s’avouera déçu par le tintamarre. Que ne sera ma surprise, qu’au cours du comité du 18 décembre 2006, où l’on discute du contentieux des interpoules 2006, il qualifie mon bureau de « sur équipé » […].
[…]Le 15 janvier 2007, se réunit la commission de relecture des « Statuts standard de la Fifa ». Il s’agit de conformer les statuts actuels de la Fécafoot à ceux de l’ensemble des pays membres de la Fifa, afin que de Papouasie en Malaisie, des Honduras au Qatar, tous les satellites de la galaxie Fifa soient gouvernés par les mêmes codes formatés par les experts de Zürich. Abbo Mohammadou est désigné par Atangana Mballa pour présider les travaux.
Au bout d’une heure de séance, il fait circuler une feuille devant les membres de la commission qui y apposent noms et signature. Lorsqu’elle me parvient, je lis devant la colonne des noms : cent cinquante mille francs, au titre des frais de session. J’appelle l’attention de l’élu sur le fait que la décision qui a créé la commission ne lui a pas accordé de chapitre financier. La réponse de mon interlocuteur fuse comme un boulet. Brûlante et dévastatrice :
« Pour qui vous prenez vous pour me le rappeler ? Est-ce votre argent ? Vous allez le débloquer sinon j’arrête les travaux et je m’en vais ! ».
Abbo Mohammadou est igné jusqu’aux orteils. Il déverse toute l’aigreur de son cœur sur moi ; il évoque l’incident du billet du match ; il rappelle celui du billet d’avion. Il est plus que jamais convaincu que je lui en veux personnellement.[…]
Un livre de Jean-Lambert NANG, 245 pages, Editions INTER PRESS Yaoundé, 2009.