Le football camerounais est malade. Une vérité de Lapalisse. Après la enième élimination d’une de nos sélections nationales, en l’occurrence les juniors, en phase finale de la coupe d’Afrique des nations 2007 au Congo, le blocage actuel du championnat et la démission en catastrophe de l’entraîneur national, les réactions fusent de partout, plus ou moins salées, qui condamnent sans ambages les responsables de la Fecafoot et les pouvoirs publics.
Une situation grave dont il faut trouver rapidement des solutions efficaces pour notre sport-roi.
L’une de ces réactions est celle du Prince E. Ngassa Happi, ex-Administrateur de la Fecafoot de 1975 à 1980, dirigeant charismatique du football camerounais depuis 1967, double champion d’Afrique des clubs avec l’USD en 1979 et 1981, aujourd’hui président du Comité Supérieur des Sages de l’Union Sportive de Douala. Avec son franc parlé, il déballe ses vérités, mais aussi fait des propositions musclées qui ne vont pas plaire à tout le monde.
Nostalgie d’une époque glorieuse
“Empereur” Ngassa Happi, en votre temps, le football national se portait très bien; mais aujourd’hui, ce football, malgré son bon classement FIFA, sombre de jour en jour au niveau national. Comment pouvez-vous expliquer cette situation ?
Il ne faut pas confondre classement mondial et situation nationale. A notre époque, nous avions la conviction, la détermination et le patriotisme à tous les niveaux.Et je crois sincèrement que la différence entre nous et aujourd’hui est qu’à l’époque, le gouvernement, le Chef de l’Etat, le ministre des sports, les dirigeants des clubs, les joueurs, les entraîneurs, tous avaient une seule ambition, celle de relever les clubs puis la sélection nationale, sur les plans national et africain, au sommet. Il faut souligner qu’il y avait une grande solidarité entre tous les dirigeants des clubs, malgré la rivalité qui existait entre nos clubs. Nous avions des relations très très fraternelles entre le vieux Koungou Ferdinand du Canon, Omgba Zing Martin du Tonnerre, Mbous Paul Morand de la Dynamo, le Chef Ngompe Elie du Racing pour ne citer que ceux-là.
Sur le terrain, les joueurs étaient animés par une fureur de vaincre dans une saine émulation. Lorsque Union jouait contre Canon ou Dynamo ou Tonnerre, c’était la mort ou la vie, sportivement parlant bien sûr, et les supporters qui faisaient la force de ces clubs remplissaient les stades. Comme anecdote, je vous dirai que j’ai rencontré le Sous-Prefet de Bafou (Dschang), qui est de Mvengue-Lolodorf et Canon à 100%; il m’a avoué qu’étant au Lycée à Yaoundé, il allait au stade à midi lors des matches Canon-Union.
Aujourd’hui, tout le monde regrette ces confrontations chocs, preuves de la vitalité du football camerounais. Pour nous les dirigeants, et pour les supporters, le salaire était les victoires qui alimentaient notre “gueule”.
Les victoires en coupe d’Afrique des clubs coûtaient un certain prix et il fallait motiver les joueurs. Où trouviez-vous l’argent nécessaire ?
Côté finances, nos clubs vivaient des cotisations des membres et des recettes des stades, parce qu’il y en avait La preuve, la finale Canon-Union de la Coupe du Cameroun de 1980 avait donné une recette déclarée de 91 millions. C’est vous dire. Et maintenant, avec des stades vides, on a des recettes ridicules de l’ordre de 10 000 F. Ce qui ne rapporte rien aux clubs.
D’après vous, l’esprit patriotique n’existe plus ?
Est-ce que les joueurs et les dirigeants aujourd’hui sont convaincus de ce qu’ils font ? J’ai constaté que leur seule ambition est de gagner de l’argent, et ils veulent partir en Europe, avec la complicité des dirigeants, même lorsqu’ils n’ont encore rien prouvé au niveau de la première division. A notre époque, les joueurs ne pensaient pas s’expatrier, leur ambition étant de jouer en équipe nationale et partir éventuellement ensuite. De ce fait, les joueurs actuels n’ont effectivement aucun esprit patriotique, rien.
