Je me rends bien compte qu’à un certain niveau, les zéros ne comptent plus. Mais peu importe ce qu’on dira, neuf milliards ça fait des sous quand même ! Je devrais être bien placé pour le savoir, après une carrière de plus de 25 ans dans une banque de dépôt, une banque centrale ayant le privilège exclusif de frapper monnaie – le beau huard canadien – et une banque de financement du développement avec pour mission de réduire la pauvreté en Afrique. Pourtant, je le confesse, je n’ai jamais vu à quoi ressemble un milliard de quoi que ce soit.
Pour donner une idée de l’ordre de grandeur du pactole, en mettant un casque de banquier du développement, je vous annonce qu’un concours de 9 milliards de francs utilisé avec responsabilité est suffisant pour doter l’affreuse ville de Douala d’un système d’égout efficace. Mieux, avec un tel trésor, je peux prêter 100 000 francs à 90 000 femmes du Burkina, du Bénin, du Cameroun et de Côte d’Ivoire. Ces femmes africaines, c’est prouvé, non seulement remboursent leurs prêts, mais investissent dans la santé et l’éducation de leurs enfants. Évidemment, je le rappelle en passant, une femme africaine avec des sous a tendance à mettre dehors son fainéant de mari. Ce qui crée des problèmes sociaux qui, je le souligne, ne concernent en rien le banquier du développement.
M. Iya donc, d’après la trouvaille des pouvoirs publics camerounais, aurait délibérément empêché l’assainissement de ma ville natale et la démarginalisation et le renforcement de l’autonomie de 90 000 femmes camerounaises et, si on va plus loin, l’accès à l’éducation et à la santé de trois fois plus d’enfants, l’avenir et le socle du développement du Cameroun. C’est un crime terrible. Je vote la peine capitale.
Toutefois, il existe deux principes immuables que tout banquier doit respecter : premièrement, un bon créancier ne doit jamais être laissé sans le sou, sinon il ne pourra pas rembourser sa dette ; deuxièmement, on doit couper les vivres à un mauvais créancier le plus brutalement possible et absorber ses pertes sans attendre. Plus de dix ans pour s’apercevoir que M. Iya était un mauvais cheval et vouloir enfin lui couper le foin sous le nez, ça veut dire quoi ? La blancheur Persil, dans ce cas-ci, n’est pas du côté de l’État.
M. Iya est là où il a toujours été et où il va encore rester avec l’onction et l’aval des mêmes pouvoirs publics qui viennent juste de s’apercevoir, après plus d’une décennie, que leur homme était à l’image de la plupart des autres grands responsables des unités marchandes de l’État, n’affichant ni un soin particulier pour les résultats ou la réputation de leur entreprise ni un grand attachement à l’éthique de responsabilité. L’obligation de rendre compte n’entre pas dans les mœurs camerounaises. M. Iya n’a rien à se reprocher : il a été mis là par mégarde, et ce n’est pas de sa faute.