Que pensez-vous de ces multiples changements de ministres chaque fois que nous perdons des matches ou des compétitions ?
Ecoutez, je ne comprend pas que depuis des années, après avoir perdu deux matches, on change de ministre. Je ne crois pas que ce soit la meilleure solution. Pour moi ce sont des décisions radicales qu’il faut prendre, et qui viennent d’en haut, du Chef de l’Etat. On se souvient qu’en 90, c’est le Chef de l’Etat qui avait décidé que Milla joue la coupe du monde et l’on connaît le résultat. En 68 ou 69, dans l’Union, je me souviens que nous ne voulions pas que Owona Norbert soit classé, mais le président Kouam Samuel a exigé qu’il joue et il a marqué des buts. Cela veut dire qu’à un moment donné, devant une situation grave comme celle d’aujourd’hui, le Président Biya doit donner des instructions fermes à tous les niveaux, Premier Ministre, Ministre des sports, car j’ai l’impression qu’à la fédération on s’amuse trop avec l’honneur du pays, et c’est inacceptable.
La situation aujourd’hui est même plus grave. Le championnat est bloqué par les clubs qui revendiquent de l’argent donné par les sponsors pour le football. Et l’on n’est même pas sûr que la date du 17 annoncé sera respecté, tant qu’à la Fecafoot, on tergiverse. Par ailleurs, il y a ce problème d’entraîneur national qui fait ce qu’il veut et qui, de chez lui en Hollande, vous annonce qu’il est démissionnaire à cause de la mauvaise gestion du programme et des hommes. C’est la catastrophe !
La Fécafoot et la FIFA
Que feriez-vous pour arranger cette situation grave que connaît notre football ?
Ce n’est pas mon ambition, je le dis en toute honnêteté intellectuelle; d’ailleurs en 1979, lorsque j’avais gagné la coupe des champions avec Union Sportive de Douala, pour me récompenser, le Président Ahidjo avait voulu me nommer Ministre, mais j’avais refusé. A mon avis, si jamais j’étais Ministre des sports, je demanderais au Président Biya de me donner les pleins pouvoirs, condition pour ma nomination, je mettrais tout à terre : plus de fédération, plus de football pendant un temps. En clair, je dissoudrais la Fecafoot avec privation volontaire du football camerounais au niveau international, le temps de tout rénover et de restructurer la maison de fond en comble.
Justement, en dissolvant la Fécafoot, la FIFA va forcément intervenir. Que feriez-vous ?
La FIFA ne peut pas nous suspendre, puisque nous allons nous suspendre nous-mêmes. Je demanderais au Chef de l’Etat de ne pas disputer les compétitions internationales pendant un temps. On ne peut pas faire d’omelette sans casser les œufs. C’est vrai, il y aurait des conséquences avec les sponsors, mais il y a toujours des solutions, car si l’on continue de perdre, ces sponsors vont partir.
Et puis les pouvoirs publics ne vont pas se mêler de la gestion interne de la fédération, mais cautionner des élections démocratiques sur la base de nouveaux textes, avec des personnes responsables, capables de conduire le football national vers des sommets.
La FIFA a-t-elle raison de vouloir écarter les pouvoirs publics de la gestion du football en Afrique ?
Il faut partir du fait que notre football a un statut d’amateur et que pour son financement, le gouvernement joue un rôle fondamental, un rôle majeur. Je ne vois pas quel pays en Afrique, même au Maghreb avec des clubs semi-professionnels, où les gouvernements n’interviennent pas dans le financement du football. L’implication des gouvernements est très importante dans la marche du football, et du sport en général, car la loi fondamentale, la Charte des sports, est faite par le gouvernement. On se souvient de la grande équipe de Guinée avec Sekou Touré, des Black Stars du Ghana avec Nkwame Nkrumah, les Léopards avec Mobutu, les Lions Indomptables avec Ahidjo… Après la grande époque de notre football, nous sommes en déclin. Aujourd’hui, même les petites équipes nous battent. Et lorsqu’on domine une équipe comme la Guinée Equatoriale ou le Rwanda, on boit du champagne et on danse au Cameroun, c’est une honte.
Vous feriez quoi exactement pour la relance du football national ?
Au niveau national, je signerais un partenariat avec les clubs de D3, D2 et D1 parce que c’est eux qui font le football et qui font vivre la fédération. Concernant la Fecafoot, une refondation totale des textes s’impose, en y introduisant des garde-fous afin que des gens qui n’ont rien prouvé dans notre football n’y mettent du désordre comme aujourd’hui, et que les pouvoirs publics puissent avoir un certain contrôle. Aucune relance n’est possible sans de nouveaux textes sérieux et respectés. Après consultations, d’anciens et actuels dirigeants de clubs toutes les divisions, anciens et actuels arbitres, entraîneurs, joueurs et journalistes ayant fait leurs preuves, et il y en a beaucoup qui ont bien servi ce pays et qui peuvent encore le faire. En plus, il y a des jeunes qui ont des ambitions et qui veulent servir et non se servir. Le Comité Exécutif ne doit pas être composé de girouettes, mais des personnalités responsables, pas des affamés, pas de mendiants, mais des gens qui ont de la valeur, qui ont de l’honneur, et qui doivent assumer les actes qu’ils posent. Et il y en a. Ils seraient comme des garde-fous.
Vous comprenez que tout ceux qui sont en poste aujourd’hui ne prendraient plus part à la vie de la fédération parce qu’avec eux, rien n’a évolué depuis plus de cinq ans. Aucune coupe d’Afrique de clubs, malgré la domination stérile de Coton sport sur le plan national. Chaque année, c’est une programmation tatillonne du calendrier. Un championnat avec tantôt 16 clubs, tantôt 18 clubs suivant les intempéries. Aujourd’hui, ils veulent lancer un championnat sans avoir tenu un Conseil Exécutif et une Assemblée générale, et surtout sans avoir réglé le problème fondamental entre Racing et Mont Cameroun. Les raisons évoquées sont malsaines. C’est anti-statutaire et dangereux.
Avec moi, pas de considération politique ou tribale. Au football, il n’ y a pas de couleur, il n’y a pas de Nordiste, sudiste, Ewondo, Bamiléké et autres. Si ce sont les Nordistes ou les Bassas qui son bons sur le terrain, qu’on les aligne, car ils défendent les couleurs nationales. Le public n’attend pas que ce soit un Ewondo ou un Bamiléké qui marque de but. Le Président Biya a eu a prendre les Lions Indomptables comme référence de la consolidation de l’Unité nationale. Au niveau des dirigeants, le mixage ne garantit pas forcément l’efficacité. Un bon entraîneur, un bon dirigeant qu’il sorte du Nord ou de l’Est, il faut le mettre à la gestion du football national.
Notre football peut-il être relancé aujourd’hui par le football des jeunes comme le disent certains ?
Pensez-vous que les gens créent des centres de formation pour renouveler les effectifs des équipes nationales ? Ils font le commerce. Un jeune footballeur qui n’a même pas fait de preuve au niveau de la D3, vous apprenez qu’on l’a déjà vendu. Ce sont ces gens là au contraire qui tuent l’équipe nationale. En dehors de l’Ecole des Brasseries, et de KSA, aucun autre centre n’a fourni des joueurs en équipe nationale, et il y a longtemps de cela. Depuis 10 ans au moins, quel autre jeune est arrivé en équipe nationale ? Evitons la confusion. A notre époque, nous avions des juniors dont nous supportions des charges sur le plan scolaire, et puis ils n’étaient pas exigeants, leur ambition étant d’évoluer un jour en équipe senior. Je vous citerai les exemples de Yerima, Ndjeya René, Mbouh Emile et bien d’autres qui ont fait les beaux jours de notre football tant en national qu’en international, donc une évolution normale. L’ambition de ceux qu’on forme aujourd’hui, est d’aller jouer en Europe, sans même avoir fait des preuves au niveau national.
Que pensez-vous de la polémique sur les entraîneurs expatriés que l’on préfère à nos entraîneurs locaux pour les Lions Indomptables ?
Je n’ai pas changé d’avis depuis 30 ans. Les Fobete, Nseke Léonard, Nyongah Jules, Manga Onguene, Akono Jean Paul ont fait leurs preuves. La seule chose que l’on peut souvent reprocher aux Africains, c’est le manque d’autorité, le problème tribal et l’argent. Mais je ne pense pas que Fobete ou Nseke étaient à ça près. Bref, les entraîneurs expatriés ne m’intéressent pas. L’Union, le Canon, le Tonnerre ont gagné des coupes d’Afrique avec des entraîneurs camerounais. Aujourd’hui, il y a dans ce pays de grands entraîneurs. Si on leur donne le tiers ou le quart de ce qu’on donne aux expatriés, c’est-à-dire qu’on les met à l’aise, à l’abri des tentations, et qu’on leur donne les moyens de prospecter à travers le pays et le monde, ils feront les mêmes résultats que les expatriés à qui l’on donne des dizaines de millions et qui passent le temps à se balader dans les avions pour chercher des joueurs en Europe au lieu de chercher à dénicher des joueurs valables au pays. C’est une honte. Quand on donne 500 000 aux locaux alors que les joueurs ont des millions, que voulez-vous qu’il fassent ?
Akono Jean Paul a été entraîneur national au Tchad. D’autres Camerounais sont aujourd’hui au Gabon et en Guinée Equatoriale, sans oublier Abong Théophile qui a terminé sa grande carrière au Zaïre. C’est tout dire.
Le financement, l’avenir
Il y a comme un blocage pour démarrer le championnat, les clubs exigent une bonne subvention de la Fecafoot qui a reçu des milliards des sponsors, avant le coup d’envoi. Votre avis ?
Je me permets de vous rappeler ce que j’avais dit en 1976. J’avais dit à l’époque que le budget de l’équipe nationale devait être voté par l’Assemblée Nationale, on m’a traité de rêveur. Que fait-on aujourd’hui ? A l’époque, au Gabon, mon ami Asselé et d’autres hauts responsables avaient amené le gouvernement à donner des subventions aux clubs d’élite.
Aujourd’hui, on a des moyens, la Fecafoot a reçu beaucoup d’argent pour le plan international et les clubs de première division qui forment ces joueurs n’ont rien. Pourquoi ? Sur les 5 milliards de Puma, je demanderais qu’on réserve la moitié pour les équipes nationales et l’autre moitié pour les clubs, avec une répartition judicieuse entre clubs de D1, D2 et D3. Les clubs ne doivent pas toujours être là pour ramasser les miettes. Si j’étais président de l’ACPD, on ne me donne pas au moins le tiers des sommes reçues, je ne joue pas. Les clubs ne doivent pas mendier de l’argent donné pour le football.
Comment entrevoyez-vous l’avenir de ce football ?
L’avenir ne peut être rose qu’à condition de dissoudre la Fecafoot et toutes les autres structures, pour reconstruire avec des garde-fous posés par le gouvernement. Revoir entièrement les textes On devrait même lancer un référendum pour demander aux sportifs quels dirigeants ils veulent pour leur football, vous serez surpris. Que les gens donnent dix noms de ceux qu’ils veulent voir diriger leur football. Là on ne peut pas se tromper. On ne va pas se lever, faire la magouille et arriver au sommet de la fédération. Sinon, on se débrouille, on navigue à vue. Je ne comprends pas que notre football soit en train de sombrer et que les ministres des sports ne demandent pas aux anciens dirigeants de ce football de leur faire des propositions, afin que le gouvernement prenne ses responsabilités.
Il faudrait que le Ministre des sports crée un Comité Supérieur de sages composé de gens valeureux, d’un certain âge et ayant fait leurs preuves, un Comité qu’il peut consulter à tout moment pour prendre des décisions judicieuses pour la marche de notre football.
Dans l’Union de Douala, on l’a compris et le Comité des Sages est là pour redresser la barre lorsqu’il y a des problèmes. Quand ça ne va pas, on se réfère à ce Comité. Ceux qui gèrent doivent faire attention, car ils sont sous surveillance.
Si votre nom venait en tête à la suite du référendum, que feriez-vous ?
La présidence de la Fecafoot ne m’intéresse pas, mais si mon nom sortait, je viendrais comme personne ressource accomplir mon devoir patriotique dans l’intérêt du football camerounais, et non me servir.
Recueillis par ATANGANA FOUDA